Le soir commençait à obscurcir le ciel de Prévèze. Cela avait été une bien belle journée. Chaude et ensoleillée. Maëlle avait hâte d'atteindre une auberge. Sans jeu de mot concernant son anatomie, on aurait pu dire que le cheval sentait l'écurie.
En effet: la centauresse soulevait d'épais nuages de poussière à chaque mètre parcouru, trahissant l'ardeur qu'elle mettait à atteindre la promesse de quelques repos.
Cette mission du Basileus ne l'avait pas enthousiasmée. Voyager loin et seule était une première pour elle. Pourtant, toute son enfance avait été constellée de longs voyages au sein du troupeau. Mais ce n'était pas pareil. Elle n'avait fait que suivre la famille.
A vrai dire, le plus dur serait d'assumer les regards curieux qui se poseraient sur elle à son arrivée à Méthone. Rares devaient être les citadins ayant déjà vu un centaure.
Enfin, d'après le grand chef, la ville est entièrement sous le contrôle de la mystérieuse Hélèna, pensa-t-elle. Comment pouvait-elle être sous son contrôle durant son absence? Et qui est-elle, pour commencer?

Beaucoup de questions traversaient son esprit. Et les informations qu'elle avait pu glaner n'était pas pour la rassurer. Suivant les interlocuteurs, Hélèna passait pour une grande dame, femme entreprenante et énergique, capable de faire se relever un pays tel un phoenix de ses cendres. Tout comme on la lui avait décrite comme un tyran en puissance, assoiffée de sang et acquérant toujours plus de pouvoir pour son plaisir personnel. On la lui avait aussi dépeinte comme une femme douce, raffinée et compréhensive, mais douée d'un rare talent à la diplomatie et la politique, rusée comme un renard. Comme si elle avait toujours un coup d'avance.

Maintenant, qui croire?

Aller droit vers l'inconnu ne plaisait pas tant que ça à la centauresse. Mais attention, ce n'était les lieux encore inconnus qu'elle allait rencontrer qui l'intimidait. Non, loin de là.
C'était sa totale ignorance du caractère de la personne qu'elle devait seconder qui la dérangeait tant. Comme elle aurait aimée en savoir plus. Ne pas ressentir ce mélange d'excitation, de curiosité, d'appréhension et de peur...

Au sortir d'un bois, Maëlle découvrit un petit village coincé entre deux collines. Quelques champs abondamment irrigués par une rivière coulant non loin apportait une touche de vert à l'ensemble jaune sale fait de terre et de poussière qui enveloppait le paysage.
Prévèze n'était pas franchement réputée pour être une terre fertile.
Sable, terre, poussière. Prévèze.

La centauresse entra au petit trot dans le village, sous les yeux ahuris d'une poignée de badots. Elle ne leur accorda pas un regard et continua à chercher des yeux une auberge.
Une enseigne la fit sourire. Trouvée.
Elle entra donc, en se baissant afin de passer dans l'encadrement de la porte. Le patron la regarda entrer, médusé. Les quelques clients présent restèrent eux aussi bouche bée.

-Vous...Vous v'lez que'que chose?
Demanda l'aubergiste qui réussit à se ressaisir.
-Oui, j'aimerais un endroit pour me reposer durant la nuit ainsi que de quoi me restaurer.
-Euh...Et ben j'pense pas que...ahem...une chamb'e vous aille. Le...l'écurie, ça irait?
-Y a-t-il de la paille fraiche et suffisament de place pour que je puisse m'allonger?
-S'pourrait ben qu'oui.
-Alors ça me conviendra.
-Et pour l'nourriture?
-Je suis végétarienne.
-Végéta-quoi?
-Je ne mange que des légumes et des fruits.
-Ah bon...'Voulez que j'vous montre l'entrée des écuries?
-Je trouverais, merci.


Les écuries ne payaient pas de mine. Mais au moins, elles semblaient propres. Et elles avaient l'avantage d'être presque vide, si l'on faisait abstraction des deux chevaux qui y logeaient. Maëlle entra dans la bâtiment principal et se mit à chercher la paille qui lui servirait de lit pour la nuit.
Soudain, un petit bonhomme d'une dizaine d'année déboula en courant de derrière un box. Il s'arrêta net à la vue de Maëlle et resta pétrifié un moment. La centauresse lui sourit amicalement.

-Bonsoir, toi.
-Par...par tout les dieux!
-Je ne te veux aucun mal. Je cherche juste un endroit où dormir.
-Ce...c'est papa qui t'envoie?
-Tu es le fils de l'aubergiste?
-Ou...oui.
-C'est la première fois que tu voit un centaure, n'est-ce pas?
-Oui, madame.
-Je m'appelle Maëlle, et toi?
-Gahennd.
-Très heureuse de faire ta connaissance.


Gahennd s'avéra être un hôte très attentionné malgré son jeune âge. Il dénicha pour Maëlle un petit coin emplit de paille fraiche, agréable et assez confortable.
Sa curiosité envers la centauresse semblait sans bornes, même s'il n'osait le dire. Cela se lisait dans ses yeux. C'est lorsqu'il revint de la cuisine avec un panier de fruits, un pot remplit de soupe aux légumes et une miche de pain que Maëlle entreprit de répondre à ses questions.

-Vrai? Je peux?
-Bien sur.
Dit-elle en avalant un peu de soupe.
-D'où tu vient?
-Je viens d'Ald'Rhune.
-La grande ville? Elle est belle? Il y a beaucoup d'autres comme toi? Est-ce que c'est beau, la mer?
-Oula, doucement, je n'arriverais jamais à répondre à toutes tes questions.
Répondit Maëlle en riant. Je suppose qu'Ald'Rhune est une belle ville. A vrai dire, je n'en ai pas vu d'autre, je ne peux pas comparer. Et oui, il y a d'autres centaures à Ald'Rhune, je ne suis pas seule. Enfin, oui, la mer, c'est beau. C'est bleu et toujours en mouvement.
-Comme le sable quand il y a du vent?
-Presque, mais en plus doux et paisible.
-Tu vas loin?
Demanda le jeune garçon en croquant dans un morceau de pain.
-Je vais à Méthone. C'est loin, d'après toi?
-Un peu, c'est à deux jours de marche!
-Et pour moi, tu dirait combien?
-Ah, euh...Ben, disons qu'ça ferait une journée. Pourquoi tu y vas?
-Je vais y rencontrer la palatine et me mettre à son service.
-Tu connait la nouvelle palatine?
-Pas encore. Mais ça ne saurait tarder...


La conversation dura longuement, jusqu'à ce que l'aubergiste vienne chercher son fils pour aller dormir. Maëlle glissa quelques pièces pour payer son repas et régler pour sa "chambre".
Puis, une fois seule, elle s'alongea et sortit sa couverture de voyage. Elle la jeta sur elle et s'y pelotonna. Elle s'endormit rapidement, éreintée par sa longue chevauchée depuis la cité aux murs blancs.

Lorsqu'elle se réveilla le lendemain, vers 8h, elle était en pleine forme. Prête pour une nouvelle journée de route en direction de la capitale Prévèzienne.
Au moment de se relever, Maëlle sentit quelque chose contre elle. Quelque chose de chaud qui émettait un petit ronflement.
Gahennd avait quitté son lit et avait décidé de passer la nuit contre le flanc chaud de sa nouvelle amie.
La centauresse lui caressa doucement les cheveux avant de sortir un papier et un crayon de voyage. Elle traça quelques mots à l'attention du jeune garçon, avant de déposer le papier entre les mains du dormeur.
Maëlle se releva alors doucement, en essayant de ne pas déranger Gahennd.

Une fois ses affaires rassemblées et de retour dans les sacs de voyage lui battant les flancs, la centauresse aux cheveux blonds reprit la route de Méthone...