Chapitre I - Renaissance

« Comtesse ? Comtesse, m’entendez-vous ? », fit une voix douce. « Si vous ne pouvez parler, faîtes-moi un signe, je sais que vous êtes là, vous êtes de retour, je le sais. », reprit la même voix toujours aussi douce mais entrecoupée de sanglots.

Sur les lèvres entrouvertes du corps inanimé et décharné qui reposait sur un vieux lit branlant tomba une larme née dans les yeux embués de la jeune femme qui se penchait au-dessus de la couche. Une langue exsangue sortit et vint lécher cette minuscule goutte d’eau.

Petit à petit, la bouche s’ouvrit plus largement laissant apparaître la dentition caractéristique des créatures atteintes du même mal. De petits yeux clairs s’ouvrirent doucement, quelques rayons de lune qui avaient réussi à se faufiler firent ressortir le vert autrefois scintillant de ce regard qui pouvait mettre tant de monde à ses pieds jadis.

La jeune femme qui pleurait tout à l’heure souriait maintenant largement, enlaçant et embrassant le corps encore faible de ce qui ressemblait plus à un cadavre qu’à un être vivant.

Maintenant tout à fait réveillé, le cadavre animé encore allongé sur le vieux lit autrefois connu et reconnu sous le nom de Calixtera, réussit à parler intelligiblement.

- Qui êtes-vous ? Où sommes-nous ?
- Vous ne me reconnaissez pas, Comtesse ? Je suis Sen.
- Sen ? La Sen que je connais n’est encore qu’une petite fille. Et d’après ce que je peux voir, tu es plus, comment dire, plus adulte qu’elle, fit Calixtera en examinant de haut en bas la silhouette très charnue de la jeune femme malgré ses haillons souillés de sueur et de poussière.
- C’est que j’ai grandi. J’ai presque vingt ans maintenant.
- Vingt ans ! Comment est-ce possible ?
- En fait, vous étiez comme morte. D-désolée, vous êtes restée… endormie… pendant presque… cinq ans, je veux dire !
- Cinq ans !

Sen entreprit alors de tout lui raconter mais elle se ravisa et pensa qu’il valait mieux, pour l’heure, lui résumer brièvement ces cinq dernières années. Il serait toujours temps de tout lui expliquer en détail quand elle aurait repris des forces.


« Après la victoire des armadas fidèles à l’Impératrice, dont nous faisions partie par notre appartenance aux Sentinelles de Prévèze, le calme fut de courte durée. L’empire ennemi, qui avait contribué à semer la zizanie en soutenant les Rebelles Noirs, envoya d’immenses armées qui anéantirent Kalamai. La Cour Impériale fut emprisonnée et les Palatins furent mis en fuite ou tués.

Notre royaume de Gladester fut, comme les autres terres, ravagé. Nos troupes se battirent de toutes leurs forces mais ne purent rien face à la phénoménale puissance ennemie. Les paysans qui ne réussirent pas à fuir furent exterminés. Lors de la bataille finale, entourée d’une poignée de créatures, puisant dans vos moindres réserves d’énergie magique, vous avez tenu mais vous vous êtes finalement écroulée, laissée pour morte.

Pour ma part, suivant vos ordres, j’avais réussi à fuir avec quelques autres servantes de votre cour. Apeurées comme nous étions, nous ne nous sommes pas organisées pour nous échapper efficacement et je me suis retrouvée donc seule. Rebroussant alors chemin vers Gladester après le départ des troupes ennemies, j’ai fouillé et examiné le corps des gens que je reconnaissais. Je n’ai retrouvé personne de vivant. Quand je suis arrivée vers vous, vous n’étiez pas dans un meilleur état que les autres cadavres que j’avais vus auparavant. Mais quelque chose en moi me disait que vous n’étiez pas partie. Je sentais votre aura très faible mais encore présente. J’ai alors traîné votre corps vers la grotte la plus proche qui se trouvait bien plus loin que je l’avais imaginé, la peur et l’effroi mêlés du mince espoir de vous sauver décuplant toutefois mes forces.

C’est de grotte en refuge de fortune que nous avons passé ces cinq dernières années ensemble. Grâce aux enseignements de Maître Andron de Haimel, votre bras droit, et par expérimentations successives, parfois douloureuses, j’ai pu survivre et prendre soin de vous. Cueillant les richesses des forêts, chassant ce qu’il restait de gibier, apprenant à construire armes, pièges et tanières, j’ai pu nous cacher des envahisseurs.

Depuis presque cinq ans, l’Empire était dominé et pillé par les seigneurs d’Outre-Mer semant l’humiliation et la terreur partout où ils passaient. Mais pendant toutes ces années, un groupe de résistants œuvrait dans l’ombre et attendait le bon moment pour intervenir. Grâce à une tentative qui se révéla être finalement la bonne, ils réussirent à libérer l’Impératrice par une formidable manœuvre dont je ne connais pas les détails. Evalia la Sombre reprit aussitôt sa place sur le trône et l’envahisseur ennemi fut bouté en quelques semaines hors de Kalamai.

A la suite de cette reconquête des terres de Kalamai, l’Impératrice se mit à redistribuer les territoires qui n’avaient pas été trop touchés par cinq années d’occupation, en privilégiant les seigneurs qui avaient combattu auprès d’elle. C’est pourquoi, il y a quelques jours, j’ai pu récupérer en votre nom les quelques acres qui entourent cette cabane car vous aviez combattu sous la bannière des Sentinelles de Prévèze au moment de la victoire sur les Rebelles Noirs lors de leur première tentative d’invasion.

Votre réveil dont je n’ai jamais douté arrive donc à point nommé car vous allez pouvoir repartir et réécrire une nouvelle page de votre histoire ! »