L'Aube
Il faisait sombre… Trop sombre pour être une simple nuit sans lune, comme celles qui terrorisent les petits enfants lorsqu’ils doivent sortir pour ramasser des brindilles et de l’eau au ruisseau. Une nuit que même les loups ont peur de sortir, tant l’atmosphère pèse sur les corps, ou les créatures de la nuit se sentent démunies face à l’obscurité. Un léger vent soufflait à travers des branches dégarnies de feuilles des saules pleureurs entourant une petite étendue d’eau, mais le son qui en résultait ressemblait plus à un hurlement sauvage d’une bête féroce et blessée qu’à l’habituelle douce et calme procession des courants éoliens.
Caché près d’une pierre, un étrange couple passait la pire nuit de leur existence. Sans couvertures pour les protéger du froid mordant, l’homme s’étant dévêtu le plus possible pour offrir ses maigres loques à la femme qui l’accompagnait. D’une haute stature, il pouvait passer à un ours pour un observateur négligeant tant son corps avait été poussé à ses limites par une vie de dur labeur, et les cicatrices qui formaient un schéma irrégulier sur ses membres supérieurs et son torse sous entendait qu’il devait posséder un certain talent militaire exploité à plusieurs reprises, ou bien cet homme avait une malchance tenace. Ses cheveux longs retenus en arrière par un mince fil de cuir et sa barbe de trois jours négligés portaient la couleur de la cendre, et ses yeux bruns perçants regardaient de droite à gauche, recherchant sûrement une menace cachée dan l’obscurité, mais un gémissement de la femme couchée à terre attira son attention, et il s’accroupit à ses cotés.
La dame devait sûrement être âgée d’une trentaine d’années, et sans posséder une beauté digne des belles statues elfiques, on pouvait être facilement être charmé par son beau visage simple qui faisait aimer les bergère des princes, du moins lorsqu’il n’était ravagé par une douleur qui semblait la déchirer en deux. Ses yeux roulaient dans ses orbites, et ses cheveux hirsutes et sales n’étaient plus que des lointains souvenirs. Elle sentait que le moment arrivait pour elle, et s’agrippait à la main de l’homme de toutes ses forces pendant que celui-ci poussait doucement sur son ventre au rythme des contractions qui tentait d’extraire le parasite qui, même en n’était pas à date, était trop gros pour sortir sans aucun problème du corps de sa mère. Celle-ci perdait abondamment son sang, et son mari ne pouvait que la regarder perdre son fluide vital, car il ne possédait pas la science nécessaire pour aider sa belle à mettre au monde leur enfant.
Le pouls de son aimée perdant rapidement sa régularité, l’homme commença à pleurer doucement, tout en appelant à Sorenssen, dieu régissant son honneur, de lui faire pitié et de sauver au moins un des deux, le fils ou la mère qui se mouraient maintenant lentement. Il savait que dans peu de temps le regard habituellement teinté de chaleur et d’amour de sa compagne allait être vidé de la lueur qui la rendait si vivante, et il pouvait presque sentir son âme entre ses doigts. Dans son dernier murmure, la femme qu’il avait toujours aimée lui demanda une chose qui allait marquer sa vie dans deux directions différentes :
Amour… Tue moi pour sauver notre fils…
En pleurant de plus belle, il lui murmura doucement qu’il avait déjà juré lors de leur mariage qu’il ne la blesserait jamais. Puisant dans ses dernières forces, elle prit la dague qu’elle portait sur elle en cas de danger, et plaça le fil aiguisé sur sa chair rebondie, en lui demanda dans un murmure faiblissant :
Pousse pour moi sur la lame… Libérons ensemble notre enfant…
Il n’avait jamais réussi à lui résister, et comme c’était sa dernière volonté, il lui prit la main en tremblotant, poussant délicatement pour couper proprement la peau et les muscles qui retenait la nouvelle vie prisonnière. Il avait participé à bien des choses plus sanglantes et sauvages, mais rien n’était comparable à la douleur qu’il ressentirait à jamais lorsqu’il repenserait que lui et son fils étaient les meurtriers de la femme qu’il adorait. Le couteau glissa légèrement, relâchant un peu de liquide mélangé à du sang, et lentement l’ouverture devenait assez grande pour faire passer la tête du bambin sans aucune difficulté. Il le sortit délicatement des entrailles de celle qui mourrait, et lui coupa le cordon ombilical de la dague. Un éclair choisit ce moment pour tomber sur un arbre non loin, et le petit se mit à hurler. Il déposa le nouveau né entre les bras de son aimée, et entendit faiblement :
Comme il est beau… Il sera fort et brave… Il sera…
Le père pleurant prit son fils pour l’emmitoufler dans ce qui lui restait de manteau alors que les premières gouttelettes de pluie s’abattait sur eux, ferma les yeux de sa belle, et commença à déposer les plus grandes pierres qu’il pouvait trouver sur le corps sans vie de son aimée. Reprenant son garçon, il se dit que tout homme devait avoir un nom dès l’instant où ils rencontraient la vie, et il commença à chercher un nom digne des souffrances qui avait été causées par sa venue, tout en gardant la puissance et l’amour que chaque enfant devait avoir, puis son regard se posa sur l’arbre en feu depuis que la foudre s’était abattue dessus, admirant la résistance que les flammes offraient à l’eau qui tombait du ciel. Il fixa son regard dans les flammes dansantes, et dit d’une voix enrouée des émotions qu’il tentait de retenir :
Tu t’appelleras Ardent… Ardent comme ses flammes qui plient face à l’eau, mais qui tiennent bon… Ardent comme la véritable puissance du feu… Ardent comme l’amour que moi et ta mère te portons… Mais aussi Ardent parce qu' à chaque fois que je te regarderai, mon cœur brûlera par la mémoire de ce soir…
Il continua sa route, seul avec un babin recouvert de couvertures collé contre lui qu’il tentait de protéger des intempéries avec son corps