Bien du temps avait passé depuis son accession au titre de Roi d’Outre-Mer.
L’archipel se remettait bien des dommages causés par les pirates. Roc le Chastel avait presque retrouvé sa superbe d’antan, et Irkos comptait rendre la cité d’autant plus magnifique avec la construction d’un nouveau port, bien plus imposant que le précédent. Il avait bien pris note de ce qu’il avait eu l’occasion de voir à Anaphe, en compagnie d’Aedric le Rouge.
Tout en repensant à lui, l’Elfe se frotta inconsciemment le bras, qui porterait à tout jamais les stigmates de l’affrontement avec l’Inquisiteur. Heureusement, le combat ne lui avait laissé qu’une vilaine cicatrice, il avait pu au terme d’une longue rééducation retrouver entièrement l’usage de son bras. Quel dommage qu’un adversaire de cette trempe soit si prompt à l’impulsivité, le guidant vers des choix absurdes.
Car le Roi d’Outre-Mer avait eu vent des derniers faits d’arme du Rouge. Irkos lui avait pourtant bien dit de ne pas céder à ses pulsions, qu’il ferait un souverain respecté s’il arrivait à se maîtriser. Mais maintenant, il était allé trop loin pour revenir en arrière, tout ce qui avait été entrepris pour régler le conflit pacifiquement avait échoué. L’Elfe souhaitait bien du courage à l’Empire pour régler ses problèmes internes, qui gangrenaient Kalamai comme il avait eu l’occasion de le constater.
Même si l’Empire les avait aidés à repousser les pirates, Irkos n’éprouvait pas une grande sympathie pour ses voisins. Il tenait à la paix entre les deux Nations, voire même à une bonne entente, mais leur culture et leur mentalité étaient tellement éloignés de celles des Natifs…
Un messager pénétra la salle d'audience.
- Mon Roi, une missive nous vient tout droit du Sénat Impérial.
- Explose m’en la teneur, mon Frère.
- Le Gouverneur Escalus demande à tous les dirigeants provinciaux de se rendre au Sénat, afin de discuter de la mise à jour de certains décrets périmés. Mais il insiste sur le fait qu’il veut entendre les Sénateurs à propos de la situation de chaque provinces et royaume. Il conclut qu’un autre sujet sera abordé, sans toutefois s’étendre.
- Depuis quand l’Outre-Mer a-t-elle des comptes à rendre à l’Empire ?, s'emporta-t-il. Je pensais qu’il était maintenant clair que nous étions indépendants, qui sont-ils pour nous sommer de venir ?
Irkos n’aimait pas ça. Une fois l’euphorie de la victoire des deux armées passée, les choses avaient repris leur cours en Outre-Mer. L’Empire avait bénéficié d’un sursis d’empathie pour leur aide, mais à présent les Natifs n’avaient guère plus que de l’indifférence pour les impériaux. Irkos n’y échappait pas, même si son rôle de dirigeant le contraignait à prôner une certaine sympathie. Après tout, il avait passé son existence à combattre l’Empire.
- Informe-les de notre refus, et rappelle-leur bien que nous ne sommes plus sous leur tutelle.
- Ce serait une grave erreur, Irkos.
L’Elfe reconnut immédiatement la voix, de plus il n’y avait qu’une personne qui l’appelait par son prénom et non pas par son titre. C’était Mïlas, un Elfe lui aussi, qui gérait la forêt de Kalferas, domaine d’Irkos. Mïlas était très ancien, et fut autrefois un illustre guerrier. Maintenant, il mettait sa sagacité au service du Roi, pour le plus grand plaisir d’Irkos, qui le considérait comme un père.
- Exprime-toi, mon vieil ami.
- Si tu avais pris la peine de lire la missive, et d’en décrypter les codes, tu aurais remarqué qu’il ne s’agit pas d’une convocation classique au Sénat. Les mots ont été soigneusement choisi pour ne pas désigner que les Palatins, mais bien tous les dirigeants. Or, qui dirige une royauté à part toi ? Personne, à ma connaissance. Tout a été fait pour ne pas te vexer et provoquer ta venue. Il serait dommage de refuser.
- Certes mais… Vis-à-vis de mes Frères, ne serait-il pas malvenu de les délaisser pour un second voyage vers l’Empire ?
- Irkos, tu crains trop la vindicte des Natifs. Tu es un héros pour le peuple, même si cela te fait rougir…
- Rougir de rage, Mïlas. Beaucoup de mes camarades mériteraient ce titre, pourtant ils sont morts en héros et la vie continue sans eux, tombant progressivement dans l’oubli.
La jeunesse d’Irkos expliquait ses quelques accès de colère et d’amertume. Il avait perdu ses parents jeune, et tous les amis qu’il avait eu sont morts. L’Elfe avait du mal à passer au-delà de ses traumatismes.
- Bien entendu, nous pleurons nos Frères morts au combat. Bien qu'il ne faut pas vivre dans le passé, mais voir vers l’avenir. Grâce à toi, la cité renaît de ses cendres, tu es porteur d’espoir, ne l’oublie pas. Tu dois montrer l’exemple. Si tu ne réponds jamais aux mains tendus par l’Empire, le peuple finira par croire que tu as coupé les ponts, et tout ce pour quoi sont morts tes camarades n’aura servi à rien. Dois-je te rappeler que l’Outre-Mer a une dette envers l’Empire, même si peu de gens veulent bien l’avouer ? Si ce n’est pas l’envie, l’honneur devrait te pousser n’est ce qu’à entendre le cri d’agonie d’un empire en souffrance. Rien ne t’oblige à mener nos Frères à la mort pour la stabilité de Kalamai, mais tu te dois de montrer que l’Outre-Mer n’est pas ingrate.
Tu n’as rien plus rien à prouver, la Nation ne t’en voudra pas d’avoir des contacts avec l’Empire. Depuis la reconstruction de nos cités, tu n’es allé que de rares fois dans ton propre domaine, Kalferas, pour te consacrer exclusivement à notre patrie. N’utilise pas d’excuse pour esquiver la visite diplomatique que se doit d’accomplir le Roi.
- Tu as raison. Comme toujours, Mïlas… Je ne sais pas ce que je ferai sans toi. Des fois, je me demande si je prends les bonnes décisions, si l’intentionnalité de mes actes est bien perçue par mes Frères… Tu m’accompagneras au Sénat, j’aurai besoin de tes lumières.
- Ne t’en fais pas, mon ami. Depuis la chute du Roi Taleonor, je m’étais juré de ne plus remettre un pied là-bas. Et tu me fais rompre mon serment deux fois en l’espace d’une année. Ne doute pas de ton pouvoir de persuasion.
Et les deux Elfes se préparèrent pour leur long périple jusqu’à la Capitale.