Asaemos se glissa parmi les hommes debout sur les banquètes de bois tel une ombre. Certains le regardaient d’un air indifférent comme s’il s’agissait d’un simple valet d’autres le suivaient du regard, l’œil méfiant, jusqu'à perte de vue. Ironiquement Asaemos s’était étonné que personne n’ait encore hurlé avec frayeur : « À l’assassin ! » étant donné son sombre profil et les préjugés de la populace. Il s’en contentait au possible, si le fait d’avoir passé dix sept ans dans l’ombre du trône lui avait enseigné la discrétion, passer inaperçu devant des centaines de roturiers était pour le mois complexe pour le meilleur des assassins. Parvenu au centre des gradins, il se faufila jusqu’aux loges royales où l’on avait la meilleure vue sur les joutes qui se déroulaient au centre de la plaine. Il fut stoppé par un grand soldat armé d’un curieux marteau à bec de faucon et d’un énorme pavois sur lequel il était appuyé.
_« Hep ! Toi ! Tu vas où comme ça ? » Demanda t-il d’une voix forte.
Le soldat le dépassait d’une tête et demi, non pas parce qu’Asaemos était gringalet, mais parce qu’il se tenait et se déplaçait courbé tel un bossu. Il mima un large geste avec un chapeau invisible devant le garde, toujours courbé.
_« Par ma foi je ne suis qu’un humble serviteur du roi, le moins du monde animé de mauvaises intentions. » Répondit Asaemos d’un ton venimeux.
Il répéta sa courbette exagérée sans jeter un œil au garde. Et celui-ci le regarda d’en haut d’un ait hésitant.
_« Ouais, bon, bah vas-y. » Finit t-il par répondre.
_ « Je vous en remercie, mon cher… »
Asaemos fila tel un serpent à travers la foule de nobles et de pages jusqu’un trône. De là, il se plaça au côté du Duc Lorriplin, dirigeant du duché d’Itley. Mais, cette fois-ci, au lieu de glisser sournoisement quelques rapports de corruption et autres il susurra simplement :
_ « Adieu, monseigneur, et merci pour tout. »
_ « Pardon ? » Répondit le Duc avec étonnement.
Il eut à peine le temps d’apercevoir un rai de lumière argenté et une dague fine comme une lame de rasoir lui traversa la nuque lentement et silencieusement.
Ce moment, Asaemos l’avait préparé depuis plus de cinq ans. Il projetait d’assassiner le Duc bien avant que celui-ci le prenne pour espion et conseiller. Le Duc Lorriplin lui faisait aveuglément confiance, croyant avoir tiré d’un milieu modeste un homme sur le déclin, sans ambition mais doué pour tout ce qui touchait à l’illégal. Il s’était trompé sur toute la ligne. Asaemos n’était pas un simple roturier. Mais un homme ambitieux, machiavélique, assoiffé de pouvoir, qui léchait les bottes de Lorriplin pour s’attirer sa confiance, connaître ses projets, ses secrets et pour un beau jour, prendre sa place sur le trône.
A ce moment là un noble vêtu de manière extravagante, le chambellan, se retourna vers le Duc.
_ « Un coup particulièrement bien placé, vous ne trouvez pas ? » Déclara-t-il d’un ton joyeux.
Mais son sourire s’effaça peu à peu jusqu'à afficher une expression de pure horreur.
_ « À moi ! À l’assassin ! Le Duc a été assassiné ! »
_ « Cela m’a tout l’air d’une bonne épée, sergent, habituellement réservée aux gradés si je ne m’abuse ? » Demanda Asaemos au soldat qui gardait l’entrée des lices.
_ « Eh bien oui, répondit le soldat d’un air suffisant, il se trouve qu’un proche de l’épouse de mon frère, qui est marchand au port du nord de la côte à un ami qui tiens une forge. Alors… »
_ « C’est un heureux hasard n’est-ce pas ? Continua Asaemos avec douceur. Puis-je jeter un œil à cette lame ? Il se trouve que je suis expert en la matière… »
Le soldat lui tendit la garde de l’épée qu’Asaemos prit dans sa main et tira avec vigueur, dévoilant la longue lame affûtée. Au même moment on entendit des cris en haut des gradins, la foule paniquée courrait dans tous les sent et on hurlait : « A l’assassin ! ». Le soldat leva la tête pour localiser le tumulte. Asaemos jeta un rapide regard derrière lui et il suffit à le pousser à se retirer.
Il dépassa le garde le plus discrètement possible mais celui-ci le rattrapa deux pas plus loin.
_ « Hep ! Toi, mon épée »
Asaemos jeta un rapide coup d’œil à l’épée et amorça un moulinet qui prit le soldat de vitesse et l’entailla profondément de bas en haut. Le sergent se détourna sous la violence du coup et atterrit à terre, immobile, le sang se rependant sur les défauts du sol de bois.
La foule qui se tenait à proximité s’arrêta net sous le coup de la surprise, et repartit de plus belle dans la direction opposée en hurlant et en levant les bras au ciel.
Asaemos fut très vite encerclé par un groupe de gardes épaulés par quelques chevaliers ayant abandonné les joutes par manque de public. Mais faute d’en avoir l’apparence Asaemos Virev était lui aussi chevalier. Il se redressa, abandonnant son aspect de bossus louche et leva son épée, prêt au combat. Il distribua des coups à droite et à gauche tel un loup encerclé de chasseur, se battant jusqu'à la mort, tuant le plus possible avant de se faire tuer.
Le temps d’un battement de cœur et Asaemos comprit ce qui lui arrivait. Le goupillon ferré de la masse d’un des chevaliers fondait sur ses côtes sans qu’il ait la possibilité de le retenir. Tout ralentit autour de lui. Le coup atteignit sa cible. Asaemos ferma les yeux dans sa dernière prière dédiée à Hassar. Il sourit.
Au lieu de produire un atroce son de craquement comme l’agresseur si attendait le visage triomphant, la lourde masse produisit un crissement d’acier froissé et le choc se répercuta dans le bras du chevalier. Son arme lui échappa des mains. Asaemos tituba sous le choc, indemne. Il heurta violemment le portail de bois qui fermait l’accès aux lices, produisant un autre bruit métallique.
Tous ses agresseurs le regardèrent ébahis alors que d’autres venaient à la rescousse. Asaemos reprit ses esprits, empoigna son épée fendue et ensanglantée, la leva au dessus de lui et dans un cri rauque l’abattit sur l’armet du chevalier qui leva les bras au dessus de sa tête, espérant parer le coup. Mais ses poignets cédèrent aussi bien que son armet, qui se fendit.
Asaemos se retourna et s’enfuit en titubant, laissant l’épée dans le crane du chevalier qui s’effondra sur ses camarades. Le combat ne s’arrêta pas là, les assaillants poursuivirent Asaemos parmi la foule en fuite. Ralentis par leurs lourdes armures, ils ne tardèrent pas à perdre la trace du criminel. L’ordre fut donné à la milice de rechercher l’homme dans toute la ville et de fermer les portes, la rumeur avait vite fait le tour de la cité et commençait à s’éparpiller dans tout le royaume. On disait que le nouveau seigneur des lieux se nommait Valev, Asaemos Valev. Seul conseiller d’un roi sans descendance. La noblesse d’Itley s’opposait à ce couronnement et optait plutôt pour choisir un homme de plus haute lignée que ce parvenu qui avait poussé le roi à sa perte. Mais gouverner, c'est mettre vos sujets hors d'état de vous nuire et même d'y penser, et toutes les choses sont compliquées, même lorsqu'elles se résument à la plus primaire des actions humaines : tuer son semblable.