Sur le balcon de la Haute Tour, un célestial profitait de la douce fraîcheur du crépuscule chargée d’un vent marin aux senteurs salines. Dépliant ses ailes, Noamla apprécia ce court moment de répit, malgré la pression croissante qu’il devait supporter. Se résignant à baisser les yeux, il reprit conscience de son environnement. En contrebas, au pied de la tour, une marée humaine attendait.

Chargés d’espérance et de crainte, les Etimnois avaient répondu présents à l’annonce faite de la nomination du Grand Edile. De mémoire, Etimnon n’avait jamais eu à supporter une annexion et pour la première fois dans l’histoire, Samos n’abritait plus de Palatin. Pourtant leur vie ne s’était pas dégradée. L’annexion n’alla pas de pair avec répression. L’angoisse des massacres, viols, et autres atrocités avait noués les estomacs, mais la réalité fut plus clémente. Il semblait même que l’invasion mit fin à la morosité que connaissait l’île. Xanis, le Palatin de Mésomnon, avait su se faire accepter, si ce n’est aimer, par la population. Les caves étaient pleines et les assiettes remplies. Que demander de plus ! La quarantaine fut néanmoins plus pesante. Les Etimnois virent leur sol foulé par d’anciennes races mal aimées, les liches déployées avaient distordu la mana et instillait une peur bleue à tous ceux croisant leur route et des lois martiales, toujours en vigueur, avaient troublé le quotidien des citoyens. Aujourd’hui ils attendaient de voir celui qui les conduirait vers un futur serein.

Grand Edile, ils attendent votre discours.

Ethosem se tenait debout derrière son bureau. Un dossier ouvert sous les yeux, l’enchanteur était absorbé par sa lecture. Il n’avait pas eu autant de repos et avait dû partir précipitamment d’Hépistèm.

L’enchanteur ! repris à plus haute voix le célestial.

J’arrive mon ami, j’arrive...

L’ancien referma le dossier d’un air dépité.

La précédente administration est plus qu’évasive sur les raisons de la quarantaine. Je n’ai rien de concret la dedans. Une ‘épidémie’, cela veut tout et rien dire. La connaissance est maître mot mon ami ! Sans elle, il ne peut y avoir d’actes.

Hochant la tête pour lui même, Ethosem se présenta enfin au balcon en compagnie de l’Edile. L’ancien agrippa le feuillet que lui avait préparé son conseiller et ami Uun. Ce dernier avait délaissé la bibliothèque d’Hépistèm pour l’aider dans la gestion de l’île. Le vieil ermite, une vrai mine à connaissance, avait écrit le discours de l’enchanteur. Ethosem en était ravi, lui qui ne se distinguait guère sur ce genre de tâche. Prenant l’ampleur des espérances populaires, Ethosem eut une bouffée de chaleur. Non pas qu’il eut peur de s’exprimer, c’était plutôt la peur de ne pas pouvoir satisfaire qui le tracassait. Convaincu, il l’était. Mais de convaincre les autres, voila quelque chose de bien plus ardu. Son regard croisa celui de l’Edile. Bien qu’ils soient différents en bien des points, un respect mutuel commençait à naître et le partage du pouvoir contribuait à renforcer leur complicité.

Etimnois ! Etimnoises ! Mes chers amis !

Un enchantement mineur permettait à la voix d’Ethosem de traverser les foules sans faiblir. Le silence s’installa progressivement. Quand il ne fut plus que bise, l’ancien continua.

Il est des symboles qui restent et resteront gravés dans les mémoires. Pendant des siècles les Palatins d’Etimnon se sont présentés à vous à l’endroit même où je me tiens. Pendant des siècles ils ont proclamé des discours comme celui que je vous ferais. Pendant des siècles l’île fut indépendante. Il est aujourd’hui temps, sans renier nos symboles, sans rejeter l’héritage de nos pères, de nous tourner vers un futur neuf. Etimnon fait désormais partie de la grande province nommée Mésomnon.

Ethosem songea que personne n’avait bien sûr demander l’avis des Etimnois. Le genre d’erreur qu’il refuserait de commettre.

Cet état de fait ne doit pas vous affecter mes amis. Etimnon existe toujours ! Dans nos coeurs, oui mais pas seulement. Le gouvernement d’Orchomène, que je considère comme sage, a préféré laisser l’administration de nos contrées à ceux qui les connaissent. C’est un choix que j’approuve avec vigueur ! Qui mieux que les Etimnois sont à même gérer les affaires d’Etimnon ?

La langue de l’enchanteur s’asséchait comme menthe au soleil. Il dut prendre un verre d’eau avant de reprendre.

Je me présente à vous aujourd’hui en temps qu’Etimnois. Moi, Ethosem l’Enchanteur, Grand Edile, vous assure que le Conseil des Gérontes ainsi que notre Edile contribueront à satisfaire pleinement vos besoins tout en gardant l’intégrité de notre territoire, le respect de notre culture et de nos traditions. Le premier pas fut de créer un embryon d’armée. Certes ce chantier n’en est qu’à ses balbutiements, mais il s’agit là d’une garantie suprême de gestion local. Le deuxième pas fut le départ de l’ancienne administration ainsi que de la plupart des troupes mésolongiennes présentes. Mes amis, je vous demande humblement qu’ensemble nous fassions un pas de plus. En tant que Grand Edile, j’ai pris la décision d’alléger le régime de quarantaine que subit notre bel région.

Des applaudissements s’élevèrent parmi les spectateurs. Les marchands se frottaient déjà les mains.

Et comme les symboles ont toujours de l’importance, je viens de faire part aux autorités du départ imminent des liches chargées de maintenir la dite quarantaine.

Là ce fut des cris de joie et des hourras qui accueillis l’annonce de l’enchanteur. Sans doute quelques faces sceptiques apparaissaient ça et là, mais Ethosem avait tout prévu.

Il est aussi de mon devoir de protéger les Etimnois. Nos pères l’ont fait pour leur fils. Je le ferais pour vous. En l’absence des liches, c’est dans Etimnon même que nous puiserons nos anges gardiens car ceux-ci nous aiment et nous leur rendrons leur amour.

Levant les mains vers les cieux, Ethosem prit des allures de prophète. C’était écrit sur le papier et n’avait rien d’une initiative personnelle. Mais avant que quiconque puisse remarquer les gestes saccadés de l’ancien, l’air se chargea de mana. Un vent vivace se leva, le ciel semblait prendre une teinte boréale. Les yeux des enfants s’agrandirent, au moins autant que ceux de leur parent. Les anciens et célestiaux instruits s’agenouillèrent immédiatement tandis que les ignorants se laissaient terrifier par leur vision. L’esprit draconique se manifesta à la foule sous la lumière du crépuscule.

Nouvelle ère Dragon12

Bien que ce soit la deuxième fois, Ethosem fut de nouveau ému par l’apparition. Il se retira du balcon. Pour lui, le discours était fini. Il préférait laisser l’esprit instiller la confiance dans les coeurs et la paix dans les âmes. Inconsciemment, beaucoup avait rêvé de la créature, celle qui fut un symbole d’espoir dans des temps sans espoir. Aujourd’hui, le rêve devenait réalité.

L'être légendaire s'exprima par un mirage partagée. Les citoyens furent couvert d'un voile invisible et chacun put observer le futur chargé d'espérance que l'esprit leur offrait. Les liches partaient dans des grands bateaux, laissant place à la sagesse infinie des anciens dragons. Eux protégeraient leurs enfants. Dans ce monde idyllique, il n'y avait plus de place pour la crainte ou l'affliction. Le rêve sembait si vrai que certains laissaient couler des larmes chaudes sur leur visage.

Le vent se calma et Adrien repris peu à peu ses droits. Sans même y être invitée, la foule se dispersa d’elle même, encore hébétée par ce qu’elle venait de vivre. Les coeurs étaient plus légers et l’on pouvait voir dans les rues de Samos nombre de pères serrer leur enfant de bonheur. Samos renaissait dans un mirage bienfaisant. L’esprit était parti, pourtant, l’esprit était partout.


Dernière édition par Ethosem l'Enchanteur le Ven 3 Sep 2010 - 11:47, édité 3 fois (Raison : Correction de la fin (problème de cohérence))