Le groupe mangea un bon repas préparé par l’Ardonien après qu’il ait écouté les autres. Ensuite, le ventre rempli, il raconta son passé de manière brève. Il rajouta ses plans pour la suite du voyage.
Dès le lendemain il les mis à exécution. Et, cela commença par des exercices, des simulations de combat pendant le trajet vers les proches montagnes et sa rivière et les pauses.
Le plus important de l’entraînement fut le positionnement. D’abord se placer correctement et rapidement au signal du guerrier. Et ce, quelque fut l’instant. La plus lamentable tentative eut lieu juste après le repas de midi le lendemain du départ. L’Ardonien rappela tout le monde à l’ordre et expliqua rapidement ce qui n’allait pas. Ces erreurs ne furent plus répétées.
Concernant Shog, l’humain passa un peu de temps le soir à lui enseigner quelques parades et autres mouvements défensifs. Le gobelin, bien que sortant épuisé et en sueur de la séance, apprécia l’attention qu’on lui portait. Le verdâtre avait aussi une autre mission, celle de simuler les embuscades.
Les minotaures, eux, savaient très bien se battre mais individuellement. Le plus gros travail fut donc de coordonner les actions.
Exhyl éprouva de grandes difficultés pour le travail en équipe. Il avait les dernières années opéré en solitaire, et même les dernières semaines n’avaient encore pu changer cet état de fait. Il se fit donc violence et parvint à commencer à s’adapter à l’organisation de groupe. Seulement, la transformation ne se ferait pas en quelques jours seulement.
Feldret fut plus récalcitrant encore. Sa profession était solitaire et nécessitait la solitude. Il exécutait à merveille – dans la mesure de ses capacités – les mouvements. Cependant, ils n’étaient pas réalisés en harmonie avec les autres. Quelque chose paraissait bloquer le minotaure, l’empêchait de faire des efforts pour s’intégrer. De lointains souvenirs désagréables désiraient revenir à la surface. Ces réminiscences étaient dues au travail en groupe.
Heureusement, pour la compagnie, aucun incident ne fut à déclarer lors de la marche jusqu’à la première étape.
L’Ardonien parvint à y trouver une embarcation qui les emmènerait près de la frontière de Zakinthe. Cependant, son moyen de paiement fut mal accueilli. Sauf de Shog qui apprécia à nouveau le qualificatif donné par leur guide.
Sans se faire prier, le gobelin s’installa à la place du batteur. Il n’y avait pas de baguette pour taper sur les peaux tendues. Il devrait donc se contenter de ses mains.
Exhyl s’installa en maugréant. Feldret ne dit mot. Cela lui permettrait de repousser le passé désirant se rappeler à son mauvais souvenir.
« On va pouvoir apprécier le ramage d’Exhyl. Et entendre les battements du gobelin. »
« Yé né souis pas sour qué Exhyl apprécie dé ramer loui. Yé pènse aussi que el gobélin né va pas jouer dé la mousique. Il va taper les percoussions pour qué les rameurs avancent ensemble. »
Le babillage inutile des consciences n’avait nullement manqué à Exhyl. Au contraire. Il espérait qu’il n’aurait pas à en supporter trop sinon il ne répondrait de rien.
Puis, le capitaine donna le signal du départ.
Le verdâtre commença à taper sur les percussions en essayant d’être régulier. Le second dut justement le seconder le premier jour. A la fin de cette journée, le gobelin battait comme il le fallait. La première heure à taper avec ses mains fut assez plaisante. Les heures suivantes furent plus douloureuses pour ses paumes.
Les minotaures ramèrent donc au rythme imposé par Shog. Tirer. Soulever. Pousser. Plonger. Encore et encore. Inlassablement. L’effort sollicitait les mains et les paumes, les bras, les jambes et évidemment le reste du corps.
Ils travaillèrent jusqu’à la tombée de la nuit. A ce moment-là, ils eurent le droit de prendre du repos. Notion très relative. Car, dès un maigre repas avalé, le guerrier les entretint à nouveau sur les combats et leur gestion. Il força même Shog à s’entrainer malgré ses mains endolories.
L’entraînement théorique et pratique terminé, les trois sriverains partirent se coucher. Ils avaient le droit de dormir dans le quartier des matelots. Sous le pont, dans des hamacs suspendus ou sur des paillasses aussi dures que le bois sur lequel elles reposaient.
La traversée continua ainsi pendant quatre autres jours.
Bien que la tâche du gobelin soit simple, il n’en était pas moins épuisé à chaque fois. Il était de plus en plus crevé. Mais, il n’osait le signaler. Heureusement, que les nuits étaient reposantes, même si trop courtes à son goût.
Le jour, les minotaures ramaient, et la nuit par sécurité, à cause de la trop faible lueur lunaire, le capitaine faisait jeter l’ancre près du rivage.
Cependant, la cinquième nuit, la lune sembla suffisamment éclairante pour la navigation nocturne. Le capitaine accorda leur repos à ses passagers travailleurs et laissa le courant et son barreur se charger de la progression du navire. Et cela sous la surveillance de la vigie.
En naviguant ainsi toute la nuit, ils devraient rallier leur destination avant le lendemain midi.
Malheureusement, le traître courant projeta le navire contre un rocher affleurant la surface. La vigie n’eut que le temps de laisser un cri de prévention que l’embarcation percuta l’obstacle. Un craquement déchira le silence de la nuit. La coque avait été lacérée sous la ligne de flottaison du côté tribord.
Aussitôt, l’effervescence s’empara du bateau. L’équipage s’affaira dans un premier temps à boucher la plaie béante. Lorsqu’ils se rendirent compte de la vacuité de leurs efforts, le capitaine ordonna que l’on échoue le navire sur une rive. Le barreur, d’une main experte, y parvint sans effort.
Dès la rive atteinte, de nouveaux ordres fusèrent. Il fallait sauver la cargaison et donc la décharger rapidement. Donc, les voyageurs, l’Ardonien compris, furent mis à contribution.
Mais, quelque chose turlupinait le capitaine. Depuis le temps qu’il naviguait sur cette rivière, jamais un incident de ce genre n'avait eu lieu. Il connaissait les eaux par cœur y compris l’emplacement de tous les rochers pouvant trouer sa coque. Il y avait anguille sous roche. Il en vint à la conclusion que cela n’était pas naturel. On avait déplacé d’une manière ou d’une autre ce rocher pour échouer les navires.
L’homme jeta un regard affolé autour de lui. Il ne vit que l’activité frénétique de ses hommes vidant le petit vaisseau tandis que celui-ci s’enfonçait lentement dans les eaux. Au loin pourtant, il crut discerner les contours d’un bosquet. Le supposé groupement d’arbres se situait sur la mauvaise rive. Celle sur laquelle il venait d’échouer. Mais, sur l’autre, il devina le relief de collines.
Il chercha son second et l’informa de ses déductions. Ce dernier, ayant reçu une maigre éducation militaire décida de protéger les manœuvres avec quelques personnes. Il ne put prendre que quatre membres d’équipages pour s’occuper de la défense. Ce qui faisait qu’il n’en restait qu’une demi-douzaine en plus de lui-même et du capitaine, ainsi que les quatre passagers.
Soudain, alors que plus de la moitié de la cargaison était sur la terre ferme, un cri s’éleva dans les airs. Un hurlement inhumain, un cri de guerre orc, provenant du bosquet. Aussitôt, un bruit de pas chargeant le suivit. Puis, une flèche venant du côté opposé siffla et se ficha dans le mollet d’un matelot qui s’effondra avec sa charge en criant de douleur.