Précédemment
Lulyane distingua de fort loin la lueur opalescente de la Tour qui éclatait dans le bleu du ciel.
Quelque chose s’anima en elle, une sorte d’onde la parcourait, une vague chaude qui devenait plus intense à mesure que son domaine approchait. Un sentiment de bien-être l’envahit, la sillonnait toute entière : elle arrivait enfin chez elle…
Elle fut étonnée de voir défiler sous elle une vallée fertile, verte et boisée, parcourue de part en part par une rivière à l’ondée rafraîchissante. Pendant la traversée des montagnes, la bise avait été glaciale, même si elle n’en avait pas souffert. Partout, les sommets se couvraient de blanches congères, c’était le royaume du froid, de la neige et de la glace.
Et puis soudain, la température devenait clémente, l’atmosphère se faisait tiède comme par une belle journée de printemps. Ce lieu enchanteur était enchanté ! Une force magique maintenait cette vallée dans un climat contre-nature.
Et pourtant, tout autour de ce cirque enchâssé entre de hauts sommets, la glace et la neige gagnaient du terrain. Lulyane distinguait parfaitement les contours originels du vallon, et comprenait que le froid de l’altitude s’avançait de plus en plus.
Le givre grignotait les premiers arpents au pied des rocailles. Une épaisse couche de flocons couvrait les premières frondaisons des bois périphériques. Le début de la rivière, à l’embouchure du torrent, se durcissait d’une solide gangue de glace.
Tout le trajet, Grognar était resté tapi au fond de son panier pour ne pas se rendre compte de la hauteur à laquelle il évoluait. Tout juste avait-il par instant accepté de sortir le bout de son nez rougi par le froid pour indiquer le chemin. Mais à l’approche de son chez-lui, l’excitation était la plus forte et il glissa un œil par-dessus l’osier. Et lui aussi constata que la vallée - sa si chère, si giboyeuse, si poissonneuse vallée, sa vallée si généreuse en produits de la terre - était en train de s’engourdir sous le manteau glacial de l’hiver permanent.
Quant à la Tour, elle ne présentait plus du tout l’aspect qu’il lui connaissait. Tout l’étage supérieur avait disparu. Ça et là, sur toute la hauteur de la muraille, des pierres s’étaient descellées, de larges lézardes balafraient les parois. Et à son pied, tout autour du bâtiment, les morceaux épars de la ruine en cours s’amoncelaient en de vulgaires tas de gravats.
L’Iltarn se posa au sommet du Mont Roc-Pointe, éminence centrale et conique de la vallée. A sa suite, les griffons assurèrent une lente descente jusqu’à ce que la nacelle touche le sol, puis se posèrent rapidement.
Lulyane fixait la Tour avec ébahissement, incapable d’en détacher son regard, abîmée dans une fascination que rien ne pourrait interrompre. Ce lieu était à elle ! Ce n’est pas qu’elle s’en réjouissait, qu’elle en concevait quelque fierté ou quelque orgueil, juste qu’elle le ressentait intensément, que tout son être, jusqu’au plus profond de ses viscères venait de s’ancrer définitivement dans la pierraille aride de ce sommet chauve et dans la blancheur irréelle de ce monument millénaire.
Plus loin, sortant de leurs cabanes en poussant des cris gutturaux, une troupe de géants accouraient vers eux, les bras tendus, les dents brandies du bonheur de retrouver Grognar.
Devant ce déferlement, Biquette, qui elle avait tenu à jouir du spectacle aérien et avait passé le voyage debout sur ses pattes arrières pour observer le paysage, fut prise d’une soudaine inquiétude pour son intégrité physique. Elle sauta de la nacelle et courut se réfugier tout contre les jambes de la vampire, seul rempart qui lui semblait solide pour éviter de se faire dévorer.
Fous de joie et incapables de se contenir, les géants se jetèrent en meute sur leur chef, le bousculant, allant jusqu’à le faire tomber à la renverse.
- Du calme, du calme ! s’esclaffait Grognar qui lui aussi cachait mal sa joie. Moi aussi, je suis content de vous voir, bande de cons !
Renversé, retourné, bientôt enseveli sous une mêlée de corps gigantesques, Grognar laissa échapper sa besace, qui tomba quelques pas plus loin en s’ouvrant. La tête du vampire jaillit, roula sur une courte distance en laissant s’accrocher le tissu qui l’enveloppait dans les cailloux rugueux.
Lulyane, debout dans un face-à-face avec l’Opaline, ne prêtait aucune attention au tumulte des retrouvailles. Elle sentit seulement la tête nue venir cogner contre son pied et baissa le regard.
Appuyée contre sa cheville, la tête du vampire avait les yeux ouverts et la regardait.
Dernière édition par Lulyane le Jeu 5 Aoû 2010 - 0:11, édité 2 fois
Lulyane distingua de fort loin la lueur opalescente de la Tour qui éclatait dans le bleu du ciel.
Quelque chose s’anima en elle, une sorte d’onde la parcourait, une vague chaude qui devenait plus intense à mesure que son domaine approchait. Un sentiment de bien-être l’envahit, la sillonnait toute entière : elle arrivait enfin chez elle…
Elle fut étonnée de voir défiler sous elle une vallée fertile, verte et boisée, parcourue de part en part par une rivière à l’ondée rafraîchissante. Pendant la traversée des montagnes, la bise avait été glaciale, même si elle n’en avait pas souffert. Partout, les sommets se couvraient de blanches congères, c’était le royaume du froid, de la neige et de la glace.
Et puis soudain, la température devenait clémente, l’atmosphère se faisait tiède comme par une belle journée de printemps. Ce lieu enchanteur était enchanté ! Une force magique maintenait cette vallée dans un climat contre-nature.
Et pourtant, tout autour de ce cirque enchâssé entre de hauts sommets, la glace et la neige gagnaient du terrain. Lulyane distinguait parfaitement les contours originels du vallon, et comprenait que le froid de l’altitude s’avançait de plus en plus.
Le givre grignotait les premiers arpents au pied des rocailles. Une épaisse couche de flocons couvrait les premières frondaisons des bois périphériques. Le début de la rivière, à l’embouchure du torrent, se durcissait d’une solide gangue de glace.
Tout le trajet, Grognar était resté tapi au fond de son panier pour ne pas se rendre compte de la hauteur à laquelle il évoluait. Tout juste avait-il par instant accepté de sortir le bout de son nez rougi par le froid pour indiquer le chemin. Mais à l’approche de son chez-lui, l’excitation était la plus forte et il glissa un œil par-dessus l’osier. Et lui aussi constata que la vallée - sa si chère, si giboyeuse, si poissonneuse vallée, sa vallée si généreuse en produits de la terre - était en train de s’engourdir sous le manteau glacial de l’hiver permanent.
Quant à la Tour, elle ne présentait plus du tout l’aspect qu’il lui connaissait. Tout l’étage supérieur avait disparu. Ça et là, sur toute la hauteur de la muraille, des pierres s’étaient descellées, de larges lézardes balafraient les parois. Et à son pied, tout autour du bâtiment, les morceaux épars de la ruine en cours s’amoncelaient en de vulgaires tas de gravats.
L’Iltarn se posa au sommet du Mont Roc-Pointe, éminence centrale et conique de la vallée. A sa suite, les griffons assurèrent une lente descente jusqu’à ce que la nacelle touche le sol, puis se posèrent rapidement.
Lulyane fixait la Tour avec ébahissement, incapable d’en détacher son regard, abîmée dans une fascination que rien ne pourrait interrompre. Ce lieu était à elle ! Ce n’est pas qu’elle s’en réjouissait, qu’elle en concevait quelque fierté ou quelque orgueil, juste qu’elle le ressentait intensément, que tout son être, jusqu’au plus profond de ses viscères venait de s’ancrer définitivement dans la pierraille aride de ce sommet chauve et dans la blancheur irréelle de ce monument millénaire.
Plus loin, sortant de leurs cabanes en poussant des cris gutturaux, une troupe de géants accouraient vers eux, les bras tendus, les dents brandies du bonheur de retrouver Grognar.
Devant ce déferlement, Biquette, qui elle avait tenu à jouir du spectacle aérien et avait passé le voyage debout sur ses pattes arrières pour observer le paysage, fut prise d’une soudaine inquiétude pour son intégrité physique. Elle sauta de la nacelle et courut se réfugier tout contre les jambes de la vampire, seul rempart qui lui semblait solide pour éviter de se faire dévorer.
Fous de joie et incapables de se contenir, les géants se jetèrent en meute sur leur chef, le bousculant, allant jusqu’à le faire tomber à la renverse.
- Du calme, du calme ! s’esclaffait Grognar qui lui aussi cachait mal sa joie. Moi aussi, je suis content de vous voir, bande de cons !
Renversé, retourné, bientôt enseveli sous une mêlée de corps gigantesques, Grognar laissa échapper sa besace, qui tomba quelques pas plus loin en s’ouvrant. La tête du vampire jaillit, roula sur une courte distance en laissant s’accrocher le tissu qui l’enveloppait dans les cailloux rugueux.
Lulyane, debout dans un face-à-face avec l’Opaline, ne prêtait aucune attention au tumulte des retrouvailles. Elle sentit seulement la tête nue venir cogner contre son pied et baissa le regard.
Appuyée contre sa cheville, la tête du vampire avait les yeux ouverts et la regardait.
Dernière édition par Lulyane le Jeu 5 Aoû 2010 - 0:11, édité 2 fois