(Musique écoutées dans le désordre pendant l'écriture initiale)
Piste 1 - Piste 2 - Piste 3 - Piste 4 - Piste 5 - Piste 6 - Piste 7 - Piste 8 - Piste 9 - Piste 10 - Piste 11 - Piste 12 - Piste 13 - Piste 14

J’aurai bien aimé revivre certaines scènes de ma vie, qui se trouvent à différentes positions sur l’échelle de l’importance. Ma naissance, mon goût premier du sang, mon éveil avec le lapin blanc, l’appétit de la chair, les cicatrices des combats, ma rencontre avec Elle. C’est d’autant de moments cruciaux que j’en choisis un futile pour aujourd’hui. La pénombre de la nuit, l’éveil de mes sens nocturnes. Un état de contrôle entre la fureur et le calme absolue. L’ombre de la forêt noire, les créatures qui s’entretuent, le vent qui portait les nouvelles de notre matriarche la Mort. Cet instant était la beauté funèbre de ce monde. C’était le masque du bouffon triste qui recouvrait mon visage.

Le soleil avait laissé place à sa sœur. Quelques heures avaient passés après l’apparition du crépuscule. Aux seins des aires d’entraînement de l’académie de Naxos, une mélodie connue de tous se répétait sur le sol. Attaque, pas en arrière, parade, contre-attaque, prise, esquive, pas sur le côté, saut, botte secrète. Parmi les étudiants, on voyait tout le bestiaire du monde, représenté ici par le comportement des apprentis combattants. Le lièvre, inconscient et qui cède à la fuite rapidement. L’araignée, précise et ne daignant bouger de sa position que pour un coup décisif. Le faucon, rapide et survolant l’ennemi et le dominant de son envergure. La tortue, indécise et qui mourra sous les coups de celui qui la délogera de sa carapace. Le dragon, puissant et qui s’acharnera à faire vivre un désespoir infini à son adversaire, au mépris de sa propre vie. La méduse, harcelante et qui glissera à travers les lames comme l’eau entre les rochers. Le loup, fier et qui pliera don adversaire, sans jamais penser à la défaite.

Oui, les êtres intelligents sont des bêtes, au fond d’eux. Ils ne peuvent pas tous admettre cette danse folle qui les conduit entre la personne évoluée et le côté animal. L’accord du pardon, la violence d’un esprit trahi, le rire tonitruant de l’amitié, l’humiliation par un supérieur, l’amour chaste et naïf de la pucelle, la luxure outrageante de l’homme perdu.

Pas tous se battaient. La participation était libre et sincère. Des chevaux trahiraient leur côcher si il ne manierait que le bâton. J’étais allongé sur le dos de la colline. Ça et là sortaient les brins d’herbe et les pissenlits. Leur couleur jaune subsistait, même face à la nuit profonde. Il est parfois amusant d’observer comment les créations de la nature s’inscrivent dans la longévité, même dans les situations extrêmes.

Elle était à côté de moi. Pas trop proche pour ne pas s’avouer encore vaincue et pas si éloignée pour pouvoir continuer à s’enivrer de mon odeur, apportée par la brise légère. Comme si je n’avais pas appris à me servir de mon regard. Même si mes yeux étaient dirigés vers ceux qui bougeaient, j’observais ses mouvements et je les analysais. Étrangement, quelque chose apparut dans mon esprit. Une idée étonnante et particulièrement plaisante. Elle faisait semblant. Plus exactement, elle agissait volontairement comme un tout-à-chacun afin de m’analyser moi aussi, en fonction de mes réactions. Depuis le premier jour où je la fréquente, je la considère de plus en plus. La posséder avec son consentement était devenu un défi, que je me trouvais digne de relever.

Ça parlait séduction. On discutait en donnant nos avis personnels, sans jamais se dévoiler. Nos égos faisaient la parade devant l’autre. C’était ainsi qu’on charmait l’autre. C’était une mise en bouche avant de pouvoir « manger » notre partenaire véritablement. J’aurai voulu changer ma réponse, ne pas reculer. Répondre à sa provocation et oser ce qu’elle m’intimait de faire. Le courage indique à quel point on peut s’oublier, ça attire beaucoup (trop) de personnes, à mon sens. Je m’imagine, changeant la scène, altérant le cours du temps. Je me serai levé, j’aurai contredit ses dires.

J’aurai choisi une femme au hasard. Je savais déjà que mon attitude et mon assurance avaient fait frissonner plus d’une. Cela m’est égal, les crédules attirés par l’inaccessible ne méritent que de se brûler comme le moustique attirée par la torche. Si je pouvais en tirer une petite satisfaction, c’était tant mieux, pour moi. Alors ça serait la lancière aux cheveux d’or. L’elfe noire à l’allure élancée. Celle qui me connaissait de réputation et moi qui ignorait tout d’elle. Elle cesserait d’observer les autres et ferait naviguer ses yeux dans le noir abyssal des miens. Un sourire habituel serait sur mes lèvres, celui qui déverrouille toutes situations. Une mèche voguant au gré du vent. Elle desserre doucement son arme. Je suis à quelques pas d’elle. De l’autre côté, un homme est aux anges, il venait de réussir son premier duel. L’ivresse de la victoire emplit son esprit, son adversaire et ami le félicita d’une grande accolade. Quelques larmes chaudes coulèrent sur ses joues, il réalisait à quel point ses efforts avaient payés, il était fier. De tout son être, il remercia tous les évènements de sa vie sans qui, il ne serait pas arrivé jusqu’à celui-ci. Là où le dépassement de confère une joie immense. On l’applaudit aux alentours, c’était un imbécile aimé de beaucoup pour sa générosité naturelle. C’était un sot en ce moment, mais un sot honnête.

Moi, mon combat se présentait mal. J’étais proche, avec une ouverture de plus en plus menaçante et pourtant, mon ennemi déposait déjà les armes. Je la sentais s’abandonner, prête à être prise. Un coup seul serait suffisant et fatal. Des doigts caressés avec douceur, le souffle chaud de ma voix dans le creux de son oreille. Des vers étrangers et qui seront connus d’elle seule, et de toutes mes victimes. Un présent, un trésor qu’elle conservera pour elle seule. Elle tendait son cou, sans doute inconsciemment. J’approchais mes lèvres de sa peau, progressivement. Je sentais le sang parcourir ses veines, un flot rouge qui s’emballait, envoyant à son corps des bouffées de chaleur. Le bas de mon visage remontait lentement vers le sien. Le temps se ralentissait, comme si cet instant privilégié que nous partagions nous isolait du monde. Elle passa ses avant-bras autour de ma taille, nous étions très proches. Je l’achève. Je pourrais presque sentir le parfum de son épiderme. Elle demandait, me demandait. A genoux, à quelques lieux, un homme attendait l’exécution de son destin. Une rencontre inévitable entre l’épée et le fil de sa gorge. Il déglutissait lentement. Avec tout autant de lenteur, il acceptait ce qui lui arrivait. Il ne pouvait pas s’empêcher d’être pris de désarroi. Le bras du bourreau élança son mouvement. Il repensait à sa famille, ses compagnons, son élevage. La lame fendait l’air avec un léger sifflement. Il sourit à sa vie, richement remplie. Le fer passa les différentes couches de sa chair. Il trouvait son bonheur, en se résignant à mourir. L’ironie du désespoir n’eut que quelques secondes de compagnie. La tête chuta de son tronc, roulant sur le sol.

Mes lèvres se joignirent aux siennes. Elle se laissa aller, laissant chaque sensation envahir son esprit. L’humidité du baiser en tête de front, sa douceur en seconde ligne, sa chaleur en couverture, sa saveur en arrière-garde, son effet irrésistible comme réserve. Une seconde qui prenait toute l’importance d’une existence entière. Victoire, pas de prisonnier. Nos langues se lièrent, avec sensualité. Ce toucher étrange et pourtant si délicieux. Ses yeux s’ouvrèrent avec ampleur. Les miens n’étaient pas clos depuis le commencement. Elle regarda au fond de mes pupilles, et elle vu la flamme les embrasaient. Elle s’enflamma, empoignant mes hanches. Une main rapide sur le côté de son cou. Une pression légère ralentissait ses sens. La pression de ses lèvres qui se faisait moins forte. Nos lèvres qui se détachaient tardivement. Des joues rouges, un regard pétillant, une personne surprise et ne sachant que faire. Elle relâcha son étreinte et me considéra un instant. Une dizaine de seconde face à l’autre, sans un mot et je me retournais. Je la vois maintenant. Elle. Surprise de mon aplomb. Une flatterie pour ne pas trahir sa jalousie et j’avais démontré magistralement son attirance. J’aurai eu l’avantage, j’aurai dominé la situation.

Mais tel n’a pas été le cas. Je n’ai rien fais. J’ai joué au couard en invoquant une fatigue imaginaire. Elle sourit. Si j’avais agis, elle maudirait ce jeu, notre jeu. Elle insulterait ciel et croyances d’avoir voulu m’essayer. Mais ça n’est ainsi, je suis stupide. J’ai laissé une faiblesse l’emporter plutôt que bousculer mes habitudes.

Mais c’est ainsi, car les deux armées baissèrent leurs fanions et s’enlacèrent. Ma lâcheté a su constituer mon charme. Savoir fuir quand il le fallait. Charge, riposte, blessure. Abattre les autres par le charme, et non par la violence. Remplacer la dague par la lyre. Les vociférations transformées en poèmes. Les coups métamorphosés en caresses. La haine se repentant à l’amour. Le froid silence se changeant aux râles endiablés. La bagarre qui s’oppose à la danse. L’armurerie qui devint une chambre à coucher. Le métal qui se fond en tissu. La stratégie qui s’abaisse à l’instinct. L’évolution et ma dégénérescence.


Sotame