Tol Aëna, il y était de retour depuis qu'il avait confié à haute voix sa volonté de servir. L’ombre des branches nues se découpait sur le sol du hall du pavillon du chêne d'or, lieu de résidence forestière du guide du peuple elfique, creusant de profondes entailles dans les rayons du rare soleil de cette fin d’hiver dans la fôret d'Adrien qui dardait le cœur du centre politique de Nienna, sa capitale sylvaine. Les dalles ainsi éclairées d'un extraordinaire naturel semblaient taillées dans la lumière, et les reflets des fleurs de givre encore accrochées à la vitre immense devenaient les maladresses des divins tailleurs de cette œuvre. Il n’y avait un bruit, si ce n’est celui des oiseaux qui osaient timidement chercher la chaleur renaissante, et dont la porte entrouverte laissait entrer leur petits pépiéments joyeux. Tout n’était que transparence, douceur, et espoir nouveau en cette matinée d’un printemps essoufflé, l’arrivée des beaux jours comme d’habitude porteuse de promesses, de bonnes nouvelles.

C’est en ce matin là que les quelques silhouettes elfiques presque irréelles, habillées de l’éclat enchanteur, virent apparaître les contours d’une personnalité oubliée depuis son exil volontaire. La porte s’ouvrit sur une cape grise de verte, dont se détachait une main si blanche qu’elle eut put être façonnée à même la neige. Une autre main s’échappa de sous l’épais tissu et abaissa la vieille capuche auréolée d'herbes du vêtement, pour libérer une rivière de cheveux nâcres où de facétieux miroitement de lumière jouaient à cache-cache. Ecartant d’un coup de tête les flots neigeux qui noyaient son visage immaculé d'impureté, le nouveau venu, un Elfe, dévoila celui-ci. Jund Arakasï criait-on. Il était de nouveau parmi les siens. Les traits fins, une peau plus claire que jamais, pointillée d'aucune tâches venant avec l'écoulement du temps, et deux grands yeux lissés d’un gris hiémal. Ceux-ci retenaient le plus l’attention, notamment par la lueur de défi qui y naquit au moment où les premiers regards curieux, enthousiaste s’y perdirent.

Les longs doigts de l'Elfe à l'âge indéterminé couraient sur une cordelette brune, sa ceinture achoppant de nombreuses fioles au contenu inconnu, s’enroulant tantôt dedans, tantôt dessus, comme s'il éprouvait le plus grand malaise à rester immobile devant la fixité des regards portés sur sa personne. Mais bientôt, dissipant ce sentiment inutile de malaise, l'Elfe déborda la foule de confrères jusqu'à ses appartements, là ou nul n'autre que lui n'avait jamais osé foulé pieds.

Il allait nu-pieds, et n’était vêtu que de haillons de toile, dévoilant ça et là sa peau albe. La teinte de son corps, loin d’être uniforme et lisse, changeait selon les endroits ou il se rendait, allant du plus obscur au plus clair. Les relents de son identité de rôdeur continuaient d'assurer l'énigme de sa personne et de ses pensées insaisissables.


Et soudain, contre toute attente, dans un sifflement félin, une agile silhouette se redressa et lui sauta à la gorge. Une jeune femme aux oreilles aussi effilées, au regard aussi acéré que les siens, ses bras délicats entourant son cou. Elle le noya de baisers tandis qu'il l'accueillait contre lui, surpris par tant de gaieté.


Qu'il y a t-il Rìan ? Pourquoi tant d'effusions, t'ais-je à ce point manquer ? Celle-ci, s'écarta en riant, et d'une mine enjouée lui chuchota :

Qu'aurais-je à me lamenter de me comporter ainsi ? Je vous aime Adan et vous m'aimez comme l'enfant que je suis. Alors ne nous perdons pas dans la futilité dans laquelle nous nous complaisons depuis toujours et qu'en d'autres moments mon coeur éprouverait grande joie à étayer. Vous vous fourvoyez. Elle reprit d'une voix plus excitée.


Adan, les résultats de l'éléction sont connus. Vous avez été choisi, vous êtes devenu l'Atari du Peuple d'Outre-Mer ! Le rêve est devenu réalité ! ne put t-elle s'empêcher de crier cette fois-ci, sa voix se répercutant en échos entre les murs du pavillon; malgré le point de vue commun sur lequel s'accordaient les Rôdeurs quant à la vertue d'une intonation basse et parfaitement maîtrisée. Arakasï accueillit la nouvelle avec calme, sans réaction manifeste. Et pourtant il exultait, son coeur bondissait dans sa poitrine. Un regard en biais vers l'enfant qui le gratifiait d'un sourire déconcertant, et sans sourciller, sans mot dire, il s'agenouilla lentement au sol.

Les yeux fermés, comme soudain assoupi, il sussura d'une douceur touchante :


Area Indi Naïahyel.

Bénis soient ceux qui m'ont portés aux nues du haut de leur confiance et de leur dévouement. J'entends oeuvrer à ne pas les décevoir. Qu'Adrien, mère de toute vie m'accorde sa grâce, qu'éternellement jusqu'à ma fin, je puisse les chérir, leur offrir et les protéger. Pour l'honneur de servir la Nation.