Un manoir se dressant au sommet d'une colline, orgeueilleux, froid et sinistre, et pourtant d'un luxe que seules peuvent se permettre les classes les plus aisées...
Une plaine sans fin, entourant d'un horizon plat cette colline et son manoir, une plaine où, seul contraste dans ce paysage désespérant, bien que fertile et prospère, des montagnes se dressent, au nord, cachant le soleil de minuit, repaire rocheux où les survivants de la race célestiale autrefois, avant que le clan Nerae ne le devienne, des siècles auparavant, maîtresse des lieux.
Depuis déjà quelques générations, un clan de vampire ancestral, le clan des Nerae, régnait sur les lieux et leurs environs, d'une main de fer dans un gant de velours, alliant, comme nombre de représentant de leur race, la cruauté de glace à un raffinement qui faisait passer les plus pompeux nobles impériaux pour des paysans malpropres.
L'on dit également, sans aucun doute à raison, que les membres de ce clan pratiquent l'Arcane dans ses formes les plus sombres et les plus craintes par le commun, poussant dans ses retranchement un Art que peu approuvent mais que tous respectent.
D'après ce qu'on en sait, le plus ancien vampire du clan Nerae réellement seigneur et maître d'Irynia fut le talentueux nécromant Sylvianus Nerae, dont les origines restent cependant inconnues.
Le Clan Nerae était d'ailleurs célèbre pour ses écrits, le vampire Sylvianus, « grand-père » du souverain actuel Cotin Lucius Sylvianus Nerae, était célèbre dans le monde obscur des Arts sombres pour ses travaux sur le nécro-flux, ou flux nécrotique, qui révolutionnèrent les recherches en nécromancie de l'époque ; et son propre fils, Lucius Sylvianus Nerae, avait entrepris d'initier de nombreux apprentis à l'Art de la Démonologie, rédigeant pour cela moult traités de vulgarisation, bien que pour la plupart assez décriés, à l'exception cependant de l'ouvrage principal, qui fut adopté, bien qu'à contrecoeur, par les pratiquants de cette forme de la magie.
Depuis la mort...inexplicable de son géniteur, si tant est que pareil terme puisse convenir, étant donné la distance entre le concept humain de la procréation et celui qu'en ont les vampires, Lucius Sylvianus Nerae, Cotin Lucius Nerae, devenu patriarche de son clan, étant le plus ancien et le plus puissant, sans aucun doute, avait pris le pouvoir en ce domaine d'Irynia.
Pourtant, cela n'avait pas été sans mal, l'un de ses « oncles », d'un âge équivalent au sien, et un puissant mage de guerre, s'était opposé à lui, et seul l'intervention de puissantes déités majeures d'autres plan, ainsi qu'un préparation extrêment longue et minutieuse, lui avait permis de vaincre, s'imposant de fait comme maître absolu, et lui permettant ainsi de prouver une fois pour toutes sa légitimité à aspirer au pouvoir.
Son début de règne avait été marqué par la pacification des limites de ses terres, en particulier le cas de Gnomes nouveaux venus, s'opposant aux Célestiaux occupant les montagnes depuis des lustres, qui s'était achevé par le bannissement des premiers et un sermon aux seconds...
A la fois mage érudit et studieux, et fin politicien, bien que se refusant à entrer dans le jeu de l'Empire, il avait su se tailler un rôle de seigneur craint, prompt aux conquêtes mais non aux pillages, qu'il ne laissait que rarement à ses traîne-guenilles, considérant cette barbare activité comme indigne de son rang et de celui de ceux qui le servent.
Chérissant l'étude de la magie, il avait réussi à devenir, par ses talents, Thaimaturge des Arcanes, rang qui ne pouvait seoir qu'à un puissant comme lui, bien évidemment.
Indifférent à la politique sous Evalia, il s'y était intéressé plus activement sous le règne d'Enguerrand, Empereur éclairé qui, au contraire de certains de ses prédécesseurs, savait ce qu'il faisait, du moins jusqu'à un certain point, où de piètres décisions avaient ruiné sa domination et conduit au coup d'Etat de Fardall, dit le Phoenix.
Malgré le mépris que ce parvenu lui inspirait, le compte d'Irynia, même s'il s'opposait au règne d'un tel homme, le soutint quelque temps, bien décidé cependant à soutenir meilleur parti s'il se présentait.
Dans une salle richement meublée, qui irradiait la puissance, située dans les tréfonds du labyrinthique bâtiment des Arcanes, un être se tenait, assis, et s'efforçant de garder l'esprit vif malgré une fatigue qui lui faisait courber l'échine.
Seul.
Cela faisait des jours – ou des semaines ? - qu'il n'avait plus dormi ; en vérité, les vampires n'en avaient jamais eu besoin, mais tout magicien savait le sommeil réparateur non seulement pour le corps, mais aussi, et surtout, pour l'intellect, chose indispensable pour quiconque prétend pratiquer l'Art.
Mais pas pour lui.
Plus pour lui.
Ces heures de travail acharné autant qu'assidu qui l'absorbaient depuis maintenant bien longtemps n'étaient pas seulement des méditations et des gribouillages de sorcier ambitieux, ni ceux d'un érudit zélé ; c'était bien plus que cela : c'était l'aboutissement d'un millénaire de recherches et d'efforts, d'onze siècles de pratique de la Magie.
Plongé qu'il était dans ses préparatifs, il avait perdu toute notion du temps.
Il se faisait apporter ses repas par son fidèle Mornirach, et transmettait à celui-ci ses directives pour la gestion de la Corporation comme de son Comté d'Irynia. Nul autre que le redoutable Célestial ne l'avait aperçu depuis qu'il s'était cloîtré dans ses quartiers, avec l'ordre formel de ne pas être dérangé.
Il n'avait pas pris la peine de sécuriser magiquement la zone, il espérait que la terreur suffirait à éloigner les curieux.
Près d'un mois plus tôt, alors qu'il s'était retiré dans ses appartements pour réfléchir aux conséquences politiques des récents événements du Sénat, il avait sombré dans une grande mélancolie, sentiment qui ne lui était pourtant guère familier.
Depuis toujours, il avait cherché le savoir, et le pouvoir...
Sa longue vie avait été marquée par une perpétuelle quête de connaissance, qu'il menait depuis toujours, lui semblait-il...
Mettre la main sur le grimoire d'un grand mage du passé, trouver des objets d'une grande puissance magique, explorer les mystères des autres Plans... tout cela l'avait occupé, et passionné, des siècles durant...
Mais lorsque le savoir des anciens est connu, et que le plaisir de la découverte de nouveaux secrets est terni par l'habitude et ne suffit plus à rassasier le mage, que lui reste-t-il ?
L'Illumination...
Tout pratiquant de l'Arcane suit ce but principal, mais très rares sont ceux qui l'atteignent...
Pourtant, il y avait peut-être trouvé une solution... un moyen extrêmement risqué, et qui avait toutes les chances de lui arracher à jamais son intégrité physique et mentale... voire de le détruire à jamais...
L'un des projets fous qu'il avait en tête depuis longtemps.
Bien sûr, chaque mage a ses propres ambitions qu'il sait irréalisables, mais qui l'aident à se concentrer lors des longues nuits d'étude qui parsèment le chemin de chaque arcaniste.
Mais celui-ci...
C'était pure folie, même l'esprit le plus sot l'aurait perçu.
Mais après tout... que cherchait-il ?
Depuis la création de la Corporation des Arcanes, quelques années auparavant, l'espoir de former une association de mages suffisamment capables pour repousser sensiblement les limites de la magie l'avait obnubilé.
Lorsque de puissants intellects avaient rejoint le Corpus, dont il s'était hissé maître de par ses talents, il avait cru fermement à cette idée.
Mais la réalité rattrape même les magiciens : certains avaient renié leur voie, d'autres avaient succombé, et les survivants étaient loin d'être les plus doués.
Le tout lui prouvant une fois de plus qu'il n'arriverait à l'Illumination que seul.
Il avait donc entrepris une invocation qu'aucun être sain d'esprit ne serait en mesure d'envisager, mis à part peut-être Issacar le Ceint.
Une invocation contre nature.
Nucter !
Ou plutôt, son avatar, sa manifestation physique, son énantiomorphe, son incarnation profane, le puissant démon que les sots appellent Faucheuse, sans doute en de son bras démesuré dont la courbe inhumaine rappelle celle d'une faux.
Être extra-planaire d'une puissance terrifiante sur les énergies de la Mort, c'est ce qui, dans tous les plans, se rapproche le plus du divin Nucter, et le Comte Nerae avait récemment découvert que non seulement c'était le cas, mais qu'en plus ce « Faucheur » avait l'oreille du dieu.
Préparer la convocation de la déité n'était pas une mince affaire, et il y passa bien du temps, se faisant apporter par un Mornirach de plus en plus inquiet ce qu'il lui fallait, en refusant de fournir toute explication à ceux qu'ils jugeaient indignes de comprendre ce qui allait se jouer, soit à peu près tout le monde, lui excepté.
Nul besoin des artifices traditionnels, cependant ; il le savait, cette créature n'aurait aucun mal à déjouer des tours existant depuis des siècles dans les grimoires de démonologie.
Non, dans ce cas précis, seuls ses propres pouvoirs compteraient ; il n'échouerait pas, il en était persuadé.
Chercher à asservir le démon ne lui servirait à rien, c'était l'amadouer qu'il fallait, il voulait traiter avec, non s'en servir comme outil, et d'ailleurs, prétendre dominer un être d'une telle puissance serait suicidaire, même pour le plus brillant des mages.
Négocier avec les Puissances... voilà qui était à la hauteur des défis qu'il recherchait... et s'il menait à bien son argumentaire, le défi à venir serait bien plus insensé et formidable... infiniment et incommensurablement plus...
C'est pour cela qu'il se devait de réussir cette première partie de son plan... Il n'aurait, bien évidemment, pas de seconde chance, aussi devrait-il réussir à se concentrer quoi qu'il lui en coûte... tout serait terminé bien assez tôt...
"La Mort...
Les sages en parlent souvent comme étant "un élément indispensable de la Vie".
La plupart des gens du commun, eux, la considèrent avec une crainte mêlée de résignation face à un cruel mais inéluctable destin. Enfin, nombre des autres penseurs y voient l'ultime limite de l'être vivant, la seule contre laquelle nul ne peut rien.
Mais les choses sont différences pour les nécromanciens et ceux qui révèrent Nucter.
Car la Mort peut être davantage que le contraire de la Vie ou qu'un outil de la fatalité.
La Mort peut être bien plus qu'un simple état physique, elle peut se révéler autrement plus profonde qu'un simple état de non-vie.
La Mort peut aussi être un pouvoir incommensurable, un "être", certes immatériel, mais infiniment plus réel et redoutable que le plus puissant des humains, des elfes ou des monstres.
La Mort peut vaincre la Vie sans pour autant qu'il ne reste ensuite que des ruines fumantes de la prospérité. La Mort peut prospérer, et devenir tellement plus réelle que la Vie qu'elle constituerait dès lors l'état naturel de tout être, la Force qui régit l'univers.
Par une absurde et arbitraire décision d'on ne sait quelle entité ou hasard, la Mort est par nature synonyme d'immobilité, de ruine, de destruction et de malheur.
Mais à l'instar des lois terrestres, les Lois de l'Univers sont faites pour être contournées, et si tel était le cas, la Mort pourrait devenir synonyme de prospérité, de fertilité et de grandeur."
Là étaient les doléances, suggérées télépathiquement par les flux de la magie plutôt que formulées oralement, de l'Ombre.
L'Ombre... Un terme bien vague pour l'observateur rigoureux que se révélait le Comte Nerae, mais malgré toutes ses connaissances, il ne pouvait qualifier autrement le spectacle qui s'offrait à lui.
L'Etre qu'il avait convoqué n'avait ni forme, ni texture qu'on eût pu qualifier de terrestre. Sa silhouette indicible donnait l'impression de ne pas exister, impression qui se révélait sans doute réelle, puisque l'entité n'avait guère d'attaches dans le plan Mortel – par une grande ironie du sort – si ce sont sont celles dressées temporairement par le Thaumaturge. Ci, un semblant difforme de tête paraissait textile, et pour toute imagination un tant soit peu fertile, elle évoquerait le port d'une capuche démesurée et de forme improbable. Là, un bras absurde se tordait dans un angle anormal, et ses dimensions excessives évoquaient davantage le port d'un hache d'armes ou d'une faux qu'un membre réel.
Mais le puissant magicien n'avait pas sorti cet être innommable des abysses pour en contempler la nature indescriptible, et de toute façon, cela aurait signifié sa perte, ainsi, accessoirement, que celle d'une bonne partie des habitants de la Capitale.
Non ; il avait un but précis en exécutant le délicat rituel qui sollicitait en permanence qu'il mobilise ses pouvoirs comme sa concentration pour éviter de perdre le contrôle du laquais de Nucter.
Aussi, se décida-t-il à ne pas tarder plus que nécessaire, et à entamer promptement ses tractations.
Bien évidemment, il répliqua par le même biais.
"Si la Mort est ainsi considérée comme l'ennemi de toute chose, ce n'est pas par hasard. Cette crainte et haine déclarée de la part de la majorité des êtres qui peuplent Kalamaï a une raison, et non triviale.
Des grandes puissances, celles qui se réclament de la Compassion, de l'Honneur et de la Loi, ont réussi à imposer leur façon de voir les choses au monde, et se sont depuis toujours échinées à affaiblir les forces qu'elles considèrent comme rivales, sans doute par crainte de voir leur emprise se relâcher ou leur être arrachée. Et, par lâcheté ou manque d'initiative, les autres puissances de l'univers se sont ralliées à la cause de vainqueurs. Mais les lâches et les faibles sont on ne peut plus versatiles, et ne rechigneraient probablement pas à servir d'autres maîtres.
Les forces divines se sont opposées, et les vainqueurs ont façonné le Plan Mortel de façon à ce que leurs vertus y soient révérées, et celles de leurs rivaux haïes ou dédaignées. Le verdict fut prononcé, et, le pouvoir de chaque partie étant immuable, jamais il ne changera.
Mais les forces divines, bien qu'il n'existe rien de plus puissant, ont aussi le limites. Et ces limites peuvent être parfois dépassées par l'Art. Pas par la Magie, l'esclave de Kereb, mais par l'Art, la pratique qui s'élève au-dessus du savoir et des incantations."
Sentant sa concentration faillir, certes légèrement, il avait été droit au but, négligeant le soin de la formulation et de la diplomatie... C'en était fait : si l'Ombre ne se rendait pas à sa raison, il ne serait plus rien et disparaîtrait aussitôt, ses rêves anéantis.
Il s'était préparé à cette discussion, aussi, ne fut-il aucunement surpris lorsque la forme sombre répliqua comme le voulait la logique, ou plutôt, sa logique.
"Mais toute création est subgradiente, aussi, un être ne peut défaire son créateur.
Ceci dit, contrairement à ce que nous enseignent la Loi et l'Honneur, outrepasser son rang n'est pas impossible, à condition d'être fou ou extrêmement ambitieux. Et il est vrai qu'avec un champion pour soutenir sa cause, la Mort pourrait bel et bien triompher de ceux qui l'ont trahie.
Cependant, tout serment nécessite un gage. Et la Mort ne connaît qu'une seule forme de gage."
Enfin était venue la question de ce qu'il allait devoir « sacrifier » à Nucter... Eh bien, il s'y préparait depuis fort longtemps, et là encore, il avait une réponse toute prête :
"Dans les contrées d'Evandar, règne en maître une âme qui fut élevée au delà de son rang par celui qui deviendra champion de Nucter. De fait, lui, et tous les siens, appartiennent corps et âmes à ce champion, qui peut donc en toute légitimité décider de les sacrifier à la cause qui lui convient. Si tel est son bon plaisir, Nucter peut prendre la vie du seigneur-mage Vesce Nerae d'Evandar, et de la totalité de ses gens, qui lui doivent obéissance et attachement, même dans la Mort."
Voilà qui était dit... Des milliers d'âmes offertes à Nucter, en échange de son appui ponctuel...
Un millénaire de travail acharné dépendait de cet unique instant, de la décision que prendrait l'ambassadeur de Nucter... Cotin Lucius Nerae rassembla ses dernières forces mentales pour permettre à son esprit de rester concentré sur l'Ombre...
"La Mort accepte le tribut de ceux qu'elle sait vouloir bien la servir.
Si l'Art peut aider Nucter à rétablir l'équilibre et à prouver la légitimité de la Mort, Nucter acceptera l'aide de l'Art. "
Le soulagement et l'euphorie emplirent le Comte Nerae.
Enfin... enfin ! Il y était parvenu... il allait vers son avènement, vers son éternel triomphe !
C'est à peine s'il remarqua l'Ombre, dont la présence au sein du Plan Mortel s'amenuisait un peu plus chaque seconde. Ils en avaient terminé, il n'avait donc plus besoin de rester céans.
Le Thaumaturge, à cet instant, sentir son attention se dissiper, et c'est à peine s'il comprit quelques bribes du message d'adieu de l'entité qu'il avait convoquée, et qui semblait se révoquer d'elle-même.
"Puisse-t-il vaincre, celui qui apporte l'Art à la Mort. Puisse-t-il … celui qui ... 'pion de Nucter..."
Et sur ce, la sombre déité acheva de rejoindre son Plan d'origine, laissant seul le Comte.
Avant qu'il n'ait pu terminer de mesurer sa joie après cette négociation plus que fructueuse, il vacilla sur ses jambes, et s'écroulât, reposant un esprit fort malmené ces derniers temps...
Les morts ne rêvent pas...
Il en va de même pour ceux qui ont dépassé la mort, les immortels, et les Vampires le sont.
Dès lors, préciser que le Thaumaturge dormit, si tel terme peut convenir à l'état de repos et de méditation complet dans lequel il avait statué, d'un sommeil sans rêve serait superflu.
Cotin Lucius Nerae ouvrit les yeux. Dès que ses prunelles mortes se posèrent sur la salle dans laquelle il se trouvait depuis bien longtemps, un sourire éclaira sans visage. Il se remémora son succès de la veille, d'avant son sommeil en tout cas.
Il avait négocié un soutien divin, et l'avait obtenu, et ce, sans que cela lui demande de grandes concessions. Oh, il avait condamné un parent et les milliers d'êtres qui dépendaient de lui, mais après tout, qu'était ce petit sacrifice en comparaison du Pouvoir qui l'attendait ? Quelle valeur avaient quelques vies misérables en comparaison avec la chance de prendre place parmi les dieux ? Car tel était son projet : s'élever de manière à devenir égal aux déités qui forment l'essence du monde. Rien de moins. Mais il était le plus puissant de la plus illustre des familles, n'avait-il pas droit de facto à ce privilège ? Après tout, ce ne serait que justice.
Il se leva, fort d'une énergie nouvelle, dont la source lui était inconnue. Ou presque.
Après ce qu'il avait vécu, si tant est qu'on puisse parler de vivre dans de telles circonstances, plus rien ne pourrait l'arrêter en ce monde.
La fatigue, la lassitude, l'ennui ou les rêveries ? De tout cela, il était débarrassé !
Il sentait l'Art pétiller au bout de ses longs doigts, il sentait ses pieds toucher à peine terre, et son esprit vagabondait déjà loin dans les cieux.
L'Empereur était peut-être l'homme le plus influent et puissant de Kalamaï, mais le Comte Nerae doutait fort que cet homme populaire et redouté ait jamais ressentit cette impression de toute puissance, cette certitude d'un Pouvoir incommensurable et inégalé parmi les mortels.
Cotin Lucius Nerae rit.
Non d'un rire franc, ni d'un rire moqueur, encore moins d'un rire jaune, hypocrite ou encore amusé, non, il riait de puissance.
Il rit : c'était décidé : l'Empereur serait le Maître des hommes. Et lui serait le Maître des dieux. Tout paraissait évident, maintenant, sa route était toute tracée : rien ne l'arrêterait. Rien n'y personne ne pourrait se mettre en travers de son chemin, il avait accumulé suffisamment de puissance pour que rien ne lui résiste. Il disposait des alliés les plus précieux qui soient, et ses ennemis, malgré leur superbe, s'affaisseraient devant son invincibilité absolue.
Le courage qui l'emplit alors était presque animal : pourquoi attendre ? Pourquoi continuer à rêver de puissance alors qu'il lui suffisait de tendre la main pour que tout ce qu'il pouvait espérer se réalise ? Pourquoi rester sur terre, parmi les Bêtes, alors que la voie vers les cieux lui était révélée ?
Et soudain, ses pieds déjà volages cessèrent de toucher terre.
Il sentait déjà l'énergie monter en lui ; il n'était plus un magicien, il était la magie elle-même.
Il n'était plus chair et os, mais Arcane uniquement ; le Plan Matériel n'était plus pour lui qu'un vague songe, un mauvais rêve si absurde qu'on le chasse d'un revers de la main.
Penya Tavaril, l'Elfe qui occupait jadis le poste de Thaumaturge des Arcanes, avait coutume de prononcer la maxime « Vivre pour la Magie, et la Magie vivra ».
Ce dicton, il le comprenait désormais bien mieux que ne le concevait sans doute l'Elfe, car il le vivait pleinement.
Il avait dépassé le stade des grimoires, des formules et des alchimies, il n'avait plus nul besoin de pentacle ou d'incantation : il ne pratiquait plus l'Art.
Il était l'Art.
Les mages se servent de toutes sortes d'éléments pour contenir la magie afin de la déchaîner pour obtenir l'effet escompté. La plupart utilisent pour cela incantations, gestuelles et parchemins. D'autres, plus prudents ou plus craintifs, préfèrent utiliser des objets comme catalyseurs de la magie : bâtons, baguettes ou amulettes. D'autres enfin, plus audacieux, font confiance à leur esprit pour modeler la magie à leur guise, bien qu'ils finissent généralement fous ou séniles.
Le Thaumaturge, lui, n'avait plus besoin de ce genre d'artifice.
Il était son propre catalyseur. Son être tout entier était de Magie, et il renouvelait lui-même son pouvoir, qui lui semblait infini.
Déjà, il dirigeait toute sa personne vers un seul objectif, un seul Graal.
Il se sublimait, concentrait son esprit sur son but. Le Plan Ethéré.
Demeure, figurative bien entendu, des puissances qui régissent l'univers. Niveau de réalité au delà du réel, Plan d'Existence suprême, ciel parmi les cieux.
Étaient-ce des vapeurs trompeuses qu'il apercevait ça et là ? Ces lueurs qu'il apercevait étaient-elles aussi colorées qu'elles en avaient l'air ou n'était-ce que de la lumière pure ? Ces images indicibles qui le hantaient avaient-elles de la substance ? Tout cela était-il réel ou illusoire ? Ou encore les deux ?
Telle est la Voie de la Magie : accepter que la réalité n'est pas. Que n'est réel que ce qui est au-delà du matériel ; que rien n'est vrai, mais tout permis.
Il ouvrit les yeux, à moins qu'ils ne les fermât ; de toute façon, tout cela n'avait aucune importance. Mais il s'était ancré. Il avait atteint son but.
C'est par un effort extraordinaire, dont il ne se serait pas cru capable malgré sa très haute opinion de lui-même, de volonté qu'il parvint à s'arracher à l'euphorie de sa fusion avec l'Art, et faire appel à son intellect pour réfléchir aussi froidement que possible à ce qu'il entendait faire.
En ce niveau de réalité, tout autre que lui serait tombé dément fort rapidement ; car les lois même de la logique semblaient avoir été modifiées.
Nul sol, nul ciel, ni bas ni haut, ni ordre ni chaos, en vérité.
Le Plan Ethéré, qu'est-ce ?
Un ensemble inextricable de flux qui se mêlent et s'entrecroisent, sans qu'il n'y ait impression de désordre, ni de symétrie, d'ailleurs.
Un piètre poète l'aurait peut-être comparé à une fourmilière de l'enfer, quoique le Plan n'en eût guère la hiérarchie rigide.
Ici, il ressentait le flux agressif d'un Hassar plus belliqueux que jamais. Là, était l'effluve presque palpable, et d'autant plus répugnante, d'un Velsfer de malheur. Parfois, tout semblait mélangé, en des combinaisons parfois incongrues, aussi eut-il la surprise de percevoir une aura mêlée de Brak et de Chezzer avec, chose étonnante, des vestiges du preux Sorenssen, terrifiante combinaison s'il en est. Dans cette pelote aux fils entremêlés, il en cherchait le rouge, celui pour lequel il était venu.
Kereb.
Celui qu'il avait longtemps considéré comme un maître, puis, plus tard, comme une force immense dont tout arcaniste se devait de s'inspirer, était désormais bien davantage. Un rival, qu'il estimait et respectait, mais haïssait avec une glaciale férocité.
Dieu de la magie, de l'arcane et du savoir.
Il en percevait la proximité avec une effrayante netteté. Même s'il ne le voulait pas, il serait tout de même irrésistiblement attiré par cette magie pure, si proche de son essence.
Et c'est de son plein gré qu'il s'approchait chaque seconde davantage du maître d'arcane.
Confrontation
L'Arène était colossale et l'Ennemi improbable.
Ni gradins, ni sable, seulement la divinité.
Ni filets ni épées, uniquement l'Esprit.
Kereb le Mage, gardien des savoirs arcaniques de Kalamaï, mentor symbolique de tout magicien, et être de magie, Kereb lui-même se dressait devant le Thaumaturge Cotin Lucius Nerae.
Le Dieu n'avait pas de forme physique comme on aurait pu l'entendre sur le Plan Matériel, il était. Il emplissait l'atmosphère tel l'encens, et semblait n'occuper aucune place précise ; il était partout à la fois.
Mais si involontaire que fût se subterfuge, le Comte Nerae n'entendait pas s'y tromper. Et il regardait sans ciller l'icône du Dieu qui lui faisait face, et tout observateur non averti aurait dit qu'il s'adressait à l'objet directement, comme le font nombre de dévots ignorants .
Qu'importait les apparences, cependant. Qu'il soit ou non matériel, Kereb demeurait un être d'une immense puissance, et il ne comptait pas l'oublier.
« Expose »
Par cet unique mot, le divin magicien invitait le puissant vampire à s'exprimer. Ni parole ni télépathie n'étaient de mise, et il n'est pas de mot pour décrire l'échange qui s'ensuivit.
« Kereb le Mage a été surpassé.
Moi, Cotin Lucius Nerae, pratiquant de l'Art, suis venu défaire la Magie. »
Cette déclaration parut provoquer l'hilarité chez le dieu-mage.
Le décor changea radicalement.
Les volutes chaotiques qui forment la véritable nature du Plan Ethéré avaient disparu pour laisser place à une pièce richement meublée.
Il y faisait plutôt sombre, et un feu agréable brûlait dans l'âtre. Une chaise et une table toutes deux fabriquées dans les bois les plus nobles qui se fassent trônaient fièrement non loin de la chaleur bienveillante du brasier.
Les murs, qui semblaient s'étirer à l'infini, étaient couverts de bibliothèques titanesques, toutes pleines de livres reliés de mille façons.
Ce cadre qui n'était pourtant qu'une habile illusion était plus que familier au Comte Nerae. Et visiblement, il en était de même pour Kereb, qui illustrait ainsi sa nature même.
Là était l'idylle du magicien, là était la voie de ceux qui suivent Kereb.
L'espace d'un instant, le Comte Nerae hésita. Après tout, pourquoi renoncer à pareille vie ? Une étude simple et honnête, un savoir croissant régulièrement, et une vie aussi agréable, que demander de plus ?
L'Illumination qu'il cherchait depuis tant d'années, cette maîtrise absolue de soi et de la Magie, n'était-ce pas simplement cette pièce ? S'asseoir devant le feu et se plonger dans un passionnant ouvrage ne pouvait-il donc pas suffire à son bonheur ? Il avait l'éternité devant lui, pourquoi ne pas en profiter pour passer des jours, des mois, des années, des siècles même dans ce confort total ?
Parce que ça ne suffisait pas.
Parce que Cotin Lucius Nerae ne se satisferait pas d'une existence d'étude et d'érudition. Parce que le Comte d'Iryinia était aussi du clan Nerae, qu'il maîtrisait la magie, et même l'Art, mieux que personne, et parce qu'il méritait le pouvoir.
Parce que cet avorton de dieu de la magie ne ferait pas le poids face à son incommensurable puissance.
Et même si elle ne suffisait pas, il bénéficiait d'alliés puissants.
Se ressaisissant soudain, il para l'illusion de Kereb, et lutta de toute la force de son esprit contre la pernicieuse suggestion.
Il repoussa l'attrayante séduction, et se souvint ce qu'il était céans venu faire : vaincre.
Concentrant ses forces, il en appela aux puissances obscures, à celui qui lui avait promis son aide.
Nucter.
Sa soudaine poussée déconcerta le dieu-mage, qui, surpris, relâcha sa pression sur son étonnant adversaire. Celui qui avait été Thaumaturge des Arcanes en un passé qui semblait immémorial saisit sa chance, et, comme si cela n'exigeait de lui nul effort, en appela au dieu de la Mort.
Comment les divinités pouvaient-elles trouver leur chemin dans ce chaos éthéré, cela le dépassait, ou plutôt, il n'avait guère le temps de s'en préoccuper.
La salle d'étude vit son aspect sensiblement modifié. De l'air même semblaient émaner des relents de putréfaction. Le Mort reprenait ses droits, et sans détour.
Ainsi, Nucter avait répondu à son appel...
Et il ne venait visiblement pas seul en renfort, puisque dans l'instant, tout semblant d'ordre dans la pièce pourtant si sereine disparut, ne laissant qu'un ravage chaotique digne de son dieu.
Bronek en personne venait également prêter assistance au Comte.
Cette soudaine intervention ne le surprit d'ailleurs qu'une fraction de seconde ; immédiatement après, un sourire élargit son visage déjà déformé par un rictus de dément : évidemment, il aurait dû s'en douter ! Ses prérogatives ne pouvaient que semer le désordre parmi les dieux, et, a fortiori, dans le monde, ce qui faisait les affaires de Seigneur du Chaos.
Kereb le Sage, devant un tel déchaînement de puissance, s'affaissa, lentement.
Sa présence devint vacillante, avant de disparaître complètement.
Si quelque curieux en Kalamaï avait contemplé les cieux en ce moment précis, il aurait pu voir une discrète étoile briller plus que de coutume en quelques secondes de souffrance absolue, avant de s'éteindre...
C'était fait.
Cotin Lucius Nerae, Comte d'Irynia et Thaumaturge des Arcanes, avait terrassé, non sans aide il est vrai, le dieu de la magie.
Ni explosions spectaculaire, ni feux démentiels, ni déluge d'énergie pure, simplement un unique duel d'esprit, préparé soigneusement, qui avait abouti rapidement par l'annihilation du perdant. Rien d'autre...
Le vainqueur, lui, avait quelque difficulté à réaliser ce qu'il avait accompli. Car désormais, il était le Dieu de la Magie.
Plus rien ne s'opposait entre lui et cette place, qu'il avait d'ailleurs bien méritée.
Désormais, il avait atteint son but. Pouvoir, gloire, fortune et renommée, tout cela lui semblait bien futile désormais ; il avait vaincu. Et rien ne pouvait remplacer ce sentiment d'exaltation victorieuse.
Maintenant qu'il avait réussi, il ne lui fallait plus rien d'autre, rien que pouvoir jouir de sa puissance nouvelle en toute liberté.
Plus rien d'autre...
A moins que...
Il avait réuni un pouvoir incommensurable, avait vaincu une divinité, qu'est-ce qui l'empêcherait d'en faire de même pour les autres ? Et de devenir, non pas un dieu parmi d'autres, mais l'unique dieu qui régirait les Plans ? Oui ! Il en était capable ! Plus rien ne l'arrêterait !
Annihilation
Le sentiment d'invincibilité était croissant, de même que son ancrage en ce plan éthéré, si différent du plan Matériel. Il s'en était rendu compte tandis que Kereb faiblissait et que lui, Cotin Lucius Nerae, s'arrogeait ses pouvoirs, et se nourrissait de sa déchéance.
Alors qu'à son « arrivée », il n'était qu'une ombre, qu'un importun qui avait usurpé son droit de se trouver là, il se sentait maintenant en pleine harmonie avec ce monde étrange.
Désormais, il le percevait clairement, la logique lui en apparaissait, comme évidente.
L'enchevêtrement de fils divers et variés qui lui avait semblé sans queue ni tête n'était désormais à ses yeux guère plus qu'un simple nœud, qu'il pourrait défaire ou trancher à l'envi, mais dont il distinguait tous les fils.
Fort de sa toute-puissance nouvelle, il avisa l'un d'eux. Brak, dieu de la force, celui qui régnait en maître sur tant de populaces ignorantes, et qui y empêchait l'avènement de la magie. Il le saisit de ces mains immatérielles, et lui imprima une brusque traction, mentale elle aussi, se concentrant des heures d'un temps inexistant à sa tâche. Au bout d'un moment incommensurable, ou peut-être infinitésimal, le lien se ternit, et le Thaumaturge sourit : la Force, désormais, n'aurait plus la moindre valeur sur le Plan Matériel.
Oui, Thaumaturge il était vraiment, désormais, car là étaient de véritables miracles qui s'opéraient sous sa main déterminée, qui avait asservi la Mort et le Chaos, et vaincu la Magie et annihilé la Force.
Ivre de puissance, il choisit le lien d'Orfange. La chance démérite les travailleurs et les étudiants acharné, il devait donc s'en débarrasser. Aussi promptement qu'avec Brak, il opéra sa sinistre besogne.
Une fois de plus, il avait changé le monde, sans que ça ne lui coûte le moindre effort.
Enfin... enfin ce dont il avait rêvé depuis des siècles, et bien plus encore, lui appartenait.
Le pouvoir des dieux, le pouvoir du monde, tout cela était entre ces mains. Il suffisait qu'un aspect de l'univers ne lui plaise pas pour qu'il l'anéantisse à jamais, et qu'un autre l'intéresse pour qu'il le glorifie entre tous.
Son pouvoir ne se limitait pas à un brutal déchaînement de puissance : il pouvait modifier le multivers comme s'il s'agissait d'un rêve. Un rêve dont le rêveur serait conscient, et qu'il pourrait donc modifier à sa guise, sans limite ni restriction, dans toute la splendeur d'une liberté de création absolue.
D'une seule pensée, il pouvait réécrire toutes les histoires, modifier l'essence même de la logique.
Rien ne lui était impossible...
L'intelligence froide qu'il avait acquise par sa pratique de la démonologie arcanique lui revint brusquement.
Avant d'être réellement maître de tout et toute chose, il lui fallait s'occuper de quelques détails.
Les dieux.
Des puissances terribles existaient encore, et pour réaliser son rêve, il se devait de les éliminer. Pour le bien de l'univers.
Il lui faudrait se débarrasser de ces nombreux dieux, qui empêchaient le monde d'être comme il le devrait.
Après tout, il n'était pas besoin de tant de divinités païennes, juste d'une seul.
Un seul plan, une seule loi, un seul dieu... voilà qui sonnait bien, non ?
Les êtres vivants dans le Plan Matériel s'accommoderaient bien vite de sa suprématie... et si tel n'était pas le cas, après tout, il suffirait simplement de les... gommer de la réalité. Tout semblait si simple.
Finalement, ce n'était pas une égoïste envie de puissance qui mouvait le Comte Nerae, mais bien un souhait noble d'un monde meilleur.
Bien entendu ! Et, animé de ces motivations, les meilleures du monde, il pourrait tout changer !
Mais d'abord, les obstacles... il se devait d'éliminer les obstacles qui se dressaient entre lui et son glorieux rêve.
Que voyait-il, juste là ? Des élans de compassions, Dinas, dieu de cette faiblesse qu'il avait toujours méprisée, se tenait à sa portée. Comme précédemment, l'Arcaniste se saisit sans peine de toute l'essence de ce concept, et n'eut aucun scrupule à s'en débarrasser à jamais.
Avec quelle facilité il tirait les ficelles, avec quelle aisance il se rendait maître de tout chose. A ce rythme, il n'aurait guère à attendre pour voir ses espoirs se réaliser. Un seul dieu !
« Non »
Le mot le frappa de plein fouet, le réduisit au silence aussi sûrement qu'une décharge d'énergie magique.
Bien entendu, il s'était attendu à ce que résistance s'oppose à ses projets. Il avait d'ailleurs été étonné qu'elle ne se fût pas présentée plus tôt.
Mais ce « non » n'était pas l'héroïque refus de la fatalité d'êtres acculés mais déterminés. Ce n'était pas non plus le déni de quelqu'un en proie aux affres de l'agonie et qui ne veut pas accepter son sort.
Non, ce refus catégorique était celui qu'on oppose à un enfant gâté qui exige une faveur de trop.
Et la stupéfaction qui l'envahit devait être proche de l'étonnement de cet enfant gâté.
Le Thaumaturge se reprit rapidement, pourtant. Il obligea son intangible opposant à lui faire face.
Évidemment.
Kanderak et Sorenssen, la Loi et l'Honneur, qui s'opposaient courageusement à sa domination. Courageusement, certes, mais inutilement, car le Comte Nerae disposait désormais d'un pouvoir suffisant pour écraser ces importuns.
Il se préparait à faire face, lorsque le Rire anéantit tous ses espoirs...
Tout disparut soudain. Sorenssen, Kanderak, mais aussi Nucter, Bronek, sources de son pouvoir, même son Art lui fit défaut.
Ne subsistait plus que le Rire, tonitruant, désespérant.
Dios, Dieu du Mensonge, se tenait devant lui, toute sa puissance révélée par la manipulation raffinée qu'il venait d'opérer.
La vérité, terrible ironie, lui éclata soudain au visage : sa merveilleuse conquête des plans divins, son accumulation de puissance, tout cela n'avait été qu'un leurre, qu'une esbrouferie.
Depuis quand, au juste ? Depuis quand maintenait-on autour de lui l'illusion ? Depuis sa victoire sur Kereb ? Ou plus tôt encore ?
Le fait était que cela faisait quelque temps qu'il était trompé. Mieux : qu'il se trompait lui-même. En cela, Dios avait été magistral : nul besoin qu'on lui murmure des mensonges, puisqu'il les avait entretenus de lui-même.
Son espoir avait été sa propre tromperie, et la puissance démesurée qu'il avait accumulée ne pouvait rien face aux illusions dont il berçait.
Les souvenirs furent d'un coup bien plus confus dans son esprit déjà accablé par sa défaite, et il ne put plus les ordonner correctement. Qu'avait-il vraiment fait, et qu'est-ce qui était simple phantasme ?
Où commençait la réalité, où s'achevaient les rêves ?
Et où était-il en ce moment précis, si ce n'est perdu dans d'oniriques réflexions ?
A cette dernière question, au moins, la réponse vint bien assez tôt.
Car il se sentit soudain emplit d'une horrible souffrance. Sans doute ses interrogations s'étaient-elles déroulées en une fraction de seconde, à moins que les dieux qu'il avait défiés, et non vaincus, comme son esprit embrouillé s'en rendit compte, aient pris un délai pour statuer sur son sort. Délai sans importance, puisqu'ici le Temps ne semblait pas avoir cours, pas de la même façon que sur le Plan Matériel du moins.
Il se sentit chuter, lourdement, et sans plus le moindre espoir : il avait échoué, et ses rêves n'étaient plus que néant.
Dans sa descente silencieuse, il était escorté par des voix perfides, se gaussant de son échec et l'informant par avance des tourments qui l'attendaient sans doute. Serait-il condamné à un supplice éternel ? Serait-il tout simplement déchiré par la trame de la réalité, comme nombre de magiciens imprudents ? Servirait-il de chien de garde en quelque endroit sacré pour les dieux qui l'avaient condamné ? Ou simplement de contre-exemple légendaire pour tout apprenti magicien ? Endosserait-il tous ces rôles, et d'autres pire encore, à la fois ?
Pour l'heure, il chute, ses ailes brûlées.
Annexes au BG : écrits du clan Nerae
- Le nécro-flux : voir https://do-roleplay.1fr1.net/013-h15.htm
- Bases de la Démonologie : voir https://do-roleplay.1fr1.net/003-h5.htm
Dernière édition par Cotin L. Nerae le Dim 1 Nov 2009 - 13:19, édité 2 fois (Raison : Refonte complète du Background)
Une plaine sans fin, entourant d'un horizon plat cette colline et son manoir, une plaine où, seul contraste dans ce paysage désespérant, bien que fertile et prospère, des montagnes se dressent, au nord, cachant le soleil de minuit, repaire rocheux où les survivants de la race célestiale autrefois, avant que le clan Nerae ne le devienne, des siècles auparavant, maîtresse des lieux.
Depuis déjà quelques générations, un clan de vampire ancestral, le clan des Nerae, régnait sur les lieux et leurs environs, d'une main de fer dans un gant de velours, alliant, comme nombre de représentant de leur race, la cruauté de glace à un raffinement qui faisait passer les plus pompeux nobles impériaux pour des paysans malpropres.
L'on dit également, sans aucun doute à raison, que les membres de ce clan pratiquent l'Arcane dans ses formes les plus sombres et les plus craintes par le commun, poussant dans ses retranchement un Art que peu approuvent mais que tous respectent.
D'après ce qu'on en sait, le plus ancien vampire du clan Nerae réellement seigneur et maître d'Irynia fut le talentueux nécromant Sylvianus Nerae, dont les origines restent cependant inconnues.
Le Clan Nerae était d'ailleurs célèbre pour ses écrits, le vampire Sylvianus, « grand-père » du souverain actuel Cotin Lucius Sylvianus Nerae, était célèbre dans le monde obscur des Arts sombres pour ses travaux sur le nécro-flux, ou flux nécrotique, qui révolutionnèrent les recherches en nécromancie de l'époque ; et son propre fils, Lucius Sylvianus Nerae, avait entrepris d'initier de nombreux apprentis à l'Art de la Démonologie, rédigeant pour cela moult traités de vulgarisation, bien que pour la plupart assez décriés, à l'exception cependant de l'ouvrage principal, qui fut adopté, bien qu'à contrecoeur, par les pratiquants de cette forme de la magie.
Depuis la mort...inexplicable de son géniteur, si tant est que pareil terme puisse convenir, étant donné la distance entre le concept humain de la procréation et celui qu'en ont les vampires, Lucius Sylvianus Nerae, Cotin Lucius Nerae, devenu patriarche de son clan, étant le plus ancien et le plus puissant, sans aucun doute, avait pris le pouvoir en ce domaine d'Irynia.
Pourtant, cela n'avait pas été sans mal, l'un de ses « oncles », d'un âge équivalent au sien, et un puissant mage de guerre, s'était opposé à lui, et seul l'intervention de puissantes déités majeures d'autres plan, ainsi qu'un préparation extrêment longue et minutieuse, lui avait permis de vaincre, s'imposant de fait comme maître absolu, et lui permettant ainsi de prouver une fois pour toutes sa légitimité à aspirer au pouvoir.
Son début de règne avait été marqué par la pacification des limites de ses terres, en particulier le cas de Gnomes nouveaux venus, s'opposant aux Célestiaux occupant les montagnes depuis des lustres, qui s'était achevé par le bannissement des premiers et un sermon aux seconds...
A la fois mage érudit et studieux, et fin politicien, bien que se refusant à entrer dans le jeu de l'Empire, il avait su se tailler un rôle de seigneur craint, prompt aux conquêtes mais non aux pillages, qu'il ne laissait que rarement à ses traîne-guenilles, considérant cette barbare activité comme indigne de son rang et de celui de ceux qui le servent.
Chérissant l'étude de la magie, il avait réussi à devenir, par ses talents, Thaimaturge des Arcanes, rang qui ne pouvait seoir qu'à un puissant comme lui, bien évidemment.
Indifférent à la politique sous Evalia, il s'y était intéressé plus activement sous le règne d'Enguerrand, Empereur éclairé qui, au contraire de certains de ses prédécesseurs, savait ce qu'il faisait, du moins jusqu'à un certain point, où de piètres décisions avaient ruiné sa domination et conduit au coup d'Etat de Fardall, dit le Phoenix.
Malgré le mépris que ce parvenu lui inspirait, le compte d'Irynia, même s'il s'opposait au règne d'un tel homme, le soutint quelque temps, bien décidé cependant à soutenir meilleur parti s'il se présentait.
~
Dans une salle richement meublée, qui irradiait la puissance, située dans les tréfonds du labyrinthique bâtiment des Arcanes, un être se tenait, assis, et s'efforçant de garder l'esprit vif malgré une fatigue qui lui faisait courber l'échine.
Seul.
Cela faisait des jours – ou des semaines ? - qu'il n'avait plus dormi ; en vérité, les vampires n'en avaient jamais eu besoin, mais tout magicien savait le sommeil réparateur non seulement pour le corps, mais aussi, et surtout, pour l'intellect, chose indispensable pour quiconque prétend pratiquer l'Art.
Mais pas pour lui.
Plus pour lui.
Ces heures de travail acharné autant qu'assidu qui l'absorbaient depuis maintenant bien longtemps n'étaient pas seulement des méditations et des gribouillages de sorcier ambitieux, ni ceux d'un érudit zélé ; c'était bien plus que cela : c'était l'aboutissement d'un millénaire de recherches et d'efforts, d'onze siècles de pratique de la Magie.
Plongé qu'il était dans ses préparatifs, il avait perdu toute notion du temps.
Il se faisait apporter ses repas par son fidèle Mornirach, et transmettait à celui-ci ses directives pour la gestion de la Corporation comme de son Comté d'Irynia. Nul autre que le redoutable Célestial ne l'avait aperçu depuis qu'il s'était cloîtré dans ses quartiers, avec l'ordre formel de ne pas être dérangé.
Il n'avait pas pris la peine de sécuriser magiquement la zone, il espérait que la terreur suffirait à éloigner les curieux.
Près d'un mois plus tôt, alors qu'il s'était retiré dans ses appartements pour réfléchir aux conséquences politiques des récents événements du Sénat, il avait sombré dans une grande mélancolie, sentiment qui ne lui était pourtant guère familier.
Depuis toujours, il avait cherché le savoir, et le pouvoir...
Sa longue vie avait été marquée par une perpétuelle quête de connaissance, qu'il menait depuis toujours, lui semblait-il...
Mettre la main sur le grimoire d'un grand mage du passé, trouver des objets d'une grande puissance magique, explorer les mystères des autres Plans... tout cela l'avait occupé, et passionné, des siècles durant...
Mais lorsque le savoir des anciens est connu, et que le plaisir de la découverte de nouveaux secrets est terni par l'habitude et ne suffit plus à rassasier le mage, que lui reste-t-il ?
L'Illumination...
Tout pratiquant de l'Arcane suit ce but principal, mais très rares sont ceux qui l'atteignent...
Pourtant, il y avait peut-être trouvé une solution... un moyen extrêmement risqué, et qui avait toutes les chances de lui arracher à jamais son intégrité physique et mentale... voire de le détruire à jamais...
L'un des projets fous qu'il avait en tête depuis longtemps.
Bien sûr, chaque mage a ses propres ambitions qu'il sait irréalisables, mais qui l'aident à se concentrer lors des longues nuits d'étude qui parsèment le chemin de chaque arcaniste.
Mais celui-ci...
C'était pure folie, même l'esprit le plus sot l'aurait perçu.
Mais après tout... que cherchait-il ?
Depuis la création de la Corporation des Arcanes, quelques années auparavant, l'espoir de former une association de mages suffisamment capables pour repousser sensiblement les limites de la magie l'avait obnubilé.
Lorsque de puissants intellects avaient rejoint le Corpus, dont il s'était hissé maître de par ses talents, il avait cru fermement à cette idée.
Mais la réalité rattrape même les magiciens : certains avaient renié leur voie, d'autres avaient succombé, et les survivants étaient loin d'être les plus doués.
Le tout lui prouvant une fois de plus qu'il n'arriverait à l'Illumination que seul.
Il avait donc entrepris une invocation qu'aucun être sain d'esprit ne serait en mesure d'envisager, mis à part peut-être Issacar le Ceint.
Une invocation contre nature.
Nucter !
Ou plutôt, son avatar, sa manifestation physique, son énantiomorphe, son incarnation profane, le puissant démon que les sots appellent Faucheuse, sans doute en de son bras démesuré dont la courbe inhumaine rappelle celle d'une faux.
Être extra-planaire d'une puissance terrifiante sur les énergies de la Mort, c'est ce qui, dans tous les plans, se rapproche le plus du divin Nucter, et le Comte Nerae avait récemment découvert que non seulement c'était le cas, mais qu'en plus ce « Faucheur » avait l'oreille du dieu.
Préparer la convocation de la déité n'était pas une mince affaire, et il y passa bien du temps, se faisant apporter par un Mornirach de plus en plus inquiet ce qu'il lui fallait, en refusant de fournir toute explication à ceux qu'ils jugeaient indignes de comprendre ce qui allait se jouer, soit à peu près tout le monde, lui excepté.
Nul besoin des artifices traditionnels, cependant ; il le savait, cette créature n'aurait aucun mal à déjouer des tours existant depuis des siècles dans les grimoires de démonologie.
Non, dans ce cas précis, seuls ses propres pouvoirs compteraient ; il n'échouerait pas, il en était persuadé.
Chercher à asservir le démon ne lui servirait à rien, c'était l'amadouer qu'il fallait, il voulait traiter avec, non s'en servir comme outil, et d'ailleurs, prétendre dominer un être d'une telle puissance serait suicidaire, même pour le plus brillant des mages.
Négocier avec les Puissances... voilà qui était à la hauteur des défis qu'il recherchait... et s'il menait à bien son argumentaire, le défi à venir serait bien plus insensé et formidable... infiniment et incommensurablement plus...
C'est pour cela qu'il se devait de réussir cette première partie de son plan... Il n'aurait, bien évidemment, pas de seconde chance, aussi devrait-il réussir à se concentrer quoi qu'il lui en coûte... tout serait terminé bien assez tôt...
"La Mort...
Les sages en parlent souvent comme étant "un élément indispensable de la Vie".
La plupart des gens du commun, eux, la considèrent avec une crainte mêlée de résignation face à un cruel mais inéluctable destin. Enfin, nombre des autres penseurs y voient l'ultime limite de l'être vivant, la seule contre laquelle nul ne peut rien.
Mais les choses sont différences pour les nécromanciens et ceux qui révèrent Nucter.
Car la Mort peut être davantage que le contraire de la Vie ou qu'un outil de la fatalité.
La Mort peut être bien plus qu'un simple état physique, elle peut se révéler autrement plus profonde qu'un simple état de non-vie.
La Mort peut aussi être un pouvoir incommensurable, un "être", certes immatériel, mais infiniment plus réel et redoutable que le plus puissant des humains, des elfes ou des monstres.
La Mort peut vaincre la Vie sans pour autant qu'il ne reste ensuite que des ruines fumantes de la prospérité. La Mort peut prospérer, et devenir tellement plus réelle que la Vie qu'elle constituerait dès lors l'état naturel de tout être, la Force qui régit l'univers.
Par une absurde et arbitraire décision d'on ne sait quelle entité ou hasard, la Mort est par nature synonyme d'immobilité, de ruine, de destruction et de malheur.
Mais à l'instar des lois terrestres, les Lois de l'Univers sont faites pour être contournées, et si tel était le cas, la Mort pourrait devenir synonyme de prospérité, de fertilité et de grandeur."
Là étaient les doléances, suggérées télépathiquement par les flux de la magie plutôt que formulées oralement, de l'Ombre.
L'Ombre... Un terme bien vague pour l'observateur rigoureux que se révélait le Comte Nerae, mais malgré toutes ses connaissances, il ne pouvait qualifier autrement le spectacle qui s'offrait à lui.
L'Etre qu'il avait convoqué n'avait ni forme, ni texture qu'on eût pu qualifier de terrestre. Sa silhouette indicible donnait l'impression de ne pas exister, impression qui se révélait sans doute réelle, puisque l'entité n'avait guère d'attaches dans le plan Mortel – par une grande ironie du sort – si ce sont sont celles dressées temporairement par le Thaumaturge. Ci, un semblant difforme de tête paraissait textile, et pour toute imagination un tant soit peu fertile, elle évoquerait le port d'une capuche démesurée et de forme improbable. Là, un bras absurde se tordait dans un angle anormal, et ses dimensions excessives évoquaient davantage le port d'un hache d'armes ou d'une faux qu'un membre réel.
Mais le puissant magicien n'avait pas sorti cet être innommable des abysses pour en contempler la nature indescriptible, et de toute façon, cela aurait signifié sa perte, ainsi, accessoirement, que celle d'une bonne partie des habitants de la Capitale.
Non ; il avait un but précis en exécutant le délicat rituel qui sollicitait en permanence qu'il mobilise ses pouvoirs comme sa concentration pour éviter de perdre le contrôle du laquais de Nucter.
Aussi, se décida-t-il à ne pas tarder plus que nécessaire, et à entamer promptement ses tractations.
Bien évidemment, il répliqua par le même biais.
"Si la Mort est ainsi considérée comme l'ennemi de toute chose, ce n'est pas par hasard. Cette crainte et haine déclarée de la part de la majorité des êtres qui peuplent Kalamaï a une raison, et non triviale.
Des grandes puissances, celles qui se réclament de la Compassion, de l'Honneur et de la Loi, ont réussi à imposer leur façon de voir les choses au monde, et se sont depuis toujours échinées à affaiblir les forces qu'elles considèrent comme rivales, sans doute par crainte de voir leur emprise se relâcher ou leur être arrachée. Et, par lâcheté ou manque d'initiative, les autres puissances de l'univers se sont ralliées à la cause de vainqueurs. Mais les lâches et les faibles sont on ne peut plus versatiles, et ne rechigneraient probablement pas à servir d'autres maîtres.
Les forces divines se sont opposées, et les vainqueurs ont façonné le Plan Mortel de façon à ce que leurs vertus y soient révérées, et celles de leurs rivaux haïes ou dédaignées. Le verdict fut prononcé, et, le pouvoir de chaque partie étant immuable, jamais il ne changera.
Mais les forces divines, bien qu'il n'existe rien de plus puissant, ont aussi le limites. Et ces limites peuvent être parfois dépassées par l'Art. Pas par la Magie, l'esclave de Kereb, mais par l'Art, la pratique qui s'élève au-dessus du savoir et des incantations."
Sentant sa concentration faillir, certes légèrement, il avait été droit au but, négligeant le soin de la formulation et de la diplomatie... C'en était fait : si l'Ombre ne se rendait pas à sa raison, il ne serait plus rien et disparaîtrait aussitôt, ses rêves anéantis.
Il s'était préparé à cette discussion, aussi, ne fut-il aucunement surpris lorsque la forme sombre répliqua comme le voulait la logique, ou plutôt, sa logique.
"Mais toute création est subgradiente, aussi, un être ne peut défaire son créateur.
Ceci dit, contrairement à ce que nous enseignent la Loi et l'Honneur, outrepasser son rang n'est pas impossible, à condition d'être fou ou extrêmement ambitieux. Et il est vrai qu'avec un champion pour soutenir sa cause, la Mort pourrait bel et bien triompher de ceux qui l'ont trahie.
Cependant, tout serment nécessite un gage. Et la Mort ne connaît qu'une seule forme de gage."
Enfin était venue la question de ce qu'il allait devoir « sacrifier » à Nucter... Eh bien, il s'y préparait depuis fort longtemps, et là encore, il avait une réponse toute prête :
"Dans les contrées d'Evandar, règne en maître une âme qui fut élevée au delà de son rang par celui qui deviendra champion de Nucter. De fait, lui, et tous les siens, appartiennent corps et âmes à ce champion, qui peut donc en toute légitimité décider de les sacrifier à la cause qui lui convient. Si tel est son bon plaisir, Nucter peut prendre la vie du seigneur-mage Vesce Nerae d'Evandar, et de la totalité de ses gens, qui lui doivent obéissance et attachement, même dans la Mort."
Voilà qui était dit... Des milliers d'âmes offertes à Nucter, en échange de son appui ponctuel...
Un millénaire de travail acharné dépendait de cet unique instant, de la décision que prendrait l'ambassadeur de Nucter... Cotin Lucius Nerae rassembla ses dernières forces mentales pour permettre à son esprit de rester concentré sur l'Ombre...
"La Mort accepte le tribut de ceux qu'elle sait vouloir bien la servir.
Si l'Art peut aider Nucter à rétablir l'équilibre et à prouver la légitimité de la Mort, Nucter acceptera l'aide de l'Art. "
Le soulagement et l'euphorie emplirent le Comte Nerae.
Enfin... enfin ! Il y était parvenu... il allait vers son avènement, vers son éternel triomphe !
C'est à peine s'il remarqua l'Ombre, dont la présence au sein du Plan Mortel s'amenuisait un peu plus chaque seconde. Ils en avaient terminé, il n'avait donc plus besoin de rester céans.
Le Thaumaturge, à cet instant, sentir son attention se dissiper, et c'est à peine s'il comprit quelques bribes du message d'adieu de l'entité qu'il avait convoquée, et qui semblait se révoquer d'elle-même.
"Puisse-t-il vaincre, celui qui apporte l'Art à la Mort. Puisse-t-il … celui qui ... 'pion de Nucter..."
Et sur ce, la sombre déité acheva de rejoindre son Plan d'origine, laissant seul le Comte.
Avant qu'il n'ait pu terminer de mesurer sa joie après cette négociation plus que fructueuse, il vacilla sur ses jambes, et s'écroulât, reposant un esprit fort malmené ces derniers temps...
Les morts ne rêvent pas...
Il en va de même pour ceux qui ont dépassé la mort, les immortels, et les Vampires le sont.
Dès lors, préciser que le Thaumaturge dormit, si tel terme peut convenir à l'état de repos et de méditation complet dans lequel il avait statué, d'un sommeil sans rêve serait superflu.
Cotin Lucius Nerae ouvrit les yeux. Dès que ses prunelles mortes se posèrent sur la salle dans laquelle il se trouvait depuis bien longtemps, un sourire éclaira sans visage. Il se remémora son succès de la veille, d'avant son sommeil en tout cas.
Il avait négocié un soutien divin, et l'avait obtenu, et ce, sans que cela lui demande de grandes concessions. Oh, il avait condamné un parent et les milliers d'êtres qui dépendaient de lui, mais après tout, qu'était ce petit sacrifice en comparaison du Pouvoir qui l'attendait ? Quelle valeur avaient quelques vies misérables en comparaison avec la chance de prendre place parmi les dieux ? Car tel était son projet : s'élever de manière à devenir égal aux déités qui forment l'essence du monde. Rien de moins. Mais il était le plus puissant de la plus illustre des familles, n'avait-il pas droit de facto à ce privilège ? Après tout, ce ne serait que justice.
Il se leva, fort d'une énergie nouvelle, dont la source lui était inconnue. Ou presque.
Après ce qu'il avait vécu, si tant est qu'on puisse parler de vivre dans de telles circonstances, plus rien ne pourrait l'arrêter en ce monde.
La fatigue, la lassitude, l'ennui ou les rêveries ? De tout cela, il était débarrassé !
Il sentait l'Art pétiller au bout de ses longs doigts, il sentait ses pieds toucher à peine terre, et son esprit vagabondait déjà loin dans les cieux.
L'Empereur était peut-être l'homme le plus influent et puissant de Kalamaï, mais le Comte Nerae doutait fort que cet homme populaire et redouté ait jamais ressentit cette impression de toute puissance, cette certitude d'un Pouvoir incommensurable et inégalé parmi les mortels.
Cotin Lucius Nerae rit.
Non d'un rire franc, ni d'un rire moqueur, encore moins d'un rire jaune, hypocrite ou encore amusé, non, il riait de puissance.
Il rit : c'était décidé : l'Empereur serait le Maître des hommes. Et lui serait le Maître des dieux. Tout paraissait évident, maintenant, sa route était toute tracée : rien ne l'arrêterait. Rien n'y personne ne pourrait se mettre en travers de son chemin, il avait accumulé suffisamment de puissance pour que rien ne lui résiste. Il disposait des alliés les plus précieux qui soient, et ses ennemis, malgré leur superbe, s'affaisseraient devant son invincibilité absolue.
Le courage qui l'emplit alors était presque animal : pourquoi attendre ? Pourquoi continuer à rêver de puissance alors qu'il lui suffisait de tendre la main pour que tout ce qu'il pouvait espérer se réalise ? Pourquoi rester sur terre, parmi les Bêtes, alors que la voie vers les cieux lui était révélée ?
Et soudain, ses pieds déjà volages cessèrent de toucher terre.
Il sentait déjà l'énergie monter en lui ; il n'était plus un magicien, il était la magie elle-même.
Il n'était plus chair et os, mais Arcane uniquement ; le Plan Matériel n'était plus pour lui qu'un vague songe, un mauvais rêve si absurde qu'on le chasse d'un revers de la main.
Penya Tavaril, l'Elfe qui occupait jadis le poste de Thaumaturge des Arcanes, avait coutume de prononcer la maxime « Vivre pour la Magie, et la Magie vivra ».
Ce dicton, il le comprenait désormais bien mieux que ne le concevait sans doute l'Elfe, car il le vivait pleinement.
Il avait dépassé le stade des grimoires, des formules et des alchimies, il n'avait plus nul besoin de pentacle ou d'incantation : il ne pratiquait plus l'Art.
Il était l'Art.
Les mages se servent de toutes sortes d'éléments pour contenir la magie afin de la déchaîner pour obtenir l'effet escompté. La plupart utilisent pour cela incantations, gestuelles et parchemins. D'autres, plus prudents ou plus craintifs, préfèrent utiliser des objets comme catalyseurs de la magie : bâtons, baguettes ou amulettes. D'autres enfin, plus audacieux, font confiance à leur esprit pour modeler la magie à leur guise, bien qu'ils finissent généralement fous ou séniles.
Le Thaumaturge, lui, n'avait plus besoin de ce genre d'artifice.
Il était son propre catalyseur. Son être tout entier était de Magie, et il renouvelait lui-même son pouvoir, qui lui semblait infini.
Déjà, il dirigeait toute sa personne vers un seul objectif, un seul Graal.
Il se sublimait, concentrait son esprit sur son but. Le Plan Ethéré.
Demeure, figurative bien entendu, des puissances qui régissent l'univers. Niveau de réalité au delà du réel, Plan d'Existence suprême, ciel parmi les cieux.
Étaient-ce des vapeurs trompeuses qu'il apercevait ça et là ? Ces lueurs qu'il apercevait étaient-elles aussi colorées qu'elles en avaient l'air ou n'était-ce que de la lumière pure ? Ces images indicibles qui le hantaient avaient-elles de la substance ? Tout cela était-il réel ou illusoire ? Ou encore les deux ?
Telle est la Voie de la Magie : accepter que la réalité n'est pas. Que n'est réel que ce qui est au-delà du matériel ; que rien n'est vrai, mais tout permis.
Il ouvrit les yeux, à moins qu'ils ne les fermât ; de toute façon, tout cela n'avait aucune importance. Mais il s'était ancré. Il avait atteint son but.
C'est par un effort extraordinaire, dont il ne se serait pas cru capable malgré sa très haute opinion de lui-même, de volonté qu'il parvint à s'arracher à l'euphorie de sa fusion avec l'Art, et faire appel à son intellect pour réfléchir aussi froidement que possible à ce qu'il entendait faire.
En ce niveau de réalité, tout autre que lui serait tombé dément fort rapidement ; car les lois même de la logique semblaient avoir été modifiées.
Nul sol, nul ciel, ni bas ni haut, ni ordre ni chaos, en vérité.
Le Plan Ethéré, qu'est-ce ?
Un ensemble inextricable de flux qui se mêlent et s'entrecroisent, sans qu'il n'y ait impression de désordre, ni de symétrie, d'ailleurs.
Un piètre poète l'aurait peut-être comparé à une fourmilière de l'enfer, quoique le Plan n'en eût guère la hiérarchie rigide.
Ici, il ressentait le flux agressif d'un Hassar plus belliqueux que jamais. Là, était l'effluve presque palpable, et d'autant plus répugnante, d'un Velsfer de malheur. Parfois, tout semblait mélangé, en des combinaisons parfois incongrues, aussi eut-il la surprise de percevoir une aura mêlée de Brak et de Chezzer avec, chose étonnante, des vestiges du preux Sorenssen, terrifiante combinaison s'il en est. Dans cette pelote aux fils entremêlés, il en cherchait le rouge, celui pour lequel il était venu.
Kereb.
Celui qu'il avait longtemps considéré comme un maître, puis, plus tard, comme une force immense dont tout arcaniste se devait de s'inspirer, était désormais bien davantage. Un rival, qu'il estimait et respectait, mais haïssait avec une glaciale férocité.
Dieu de la magie, de l'arcane et du savoir.
Il en percevait la proximité avec une effrayante netteté. Même s'il ne le voulait pas, il serait tout de même irrésistiblement attiré par cette magie pure, si proche de son essence.
Et c'est de son plein gré qu'il s'approchait chaque seconde davantage du maître d'arcane.
Confrontation
L'Arène était colossale et l'Ennemi improbable.
Ni gradins, ni sable, seulement la divinité.
Ni filets ni épées, uniquement l'Esprit.
Kereb le Mage, gardien des savoirs arcaniques de Kalamaï, mentor symbolique de tout magicien, et être de magie, Kereb lui-même se dressait devant le Thaumaturge Cotin Lucius Nerae.
Le Dieu n'avait pas de forme physique comme on aurait pu l'entendre sur le Plan Matériel, il était. Il emplissait l'atmosphère tel l'encens, et semblait n'occuper aucune place précise ; il était partout à la fois.
Mais si involontaire que fût se subterfuge, le Comte Nerae n'entendait pas s'y tromper. Et il regardait sans ciller l'icône du Dieu qui lui faisait face, et tout observateur non averti aurait dit qu'il s'adressait à l'objet directement, comme le font nombre de dévots ignorants .
Qu'importait les apparences, cependant. Qu'il soit ou non matériel, Kereb demeurait un être d'une immense puissance, et il ne comptait pas l'oublier.
« Expose »
Par cet unique mot, le divin magicien invitait le puissant vampire à s'exprimer. Ni parole ni télépathie n'étaient de mise, et il n'est pas de mot pour décrire l'échange qui s'ensuivit.
« Kereb le Mage a été surpassé.
Moi, Cotin Lucius Nerae, pratiquant de l'Art, suis venu défaire la Magie. »
Cette déclaration parut provoquer l'hilarité chez le dieu-mage.
Le décor changea radicalement.
Les volutes chaotiques qui forment la véritable nature du Plan Ethéré avaient disparu pour laisser place à une pièce richement meublée.
Il y faisait plutôt sombre, et un feu agréable brûlait dans l'âtre. Une chaise et une table toutes deux fabriquées dans les bois les plus nobles qui se fassent trônaient fièrement non loin de la chaleur bienveillante du brasier.
Les murs, qui semblaient s'étirer à l'infini, étaient couverts de bibliothèques titanesques, toutes pleines de livres reliés de mille façons.
Ce cadre qui n'était pourtant qu'une habile illusion était plus que familier au Comte Nerae. Et visiblement, il en était de même pour Kereb, qui illustrait ainsi sa nature même.
Là était l'idylle du magicien, là était la voie de ceux qui suivent Kereb.
L'espace d'un instant, le Comte Nerae hésita. Après tout, pourquoi renoncer à pareille vie ? Une étude simple et honnête, un savoir croissant régulièrement, et une vie aussi agréable, que demander de plus ?
L'Illumination qu'il cherchait depuis tant d'années, cette maîtrise absolue de soi et de la Magie, n'était-ce pas simplement cette pièce ? S'asseoir devant le feu et se plonger dans un passionnant ouvrage ne pouvait-il donc pas suffire à son bonheur ? Il avait l'éternité devant lui, pourquoi ne pas en profiter pour passer des jours, des mois, des années, des siècles même dans ce confort total ?
Parce que ça ne suffisait pas.
Parce que Cotin Lucius Nerae ne se satisferait pas d'une existence d'étude et d'érudition. Parce que le Comte d'Iryinia était aussi du clan Nerae, qu'il maîtrisait la magie, et même l'Art, mieux que personne, et parce qu'il méritait le pouvoir.
Parce que cet avorton de dieu de la magie ne ferait pas le poids face à son incommensurable puissance.
Et même si elle ne suffisait pas, il bénéficiait d'alliés puissants.
Se ressaisissant soudain, il para l'illusion de Kereb, et lutta de toute la force de son esprit contre la pernicieuse suggestion.
Il repoussa l'attrayante séduction, et se souvint ce qu'il était céans venu faire : vaincre.
Concentrant ses forces, il en appela aux puissances obscures, à celui qui lui avait promis son aide.
Nucter.
Sa soudaine poussée déconcerta le dieu-mage, qui, surpris, relâcha sa pression sur son étonnant adversaire. Celui qui avait été Thaumaturge des Arcanes en un passé qui semblait immémorial saisit sa chance, et, comme si cela n'exigeait de lui nul effort, en appela au dieu de la Mort.
Comment les divinités pouvaient-elles trouver leur chemin dans ce chaos éthéré, cela le dépassait, ou plutôt, il n'avait guère le temps de s'en préoccuper.
La salle d'étude vit son aspect sensiblement modifié. De l'air même semblaient émaner des relents de putréfaction. Le Mort reprenait ses droits, et sans détour.
Ainsi, Nucter avait répondu à son appel...
Et il ne venait visiblement pas seul en renfort, puisque dans l'instant, tout semblant d'ordre dans la pièce pourtant si sereine disparut, ne laissant qu'un ravage chaotique digne de son dieu.
Bronek en personne venait également prêter assistance au Comte.
Cette soudaine intervention ne le surprit d'ailleurs qu'une fraction de seconde ; immédiatement après, un sourire élargit son visage déjà déformé par un rictus de dément : évidemment, il aurait dû s'en douter ! Ses prérogatives ne pouvaient que semer le désordre parmi les dieux, et, a fortiori, dans le monde, ce qui faisait les affaires de Seigneur du Chaos.
Kereb le Sage, devant un tel déchaînement de puissance, s'affaissa, lentement.
Sa présence devint vacillante, avant de disparaître complètement.
Si quelque curieux en Kalamaï avait contemplé les cieux en ce moment précis, il aurait pu voir une discrète étoile briller plus que de coutume en quelques secondes de souffrance absolue, avant de s'éteindre...
C'était fait.
Cotin Lucius Nerae, Comte d'Irynia et Thaumaturge des Arcanes, avait terrassé, non sans aide il est vrai, le dieu de la magie.
Ni explosions spectaculaire, ni feux démentiels, ni déluge d'énergie pure, simplement un unique duel d'esprit, préparé soigneusement, qui avait abouti rapidement par l'annihilation du perdant. Rien d'autre...
Le vainqueur, lui, avait quelque difficulté à réaliser ce qu'il avait accompli. Car désormais, il était le Dieu de la Magie.
Plus rien ne s'opposait entre lui et cette place, qu'il avait d'ailleurs bien méritée.
Désormais, il avait atteint son but. Pouvoir, gloire, fortune et renommée, tout cela lui semblait bien futile désormais ; il avait vaincu. Et rien ne pouvait remplacer ce sentiment d'exaltation victorieuse.
Maintenant qu'il avait réussi, il ne lui fallait plus rien d'autre, rien que pouvoir jouir de sa puissance nouvelle en toute liberté.
Plus rien d'autre...
A moins que...
Il avait réuni un pouvoir incommensurable, avait vaincu une divinité, qu'est-ce qui l'empêcherait d'en faire de même pour les autres ? Et de devenir, non pas un dieu parmi d'autres, mais l'unique dieu qui régirait les Plans ? Oui ! Il en était capable ! Plus rien ne l'arrêterait !
Annihilation
Le sentiment d'invincibilité était croissant, de même que son ancrage en ce plan éthéré, si différent du plan Matériel. Il s'en était rendu compte tandis que Kereb faiblissait et que lui, Cotin Lucius Nerae, s'arrogeait ses pouvoirs, et se nourrissait de sa déchéance.
Alors qu'à son « arrivée », il n'était qu'une ombre, qu'un importun qui avait usurpé son droit de se trouver là, il se sentait maintenant en pleine harmonie avec ce monde étrange.
Désormais, il le percevait clairement, la logique lui en apparaissait, comme évidente.
L'enchevêtrement de fils divers et variés qui lui avait semblé sans queue ni tête n'était désormais à ses yeux guère plus qu'un simple nœud, qu'il pourrait défaire ou trancher à l'envi, mais dont il distinguait tous les fils.
Fort de sa toute-puissance nouvelle, il avisa l'un d'eux. Brak, dieu de la force, celui qui régnait en maître sur tant de populaces ignorantes, et qui y empêchait l'avènement de la magie. Il le saisit de ces mains immatérielles, et lui imprima une brusque traction, mentale elle aussi, se concentrant des heures d'un temps inexistant à sa tâche. Au bout d'un moment incommensurable, ou peut-être infinitésimal, le lien se ternit, et le Thaumaturge sourit : la Force, désormais, n'aurait plus la moindre valeur sur le Plan Matériel.
Oui, Thaumaturge il était vraiment, désormais, car là étaient de véritables miracles qui s'opéraient sous sa main déterminée, qui avait asservi la Mort et le Chaos, et vaincu la Magie et annihilé la Force.
Ivre de puissance, il choisit le lien d'Orfange. La chance démérite les travailleurs et les étudiants acharné, il devait donc s'en débarrasser. Aussi promptement qu'avec Brak, il opéra sa sinistre besogne.
Une fois de plus, il avait changé le monde, sans que ça ne lui coûte le moindre effort.
Enfin... enfin ce dont il avait rêvé depuis des siècles, et bien plus encore, lui appartenait.
Le pouvoir des dieux, le pouvoir du monde, tout cela était entre ces mains. Il suffisait qu'un aspect de l'univers ne lui plaise pas pour qu'il l'anéantisse à jamais, et qu'un autre l'intéresse pour qu'il le glorifie entre tous.
Son pouvoir ne se limitait pas à un brutal déchaînement de puissance : il pouvait modifier le multivers comme s'il s'agissait d'un rêve. Un rêve dont le rêveur serait conscient, et qu'il pourrait donc modifier à sa guise, sans limite ni restriction, dans toute la splendeur d'une liberté de création absolue.
D'une seule pensée, il pouvait réécrire toutes les histoires, modifier l'essence même de la logique.
Rien ne lui était impossible...
L'intelligence froide qu'il avait acquise par sa pratique de la démonologie arcanique lui revint brusquement.
Avant d'être réellement maître de tout et toute chose, il lui fallait s'occuper de quelques détails.
Les dieux.
Des puissances terribles existaient encore, et pour réaliser son rêve, il se devait de les éliminer. Pour le bien de l'univers.
Il lui faudrait se débarrasser de ces nombreux dieux, qui empêchaient le monde d'être comme il le devrait.
Après tout, il n'était pas besoin de tant de divinités païennes, juste d'une seul.
Un seul plan, une seule loi, un seul dieu... voilà qui sonnait bien, non ?
Les êtres vivants dans le Plan Matériel s'accommoderaient bien vite de sa suprématie... et si tel n'était pas le cas, après tout, il suffirait simplement de les... gommer de la réalité. Tout semblait si simple.
Finalement, ce n'était pas une égoïste envie de puissance qui mouvait le Comte Nerae, mais bien un souhait noble d'un monde meilleur.
Bien entendu ! Et, animé de ces motivations, les meilleures du monde, il pourrait tout changer !
Mais d'abord, les obstacles... il se devait d'éliminer les obstacles qui se dressaient entre lui et son glorieux rêve.
Que voyait-il, juste là ? Des élans de compassions, Dinas, dieu de cette faiblesse qu'il avait toujours méprisée, se tenait à sa portée. Comme précédemment, l'Arcaniste se saisit sans peine de toute l'essence de ce concept, et n'eut aucun scrupule à s'en débarrasser à jamais.
Avec quelle facilité il tirait les ficelles, avec quelle aisance il se rendait maître de tout chose. A ce rythme, il n'aurait guère à attendre pour voir ses espoirs se réaliser. Un seul dieu !
« Non »
Le mot le frappa de plein fouet, le réduisit au silence aussi sûrement qu'une décharge d'énergie magique.
Bien entendu, il s'était attendu à ce que résistance s'oppose à ses projets. Il avait d'ailleurs été étonné qu'elle ne se fût pas présentée plus tôt.
Mais ce « non » n'était pas l'héroïque refus de la fatalité d'êtres acculés mais déterminés. Ce n'était pas non plus le déni de quelqu'un en proie aux affres de l'agonie et qui ne veut pas accepter son sort.
Non, ce refus catégorique était celui qu'on oppose à un enfant gâté qui exige une faveur de trop.
Et la stupéfaction qui l'envahit devait être proche de l'étonnement de cet enfant gâté.
Le Thaumaturge se reprit rapidement, pourtant. Il obligea son intangible opposant à lui faire face.
Évidemment.
Kanderak et Sorenssen, la Loi et l'Honneur, qui s'opposaient courageusement à sa domination. Courageusement, certes, mais inutilement, car le Comte Nerae disposait désormais d'un pouvoir suffisant pour écraser ces importuns.
Il se préparait à faire face, lorsque le Rire anéantit tous ses espoirs...
Tout disparut soudain. Sorenssen, Kanderak, mais aussi Nucter, Bronek, sources de son pouvoir, même son Art lui fit défaut.
Ne subsistait plus que le Rire, tonitruant, désespérant.
Dios, Dieu du Mensonge, se tenait devant lui, toute sa puissance révélée par la manipulation raffinée qu'il venait d'opérer.
La vérité, terrible ironie, lui éclata soudain au visage : sa merveilleuse conquête des plans divins, son accumulation de puissance, tout cela n'avait été qu'un leurre, qu'une esbrouferie.
Depuis quand, au juste ? Depuis quand maintenait-on autour de lui l'illusion ? Depuis sa victoire sur Kereb ? Ou plus tôt encore ?
Le fait était que cela faisait quelque temps qu'il était trompé. Mieux : qu'il se trompait lui-même. En cela, Dios avait été magistral : nul besoin qu'on lui murmure des mensonges, puisqu'il les avait entretenus de lui-même.
Son espoir avait été sa propre tromperie, et la puissance démesurée qu'il avait accumulée ne pouvait rien face aux illusions dont il berçait.
Les souvenirs furent d'un coup bien plus confus dans son esprit déjà accablé par sa défaite, et il ne put plus les ordonner correctement. Qu'avait-il vraiment fait, et qu'est-ce qui était simple phantasme ?
Où commençait la réalité, où s'achevaient les rêves ?
Et où était-il en ce moment précis, si ce n'est perdu dans d'oniriques réflexions ?
A cette dernière question, au moins, la réponse vint bien assez tôt.
Car il se sentit soudain emplit d'une horrible souffrance. Sans doute ses interrogations s'étaient-elles déroulées en une fraction de seconde, à moins que les dieux qu'il avait défiés, et non vaincus, comme son esprit embrouillé s'en rendit compte, aient pris un délai pour statuer sur son sort. Délai sans importance, puisqu'ici le Temps ne semblait pas avoir cours, pas de la même façon que sur le Plan Matériel du moins.
Il se sentit chuter, lourdement, et sans plus le moindre espoir : il avait échoué, et ses rêves n'étaient plus que néant.
Dans sa descente silencieuse, il était escorté par des voix perfides, se gaussant de son échec et l'informant par avance des tourments qui l'attendaient sans doute. Serait-il condamné à un supplice éternel ? Serait-il tout simplement déchiré par la trame de la réalité, comme nombre de magiciens imprudents ? Servirait-il de chien de garde en quelque endroit sacré pour les dieux qui l'avaient condamné ? Ou simplement de contre-exemple légendaire pour tout apprenti magicien ? Endosserait-il tous ces rôles, et d'autres pire encore, à la fois ?
Pour l'heure, il chute, ses ailes brûlées.
Annexes au BG : écrits du clan Nerae
- Le nécro-flux : voir https://do-roleplay.1fr1.net/013-h15.htm
- Bases de la Démonologie : voir https://do-roleplay.1fr1.net/003-h5.htm
Dernière édition par Cotin L. Nerae le Dim 1 Nov 2009 - 13:19, édité 2 fois (Raison : Refonte complète du Background)