Le Monde de Kalamaï
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descriptionA l'orée de Mésomnon EmptyA l'orée de Mésomnon

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Étape précédente


Le voyage avait repris, la bonne humeur régnait.

Ils avaient cheminé gaiement sur la route pavée pendant quelques jours, en discutant et en chantant, en riant avec complicité des aventures qu’ils avaient déjà traversées. Grognar avait adopté le rythme de l’Ardonien et des ses courtes jambes, et acceptait sans râler d’aller d’un pas pour lui traînant.

Biquette était aux anges devant une telle entente et galopait de bonheur dans les hautes herbes et les coquelicots qui bordaient la large route, à quelques pas d’eux. Elle rongeait avec gourmandise le soir, autour du feu de camp les os qu’on lui abandonnait, restes des repas constitués des proies que le géant ramenaient infailliblement. Et elle s’endormait contre l’un ou contre l’autre, en se laissant bercer par le calme retrouvé de sa douce vie de chien.

Ainsi s’écoulèrent les journées et les nuits, dans le plaisir partagé de deux solitudes qui s’étaient trouvés, dans la délectation joyeuse de deux solitaires qui évitaient le monde.

Et ils parvinrent enfin à la frontière avec Mésomnon. Leur périple touchait à sa fin, ils allaient enfin entrer dans le cœur de leur mission, dans le feu tant attendu de l’action.

Un seul problème restait à régler, et non des moindres : percer le mur épais de la quarantaine… La Province était fermée, cadenassée, aucune entrée ni sortie n’était possible et les deux compères s’attendaient à des difficultés pour convaincre des soldats par définition bornés du bien-fondé de leur intervention.

Face à eux, à une centaine de toises, un poste de contrôle solidement gardé barrait la voie.

Une pause s’imposait, pour réfléchir à la manière de tromper la garde. La manière forte fut envisagée la première, comme toujours, puis rejetée pour le risque qu’elle comportait de se voir lâcher aux fesses toute l’armée de Mésomnon.

Il faudrait faire preuve de finesse et de subtilité et là, les deux amis se heurtaient à un obstacle qui débordait le champ de leurs compétences…

Grognar se tint silencieux pendant un long moment. Sa face se couvrit de grimaces en tous genres, il devint rouge, se tordait comme s’il souffrait beaucoup, s’assit par terre, abattu par une apparente fatigue insondable…

Circonspect, l’Ardonien le regardait avec une légère inquiétude. Les champignons qu’ils avaient ingérés à leur dernier repas pouvaient-ils être la cause de ce malaise ? Grognar, en homme des bois, avait l’œil sûr et expert du cueilleur de girolles, mais se pouvait-il que pour une fois, il se fût trompé, et qu’il ait ramassé par mégarde des moisissures toxiques ?

Il trembla un instant en pensant qu’il existait des champignons hallucinogènes, et que ce benêt de géant était bien capable de s’être une fois encore drogué à son insu…

Puis, il se ravisa et songea qu’il en avait consommé lui aussi une grande quantité et qu’il ne ressentait aucun symptôme.

Il ne voyait donc aucune raison qui justifiait que son compagnon plisse les yeux en les faisant rentrer dans le fond de leur orbite, que d’épaisses gouttes de sueur s’écoulent lentement sur la luisance de son crâne lisse, que ses narines se pincent et se dilatent successivement avec rapidité, comme pour une hypoventilation…
Puis, soudain, le géant parut reprendre son souffle et ses esprits et il se leva d’un bond, exposant sans vergogne ses dents sales et entartrées dans un atroce sourire qui constituait ce qu’il avait de plus agréable dans sa panoplie de sourires.

- J’ai un plan ! s’écria-t-il fièrement.

L’Ardonien en resta coi ! Ses jambes flageolaient, ses bras manquèrent de tomber au sol, sa bouche s’ouvrit toute grande de stupeur.

- Toi, gros, tu as un plan ?!?!?!?!

Grognar eut un petit rire timide et gêné de première communiante, conscient lui-même de l’aberration de cette affirmation.

- Oui ! Laisse-moi faire, je vais agir avec "talc" et "diplôme aussi" !

Sans un mot supplémentaire, fier de son futur tour dont il voulait préserver la surprise à son comparse, il s’élança d’un pas vif jusqu’au poste de garde, entraînant Biquette dans son sillage.

Méfiant envers son tact et échaudé par sa diplomatie, l’Ardonien courut à sa suite.

En quelques secondes, Grognar s’était porté à la hauteur des sentinelles qui veillaient là et qui le regardèrent arriver sous des paupières fatiguées de tant de journées de veille inutiles, pour garder l’accès d’une frontière que plus personne n’essayait de franchir tant on savait que les ordres du Palatin étaient inflexibles.

Par son ton et son attitude, Grognar tenta de se faire le plus aimable possible, ce qui, on s’en doute, ne lui permit que d’effleurer les limites inférieures de l’amabilité.

- Bien le bonjour, mes bons messieurs ! Mon ami et moi-même souhaiterions nous rendre à Orchomène…

- Pas possible ! Quarantaine ! répondit mécaniquement un des deux soldats, ne le laissant pas finir sa phrase.

- Je sais bien, je sais bien ! Mais nous avons une mission importante… Nous devons livrer cette biquette que vous voyez-là…

- Pas possible ! Quarantaine ! répéta tout aussi machinalement le deuxième soldat, interrompant une nouvelle fois Grognar.

Un léger picotement d’agacement commença de parcourir l’échine du géant… Il lutta contre lui-même pour s’en tenir à ses bonnes résolutions et chassa l’idée qu’il aurait bien finit sa phrase à coups de taloches.

- Bon, je suis pas en train de vous dire que je veux entrer ! reprit-il d’un ton un poil plus ferme, en serrant dans sa main sa baguette à pointes, ce qui avait pour effet de le calmer comme la présence rassurante d’un doudou apaise les enfants. Je vous dis juste que cet animal doit à tout prix être livré au Palatin de Mésomnon… Donc, si on peut pas le faire nous-même, auriez-vous la bonté d’assurer la livraison ?

L’Ardonien restait un pas en arrière, sidéré par la maîtrise nerveuse de Grognar et par son utilisation de tant de mots. Le géant continuait :

- La quarantaine s’applique aux gens qui parlent, mais pas aux bestioles, sauf erreur de ma part.

Les deux gardes se lancèrent des coups d’œil affolés. Ils se trouvaient dans l’expectative. Les consignes du Palatin n’étaient pas claires sur ce point. Il y avait un cruel vide juridique qui les plaçait dans une situation délicate : la quarantaine s’appliquait-elle aux chèvres ?

Ils jugèrent qu’ils n’étaient pas en mesure de trancher et préférèrent s’en remettre aux ordres de leur sous-officier forcément plus à même de réfléchir.

A peine !

Le sous-officier en charge de ce poste de garde éprouva de douloureuses migraines lui aussi devant cette pénible incertitude. Et puis, finalement, il se résolut à laisser entrer Biquette.

- Soit ! dit-il. La chèvre peut entrer mais ne comptez pas sur nous pour la livrer de suite. Dès que la relève arrivera, nous la ramènerons avec nous en rentrant à la capitale pour prendre notre repos.

Grognar demanda à son compagnon de rédiger une missive explicative sur un parchemin, ce qu’il aurait pu faire également puisqu’il savait lire et écrire mais qu’il ne fit pas parce que… Parce que bon !

Il roula la lettre et l’attacha au cou de la chèvre en tapotant sa tête avec émotion.

- On se retrouve bientôt Biquette ! T’inquiète pas, on sera pas loin, on bouge pas d’ici.

Et ce fut un spectacle déchirant que de voir Biquette gémir, retenue de l’autre côté de la frontière par une corde attachée à un poteau, pendant que Grognar et l’Ardonien installaient leur campement à quelques mètres d’elle, juste sous les moustaches des soldats.

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La chèvre filait à toute allure après un coup de maitre, un larcin digne des plus grands récits de Mo. Rice le Blanc. Elle avait infiltré un troupeau de chèvres sans même avoir vraiment travaillé son déguisement. Comme les fermiers avaient été contents de l’y voir, ils saluaient leur bonne fortune ces imbéciles.
Paysans !

A la nuit tombée, il ne lui avait pas fallu forcer ni ses talents ni son intelligence pour crocheter la serrure. Comme son grand maitre aurait été fier d’elle !!!! Le petit maitre aussi sans doute, mais il était moins démonstratif.
Elle s’était ensuite dirigée vers le poulailler et avait patiemment ouvert le grillage avec ses dents. Et les poulets bien gras n’avaient même pas eu peur ! Ça devait être des poulets paysans. La chèvre n’avait que du mépris pour pareille bêtise !

Puisque le grand maitre serait déjà fier d’elle pour la serrure, elle décida de rendre fier son petit maitre en créant une diversion. Elle revient dans l’enclos à chèvre et commença a mordre à belles dents toutes les cuisses qui se présentaient.
C’te panique !
Les chèvres fuirent à travers la porte ouverte et bêlaient à qui mieux mieux. Pendant ce temps, biquette retourna au poulailler et se prit le plus gros et plus juteux poulet qu’elle pu trouver avant de se barrer vite fait bien fait.

A présent, elle entendait ces imbéciles de paysans et leurs chiens lui donner la chasse. Mais elle avait beaucoup d’avance, et son endurance était très élevée après ses voyages avec ses maitres !

La poursuite dura un moment, mais ces chiens grassouillets et leurs maitres incapables finirent pas abandonner.

Biquette dégusta son poulet. C’est encore meilleur quand c’est finement gagné !

Il ne lui fallu pas longtemps après son repas pour rallier la frontière. Son grand maitre l’aperçu et couru vers elle en la félicitant. Comme c’était gentil de sa part !!! Pour la peine, elle lui fit la fête.
Son petit maitre retourna somnoler sous son chapeau, mais elle eut le temps de le voir sourire. Elle irait lui lécher la figure plus tard.

Elle était si contente !



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Précedemment

Par les gardes qui avaient servis de nourrice à Biquette, elle avait appris à quel poste-frontière on avait amené la chèvre et n’eut aucun mal à le rejoindre.

Par provocation, elle se posa de l’autre côté de la frontière, dans la Province de Naxopole et, à peine avait-elle posé le pied au sol qu’elle envoya la Velue se porter à la rencontre des soldats, déroulant sous leur nez le parchemin qui portait le sceau palatinal.

Biquette reconnut immédiatement celle qui l’avait secourue et se précipita vers elle, sautillant, se frottant contre ses jambes en remuant la queue. Lulyane sourit et caressa affectueusement la chèvre tout en parcourant du regard le campement de fortune de ses deux maîtres.

Un feu crépitait sur lequel rôtissait en grésillant quelques volailles, faisans ou dindes sauvages chassés dans les environs. Tout autour s’étalaient les affaires personnelles des deux compagnons, notamment les pièces démontées de la volumineuse armure de Grognar.

Avertis par le vent chaud que produisaient les ailes du Iltarn qui se posait, les deux campeurs avaient été surpris en pleine sieste et depuis quelques toises déjà, Lulyane avait pu percevoir les ronflements grondants comme une cascade du géant.

Mal réveillés, les yeux lourds, ils regardèrent l’arrivée de la jeune femme et la virent s’avancer vers eux.

Grognar se leva d’un bond, l’Ardonien prit son temps et choisit de ne pas rechausser son chapeau pour ne pas avoir à le réenlever. Son sens de la politesse lui commandait en effet de rester découvert devant une dame.

- Nom de Brak de bordel de Brak ! s’exclama Grognar. C’est dingue c’que vous ressemblez à votre soeur… Elle est tout à l’envers de vous avec ses cheveux jaunes et ses yeux clairs mais c’est à s’y "répandre".

- Méprendre ? tenta Lulyane avec un petit haussement de sourcil.

L’Ardonien était resté en arrière pour ne pas troubler les retrouvailles, ou plutôt les trouvailles puisqu’ils se voyaient pour la première fois…

Néanmoins, il se crut obligé de se faire l’interprète de son comparse et il eut vers Lulyane un petit geste qui signifiait quelque chose du genre : "Laissez tomber, il parle toujours comme ça !"

- Il semble donc, messieurs, que vous mettez beaucoup d’ardeur à me chercher…

- C’est surtout moi qui vous cherche… L’Air-de-Rien a décidé de me suivre partout mais ça fait rien, il est sympa… J’ai une lettre pour vous !

Il courut chercher dans sa besace qui traînait plus loin le message froissé, délavé que lui avait adressé le vampire comme testament.

Lulyane s’en empara, déplia le papier pour le lire avec attention.

Spoiler :


Elle prit un air grave ! Elle n’était pas certaine de tout comprendre et de savoir vraiment comment agir, contrairement à ce que croyait son créateur. Peut-être les choses lui apparaîtraient-elles plus clairement une fois arrivée à la Tour.

- Et bien, la situation paraît urgente. Je vous propose donc de nous mettre en route. Je suppose que vous me servirez d’escorte ? Et vous, Grognar, de guide ?

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Comme Grognar, L'Ardonien ne pu que reconnaitre l'air de famille entre la vampire et l'humaine qu'il avait brièvement rencontré. Mais, plus que Grognar, il cerna aussi les différences. La nouvelle venue était d'une grande beauté, du genre qui fait tourner les têtes sur son passage, mais au fond de son regard, on pouvait lire l'acier qu'elle renfermait, et c'est ce détail plus que sa plastique qui toucha l'Ardonien.

Les copropriétaires d'une montagne lointaine commencèrent alors à parler de leur chez eux au mépris du reste du monde. L'Ardonien, qui n'était pas un grand sensible, en profita pour se recoucher après avoir remis son précieux chapeau sur son nez.

Il écoutait distraitement la conversation tout en étant bercé par le crépitement du feu. Finalement, peut être n'allait-on pas le déranger avant le petit matin et pourrait-il profiter d'une dernière douce nuit avant de repartir vers des aventures, avec dans leurs bagages deux bonnes raisons de se choper encore plus d'ennuis, une vampire et une naine.

Biquette l'aime bien, elle doit avoir bon fond.

ça aurait pu être ses dernières pensées avant l'arrivée du sommeil.

Alors que ça précéda juste l'arrivée tonitruante de Grognar, suivi des deux femmes. Le géant expliquait que la partie guide de la troupe se résumerait surtout à "l'Air-de-rien".


Et bien mon gros, je suis peut être sympa, mais je trouve que tu me suis beaucoup non?

Il se redressa et releva son chapeau. La chèvre-chien vient lui faire une léchouille amicale avant de se coucher près du feu.


On m'appelle L'Ardonien. J'ai déjà regardé le trajet du retour. On va contourner par le sud, en évitant pas mal les villes et on devrait arriver rapidement à la capitale. En cas de besoin, nous pourrons faire halte à Basalte, nous y sommes passé à l'aller et le séjour s'est plutôt bien déroulé.

Vu comme ça, ça peut vous paraitre plus long, mais au final, on évitera pas mal d'embûches et on gagnera du temps. Ensuite, à partir de la capitale, Grognar connait le chemin jusque chez lui.


L'Ardonien fit une petite pause, pour voir s'il y avait des réactions à sa proposition. En réalité, la seule qui semblait être du genre meneuse plus que suiveuse était la dénomée Lulyane, et, pour le moment du moins, elle semblait s'en tenir à sa proposition comme quoi elle se faisait escorter.

Le guerrier s'adossa à un arbre proche, et invita les autres de la main à s'assoir également près du feu.



Prenez place je vous prie. La situation est urgente oui, mais pas au point que nous partions précipitamment. Le repas est encore chaud si vous avez faim, et il reste du café. Et je dois dire qu'après tout ce temps sur les routes, nous en sommes arrivé à le réussir vraiment bien. Le café du soir, nous le faisons toujours léger afin qu'il ne nous trouble pas le sommeil.


S'adressant à Lulyane:

Je ne suis pas un spécialiste du mode de vie des vampires de ce continent, mais il est fort possible que vous ne touchiez pas au café. Nous avons des prises encore fraiches par là bas qui devraient vous convenir, et quelques herbes si vous aimez votre sang en tisane.

Et sur ses paroles, il se servit une tasse. Il avait assez parlé, et entendait bien déguster son café qui humait un délicieux arôme. Il n'était pas du tout contre continuer la conversation, et apprendre à connaitre ceux aux cotés de qui il aurait peut être à combatte, mais il faudrait pour celà qu'ils prennent la parole en ce sens. Monologuer en hôte parfait, il tenait pas longtemps!

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L’Inconnu s’était montré prévenant et attentionné. Elle fut touchée qu’il pense à lui proposer quelques animaux vivants. Et cela tombait vraiment bien parce que son odeur humaine commençait à lui mettre sacrément l’eau à la bouche.

Elle ne voulait pas lui sauter à la gorge, d’abord parce qu’elle avait compris qu’il avait subi mille périls pour venir la secourir et que ça ne se fait pas de croquer ses bienfaiteurs même quand ils dégagent ce délicieux fumet, et ensuite parce qu’elle voulait toujours plus que tout s’en tenir à sa promesse de ne plus consommer d’humains.

- Merci de votre accueil, l’Ardonien, dit-elle simplement.

Le message du vampire avait fait resurgir en elle des souvenirs pénibles.

Ceux de cette nuit d’abord… Cette fameuse et funeste nuit… Qui avait commencée par être si horrible, si répugnante, si douloureuse, si insupportable… Et puis, si pleine d’espoir, de découvertes, de magie…

Ceux de son unique et chimérique amour aussi. Elle revoyait l’image de cet homme qui était tellement pour elle et qui l’avait trahie, abandonnée, mutilée…

Son regard se perdit dans le lointain, ses yeux se couvrirent d’une brume de tristesse insondable. Elle s’assit par terre devant le feu, en face de l’Ardonien.

Grognar se montrait penaud, intimidé et ne savait comment agir devant cette inconnue qui devenait à l’instant sa patronne. Il reprit les habitudes qu’il avait avec son maître précédent et se tenait en arrière, évitant d’approcher avant qu’elle ne l’y invite, évitant de parler avant qu’elle ne le questionne.

La Velue, elle, n’avait pas toutes ses pudeurs et c’est sans complexe qu’elle vint se servir une tasse de café et prendre place autour du foyer.

Lulyane ne disait rien. L’Ardonien sirotait son café à toutes petites gorgées en la regardant.

Elle quittait un péril pour se précipiter vers un autre et à cet instant, elle se sentait seule, si seule…

Si seulement son créateur était là pour l’aider, la guider, répondre aux milliers de questions qui se bousculaient dans son crâne !

Déposer son cœur dans la Tour… Mais comment ? Et pourrait-elle continuer à vivre sans son cœur ? Oui, bien sûr ! Il ne battait plus depuis longtemps, elle était déjà morte ! Et il ne lui servait plus à rien. Magnus n’en avait pas voulu, il l’avait rejetée et elle s’était juré que pas un autre n’y aurait accès.

Alors ?

Alors, et si tout cela était le destin... Si tout faisait partie d’un plan conçu de longue date... Et si le vampire ne s’était pas trouvé là par hasard ce soir-là ?

Elle chassa ses considérations qui, décidément, l’emmèneraient trop loin et se tourna vers Grognar.

- J’ai une mauvaise nouvelle pour vous… Votre employeur ne s’était pas trompé ! Et il n’est plus de ce monde !

Grognar haussa les épaules et courut fouiller dans sa besace pour en extirper le chiffon qui enveloppait la tête. Il tendit la boule de tissu à Lulyane, qui la saisit sans comprendre. Lentement, elle déballa l’objet et lentement surgit la tête tranchée du vampire. Lisse, au teint blanc, à la peau souple… Une tête morte qui avait l’air d’une tête vivante.

La Velue avait eu un geste de recul, Grognar souriait avec satisfaction et Lulyane ne broncha pas. Elle resta droite et impavide.

Mais dans son face-à-face avec celui qui lui avait rendu la vie, ou plutôt donné une autre vie, les images et les sensations l’assaillirent. Intérieurement, elle revécut avec précision ce moment où elle avait reçu le don de la nuit… Un héritage dont elle ne soupçonnait pas l’importance… Pas plus hier que maintenant…

Et elle revoyait la fureur froide de Magnus quand il avait jeté cette tête vers elle, avec ce rictus maudit et victorieux, avec ces yeux glacés et ce ton dédaigneux qui lui crachait au visage : "Va-t-en !"

Rien de cela ne se lisait sur son visage. Tout juste une petite perle orangée, colorée par les reflet des flammes, brillait-elle dans le coin de son œil.

- Je l’ai retrouvé qui pendouillait sur la porte du château d’un chevalier… gronda dans son dos la grosse voix de Grognar qui déchira le silence. Un chevalier que je vais aller aplatir pas plus tard que quand on sera rentrés.

Lulyane eut une grimace acerbe, un sourire distordu par la mémoire du malheur :

- Oui… Magnus aime bien accrocher des cadavres sur les portes…

Elle se leva d’un bond, avec cette rapidité non-humaine qui la caractérisait et qu’elle n’avait pas cherché à contrôler. Elle faisait face au géant et plantait son regard dans le sien.

- Faites-moi plaisir, quand vous irez dépecez Magnus, emmenez-moi avec vous. Je jetterai moi-même son corps aux porcs, morceau par morceau !

- Ben… Comme vous voulez, Patronne. De toute façon, les cochons, ça bouffe tout !

Lulyane était redevenue Lulyane, ou du moins celle qu’elle voulait paraître. Elle avait retrouvé son port de tête altier, ses gestes assurés de grande dame et cette façon arrogante de tendre son menton en avant.

- Votre plan est parfait, l’Ardonien ! Mais vous oubliez juste un détail…

D’un geste du pouce, elle désigna le Iltarn couché dans l’herbe un peu plus loin.

- N’imaginez pas que je vais faire un si long chemin à pied quand je dispose d’une monture docile et rapide. Mais ne changez rien pour moi… Passez la nuit ici puisque vous semblez avoir besoin de sommeil. Quant à moi, la nuit est mon domaine, je m’envolerai vers la Capitale. J’ai là-bas un vieil ami à voir… Et quelques questions à lui poser. Je vous y attendrai ! Rejoignez-moi comme vous voulez et par où vous voulez. Grognar, sois-là le plus vite possible, nous n’avons plus de temps à perdre.

Sans un mot de plus, elle s’éloigna vers le Iltarn qui se redressa à l’arrivée de sa maîtresse.

- Eh, attendez-moi ! Je ne vais pas marcher avec ces deux brutes et mes petites jambes, glapit la Velue en courant derrière elle.

Les deux femmes grimpèrent sur le dos de l’Iltarn qui s’éleva dans le ciel noir en illuminant la nuit.

Grognar regarda l’animal s’éloigner, sa lueur enflammée se distinguant jusqu’au lointain.

- Ben, merde ! Pas une marrante, la patronne !

En se tournant vers l’Ardonien, il étendit ses longs bras avec un air sincèrement désolé :

- On n’a plus qu’à rebrousser !

Suite des aventures de Lulyane

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La vampire se levait et se dirigeait vers son illtarn.
Depuis sa proposition, L'Ardonien n'avait rien dit, mais avait observé, et notamment la jeune femme qui s'était assise en face de lui.

Lulyane avait eu l'air de sincèrement apprécier l'offre qu'il lui avait faite.

Ensuite, elle avait plongé dans ses pensées et son regard s'était troublé, suggérant une insondable tristesse. Elle avait assurément traversé de terribles épreuves qui l'avaient laissée solitaire, comme coupée des autres et meurtrie. Ces blessures qui jamais ne guérissent complètement, et qui ressurgissent dans nos moments de doutes, suintant encore leurs terribles douleurs qui se répandent alors dans l'âme.

Le coeur de L'Ardonien se tendit vers la vampire, même s'il ne fit pas un geste trahissant ce sentiment. C'était un sentiment difficile à exprimer, comme si quelque part, ils appartenaient à la même fratrie.

Il ne pouvait prétendre comprendre, ou connaitre ce qu'elle avait traversé, il voyait juste le résultat. Et curieusement, étrangement, ça lui rappelait sa propre existence, lui, celui que des observateurs extérieurs auraient pu appeler le "héros solitaire".

Il se souvint de l'époque lointaine, une autre vie, où il arpentait les champs de batailles en tant que mercenaire. Au bout d'un moment, il avait cesser de se lier avec les autres, autrement que sommairement. Car, inlassablement, tous ses compagnons mourraient tandis qu'il survivait, encore et toujours. On rigolait avec quelqu'un, et quelques heures plus tard, il avait le crâne défoncé par une masse.

Parfois, le destin était plus capricieux. On croisait un ancien compagnon, qui était dans le camp d'en face cette fois-ci. Et, parce qu'il avait eu la faiblesse de vous montrer une feinte qu'il appréciait, vous l'éventriez proprement.

Au final, on traversait les champs de batailles seuls... puis un océan...puis un désert...

Bien sûr, il avait son village à présent, où il avait trouvé une forme de paix. Mais qui, là bas, le comprenait? La plupart le craignait autant qu'ils le remerciaient pour ses actes. Au final, il était toujours ce solitaire.

Grognar était peut être bien dans le même cas. Peut être la raison de leur amitié, et pourquoi lui se comportait si étrangement depuis qu'il voyageait avec le géant.

La vampire s'était repris, et affichait un visage fier. Il ne s'était pas trompé, elle avait de l'acier en elle.

Elle avait presque rejoints sa monture. Le guerrier eut envie de lui parler, mais que lui dire? Qu'il la comprenait? Mais la comprenait-il? Lui dire qu'elle avait toute sa place avec leur binôme solitaire? Rien de tout ça ne serait utile.

Néanmoins, cette palabre devait se finir par quelque chose d'autre qu'un départ abrupte, il en était persuadé, car cette scène qu'ils avaient vécue, cette rencontre, ne se reproduirait pas.


Lulyane.

Son pas ralentit, pas beaucoup certes, juste assez pour montrer que son appel avait été entendu.

C'est parfois au milieu des pires tempêtes que l'on découvre les rivages les plus accueillants.
Nous vous retrouverons à la corporation aussi vite que possible, comptez sur nous!


Un infime hochement de tête fut la seule indication qu'elle avait reçu son message, puis elle grimpa sur l'iltarn et s'envola dans la nuit. Les deux guerriers assistèrent à son départ.

Grognar se préparait à se coucher quand le regard de L'Ardonien s'enflamma.


Et bien mon gros? Ca fait des jours que l'on se repose et tu es encore fatigué? Nous avons toute la nuit devant nous! Allez en route! Ce n'est pas parce que ta maitresse dit que la nuit est son domaine que l'on ne peut pas y faire une petite course dans les bois pas vrai?
Je déborde littéralement d'énergie. Il est temps pour nous de nous mettre à l'épreuve, surtout moi vu la taille de tes foulées. Alors je te propose de rentrer en marche forcée sur la capitale, plus vite que n'importe qui, plus vite que tout à quoi on pourrait s'attendre. Ce n'est pas le chemin du retour, c'est la course vers le début! Je sens que je retrouve ma forme d'antan, et je veux en être sûr.

Biquette, grimpe sur le gros!


L'Ardonien démonta le camp avec la rapidité née de l'habitude, éteignit le feu de camp d'un coup de pied, et parti au pas de course loin de cette frontière.


Retour à la Capitale

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