Le ciel paraissait déchiré, le chaos faisait rage sur les flôts au dessus desquels tonnaient d'un navire pirate à l'autre, les appels de cor, aussi rauques et ténébreux que des mugissements d'hydres monstrueux. Le vacarme était terrible, assourdissant sur la mer agitée, déchaînée : cris, sifflements de flèches enflammées, martèlements de tambours de guerre, clapotis sauvage des flots sur les coques éprouvées à la tourmente des rafales du vent batailleur. Des centaines de pierres montaient à l'assaut du ciel jaune, chacune aussi grosse qu'un crâne d'homme, leur chutes soulevant des geyser de matériaux tordus sur les ponts. La bataille avait pris pied un peu partout sur un pan étendu de la surface verte assenée de vagues déferlantes en eaux profondes, à l'ouest de l'Outre-mer à seulement une cinquantaine de lieux du continent.

Des grappins volaient s'agripper de toute part, des béliers de fer éventraient rageusement des coques, des essaims de pirates alliés à d'innommables créatures difformes, corrompus que d'aucun reconnaîtrait comme des démons infernaux, montaient en vil conquérants à l'abordage au milieu de tourbillons étouffantes de fumée et sous le chuchotement aigu, ininterrompu des flèches. Les navires natifs déchiquetés, menacés par l'étau resserré de l'ennemi, encerclés par la flotte pirate, aussi accablante que sournoise, surprenante par sa force et son nombre, coulaient désespérément un à un, luttant avec acharnement contre une fin funeste et précipitée. Extraordinaire bouleversement auquel ils ne s'étaient guère attendus, préparés. Tout avait si bien commencé pourtant pour ces matelots, un quotidien paisible, sans histoire, et des patrouilles en mer ennuyantes comme d'habitude. Et c'était là, que pétrifiés de terreur, leur visages sculptés dans la pierre, ils avaient aperçu ces coques noirs aux profil menaçants, surgies de nulle part et de tout part en même temps, pris aux piège par celles-ci mortellement agiles et vives comme des serpents de mer, manoeuvrant habilement le vent dans le dos, innombrables et grouillant bientôt comme des fourmis sur la mer sans qu'ils ne puissent aucunement réagir, hébêtés, impuissants.

A présent les vertiges et torrents rugissaient, l'écume battant fièvreusement contres les bâtiments navales pris pour cibles. Certains abordés par des grappins, des cordages, tanguaient fébrilement sous l'accostage massive d'ombres effroyables, monstrueuses et s'affairant à détruire la vie, là ou leur griffes et morsures pouvaient atteindre. Les viles créatures démoniaques, comme surgies du gouffre de l'ignominie s'élancèrent avec fureur sur les ponts soumis à leur contrôle, effroyables cris sauvages à l'appui. Tout devint rouge et noir. Les vagues noires dominées par une rage inextinguible déferlèrent partout, noyant, fracassant, exterminant férocement les obstacles d'os, de chairs et de sang qu'étaient les défenseurs natifs asphixiés par la terreur et l'horreur.

Mais plus loin, une menace bien plus grande se profilait, alors qu' à la proue des innombrables vaisseaux requins on vomissait encore les boulets de pierre dans un tonnerre assourdissant, ceux-ci-ci venant s'abattre de nouveau avec fracas contre les mâts brisés et les voiles déchiquetés des navires ennemis grotesques de grandeur sous les applaudissement et rires gras des pirates se ravissant de ce délicieux spectacle. Dans la tourmente, les silhouettes inextricables des vaisseaux outre-merriens non aggripés ni abordés par les pirates, mais pris aux pièges sans plus ni voiles ni machines, ni rames, accablés par le feu roulant ennemi, tournoyaient en rond, leur ponts rouge magma. Le feu peu à peu rampait de cordage en cordage, atteignait leur tissus. Grand malheur que leur immobilité car, les Espadons d'Akaram, les vaisseaux pirates fendaient la surface dans leur direction comme la foudre, inaccessibles, intouchables de par leur profil insaisissable aussi exigu qu'acéré, forgé à l'effigie du requin, leur éperon de fer pointue à même de briser n'importe quel matériau. Droit sur leur rafiots qui à demi émergé dérivaient impuissants, pivotant comme pour les séduire et leur offrir leur flanc le plus replet, tout en suintant de sanies rougeoyantes.

Advint alors ce qui devait advenir. Avec un terrible vacarme, les vaisseaux pirates à l'éperon de fer pointue, déchirèrent, broyèrent, sectionnèrent les pitoyables épaves comme un fruit mûre explosait, dans un hurlement de bois torturé. Les ponts s'évanouirent sous les passagers, l'eau montante les cingla très vite, jusqu'atteindre finalement la bouche puis le nez. Disparue, désintégrée la flotte native, ne subsistant que de dernières épaves croulantes épargnées par les tirs mais submergées de démons, tandis que des cadavres noircis descendaient le cours de l'eau, ou que des hommes rescapés qui hoquetaient accrochés vulgairement aux planches, étaient achevés sans pitié par une une grêle de traits. Une victoire aisée.

C'était déjà ça de gagner pour leur noble cause. Une bonne partie de la flotte déjà réduite de l'Outre-Mer, laquelle les pirates aspiraient à contrôler, soumettre, avait été détruite. Ils auraient déjà probablement la maîtrise maritime, la capt'aine serait heureuse d'apprendre la fortune de leur action. Bientôt plus rien ne pourrait menacer leur plans.