Viruk, le Loup Noir Sanstitre4ou7


Contemplant la vue magnifique et placide qui s’ouvrait à ses yeux, Viruk se senti imbibé d’un calme revigorant, ici en terres désolées de Prévèze. Depuis le balcon en chêne noir de la terrasse de la caserne, il avait une vue plongeante sur les plaines de l’Est où les villageois s’affairaient à leurs tâches quotidiennes et où les loups gris, ces soldats, patrouillaient le long des chemins parcourant son modeste territoire. A l’Ouest et au Sud, les montagnes brunes de Prévèze s’apparentaient à un colossal bouclier de bois. Durant ces jours passés en ce lieu, il ne s’était jamais lassé de ces terres.

Aujourd’hui il était le Seigneur du village de Têtes-de-loup, un parmi tant d’autre dans la province. Guerrier depuis toujours, il aimait regarder ses hommes s’entrainer et passait la majeure partie de son temps reculer dans ses appartements, laissant le soin à sa milice de répandre la loi, le plus souvent par les armes. D’un naturel sombre et lunatique il ne s’exprimait guère et attendait patiemment qu’un évènement imprévu se passe, libérant enfin son âme désireuse d’évasions et d’engagements.

De gros nuages noirs s’amoncelaient dans le ciel, la vive lumière extérieure diminua subitement et un vent frais vint heurter les murs de la bâtisse.


*Brak aurait-il entendu mon appel ?* Pensa-t-il en regardant l’orage arrivé sur la forteresse.

Un homme s’approcha et s’arrêta à quelques mètres de la silhouette emmitouflée dans une fourrure de loup. Il arborait une lourde armure d’un métal terne arborant l’emblème de Têtes-de-loup, une estampe stylisée représentant une tête de loup de couleur rouge. Dans son dos était accrochée une longue épée à deux mains.


- Que veux-tu Ragnar? fit Viruk sans se retourner.

- Bonjour Loup Noir. Puis-je me joindre à toi en cette matinée?

- Fait donc, répondit Viruk.

Ragnar était le capitaine des griffes sanglantes, la garde personnelle de Viruk, le guerrier le plus doué de Têtes-de-loup et à quarante-six ans le doyen de la section armée du village. Il s’accouda au balcon, à quelques pas de Viruk, les yeux fixés sur l’horizon.


- Les griffes ne devraient plus tarder à rentrer maintenant, fit le vétéran.

Les deux hommes restèrent plusieurs minutes sans dire mots, côte à côte. Le visage de Viruk était fin et dépourvu de défauts alors que les traits marqués de Ragnar indiquaient qu'il parcourait ce monde depuis des lunes et que sa jeunesse était depuis longtemps derrière lui. On pouvait comparer le capitaine à un bœuf avec ses épaules larges et une carrure faite sur mesure pour le combat en mêlée. Sa peau tannée et ses cheveux terreux évoquaient son passé en Prévèze, terre brulée par le soleil. Mais derrière cette masse se cachait un être sensible, d’une intelligence rare pour un guerrier. Il était le stratège de Têtes-de-loup, l’être vers qui tout le monde se tournait en cas de problème et personne n’osait défier l’homme charismatique et serein qu’il était devenu après une vie de guerres et de sang.

Viruk était plus élancé, plus sec, taillé pour les duels et l’endurance. Il avait le teint pâle et l’air sombre, ses yeux verts contrastaient avec sa chevelure noire. Son armure obscur teintée de reflets bleus nuit renforçait le côté ténébreux du Loup Noir. L’histoire disait qu’il fallait être cruel et sinistre pour régner et être écouté dans la province. La plupart des habitants du village pensaient cela de leur Seigneur. Quelque soit la vérité sur Viruk, il était mieux pour tout le monde que ces traits soient palpables… la loi du plus fort comme certains disent.

Les deux guerriers n’étaient pas amis, mais le respect qu’ils avaient l’un pour l’autre compensait largement le sentiment d’amitié.

- Tu sais Ragnar, je me suis toujours demandé pourquoi tu ne t’étais pas dressé contre moi le jour de mon arrivée en cet endroit. Combattre Maalis était déjàune aubaine pour moi mais je pensais que ce serait ma dernière action en ce monde. Il a été stupide d’accepter ce duel même si mon état présageait un combat facile pour lui. Viruk se redressa, sa main gantelée venant agripper la rambarde du balcon. Mais après, une fois devenu le nouveau Seigneur tu es resté impassible. La mort de Maalis t’était indifférente, pourquoi pas, mais tu es plus fort et plus doué que moi, un coup d’estoc et tu aurais prit les reines du village. Et ne me dit pas que le pouvoir ne t’intéressait pas !

Ragnar esquissa un sourire avant de prendre la parole.

- Ce serait mentir Seigneur. En effet j’ai pensé à te combattre et m’emparer de la direction du village. Quelque chose en toi m’en a dissuadé, comme si le moment de ta mort n’était pas venu, comme si c’était mon devoir de te laisser une chance de… vivre. Sachant que rien ne pressait et que je pouvais te combattre plus tard je ne me suis pas inquiété.

Viruk se souvint de ce moment, où après avoir décapité l’ancien chef du village il avait regardé Ragnar dans les yeux, attendant sa fin. Le vétéran avait réprimandé un début d’insurrection parmi ses soldats avant de fixer Viruk à nouveau. Puis il s’était incliné calmement devant le nouveau Seigneur et quitta la zone du duel.

- Le ferais-tu aujourd’hui ? demanda Viruk avec sérieux.

- Commander des troupes et les mener à la bataille me suffit. Je ne suis pas fait pour diriger, répondit le capitaine.

- Moi non plus…

Le regard de Ragnar se porta sur un aigle profitant des courants ascendants pour se reposer. Il reporta son attention sur l’horizon et reprit.

- C’était la bonne décision, tu as ancré des valeurs qui manquaient à notre communauté et Têtes-de-loup se porte beaucoup mieux que l’ancien Odhze L’héritage tribal que tu portes en toi a été bénéfique, comme cette idée de diviser les labeurs en groupes. Tu as annoncé aux paysans qu’ils devaient se secouer, que le responsable du groupe avait droit de vie et de mort sur eux. L’entente et la camaraderie en ont été renforcées et ce n’est pas par hasard. Les mesures rudes et fermes établies depuis ta prise de fonction ont apporté quelque chose de profitable.

Le tonnerre gronda dans le ciel obscur et Têtes-de-loup s’illumina peu à peu, des soldats allumant les torches disposées sur les façades des foyers. Ragnar se mit à rire.

- Et puis mets toi à ma place, je vois arriver un homme blessé, le bras complètement brulé et provoquer en duel le chef d’un village en Prévèze. Soit cet être est fou, soit il a une volonté de fer. Dans les deux cas le provoquer n’est peut être pas la meilleure solution. Tu as également décapité Maalis après deux attaques, tu peux dire que je suis plus fort, un duel se gagne avec l’esprit, ce n’est pas comme dans le feu d’une bataille… et tu as été entrainé pour ces combats.

Le vent souffla et Viruk resserra la fourrure autour de son coup. Il leva ses mains devant lui, et contempla son bras droit sur toute la longueur. Contrairement au gauche, la peau n’était pas visible, recouverte d’un métal fin fusionnant parfaitement avec le reste de l’armure. Il avait été brulé lors d’une invasion d’infernaux en Igoumen, alors qu’il était champion de la tribu des Têtes-de-loup.

Depuis sa naissance dans cette tribu, Viruk avait entrainé à l’art du combat et du duel. Les guerres étaient fréquentes en Igoumen et tous chefs de tribu aspiraient à un avenir glorieux. Les conflits se réglaient par des duels entre deux champions de tribus opposées. Le vainqueur apportait terres, gloire et richesses à son clan. Viruk avait été choisi pour représenter les Têtes-de-loup. Sa rapidité à mettre son ennemi à mort et ses nombreuses victoires lui valurent le nom de Loup Noir. Malgré sa réputation grandissante, il n’aimait guère tuer pour ce qu’il considérait comme de la politique et ses combats ne duraient jamais plus de quelques secondes. Il tuait sans émotions mais prenait un plaisir certain à faire ce pour quoi il avait été entrainé. Il n’était guère différent d’aujourd’hui, renfermé, calculateur et désireux de voir autre chose que le monde auquel il avait été confronté en Igoumen.

Il ne fallu pas attendre longtemps avant que se rêve se réalise…

Sa tribu avait été attaquée par un imposant groupe d’infernaux par une chaude soirée de pleine lune. Bien qu’habitué aux batailles, le clan des Têtes-de-loup fut massacré sans raisons apparentes par ces créatures des ténèbres. Les guerriers se défendirent comme des loups, tuants par dizaines les assaillants. Mais ils furent vite noyés sous la masse des attaquants et leur sort fut scellé lorsqu’un sorcier infernal fit parler sa magie en projetant des globes de feu sur les défenseurs. Les masures prirent feu, brulant instantanément femmes et enfants s’étant réfugiés à l’intérieur. Viruk, déjà blessé par de nombreuses entailles se protégea d’une orbe de feu en sautant derrière un arbre. Celui-ci implosa sous la chaleur et Viruk fut projeté hors de la scène des combats. Il reprit ses esprits quelques instants plus tard, son bras atrocement brulé par la magie noire du sorcier. Il pu assister aux derniers moments de son clan et aurait pu mourir en ce jour s’il n’avait pas résisté à l’envie de foncer dans le tas. Finalement il disparu dans la forêt de Maon laissant derrière lui les cris devenus aujourd'hui souvenirs. Il marcha pendant de nombreux jours, jusqu’à atteindre Prévèze et le village d’Odhze.

Son bras le lançait souvent, par moment cela était même insoutenable. Cet héritage ne disparaitrait jamais et le Loup Noir n’aurait d’autre choix que de vivre avec le reste de ces jours.

Il sourit et reposa ses bras sur la balustrade.

- C’était il y a quelque temps déjà, répondit Viruk.

Au loin trois silhouettes de cavaliers apparurent soulevant un petit nuage de poussière dans leurs sillages.

- Jamais en retard, quesque l’on ferait sans elles? plaisanta Ragnar

- La même chose, nos yeux prendraient simplement moins de plaisir. Va donc recueillir leur rapport, je veux être au fait des nouvelles de la région.

Le capitaine des Griffes Sanglantes inclina la tête et quitta le balcon de la caserne.

Viruk resta un long moment perdu dans ses pensées, il ne savait pas ce que le futur lui réservait mais il était certain qu’il irait à son encontre. Le temps passé à Têtes-de-loup arrivait à son terme et il ressentait de nouveau le besoin de faire quelque chose de sa vie.

- Le Loup Noir, il serait peut être temps que je le redevienne murmura-t-il alors que les premiers éclairs déchiraient le ciel de Prévèze.