Rares étaient les troupes qui sillonnaient dans les environs. Rares, car personne n’avait l’idée de venir par cette côte pour atteindre la fière Methymna. Les gardes, à la fois courageux et détendus par cette escapade de routine, ne se méfiaient que peu des âmes perdues en cet endroit. Alors qu’une dizaine d’entre eux contournaient un volcan éteint en se contant mille aventures à réaliser, ils virent une silhouette se dessiner au loin. Le plus haut gradé accéléra légèrement le pas afin de distinguer l’inconnu : il ne venait pas d’ici. Très imposant, un Infernal peut-être. Il l’observa jusqu’à ce que ses soldats le rejoignent, et ils s’empressèrent de le rejoindre lorsque le général déclara :

- Allons-y !

La troupe se hâta, et ne ralentit le pas qu’à une courte distance du voyageur. Une fois devant lui, ils s’arrêtèrent, et le général avança d’un pas pour le saluer :

- Pouvons-nous vous aider, Messire ?

Il gardait une main sur son épée, par prudence : après tout, il n’était pas à l’abris de tout danger face à une créature telle que celle lui faisant face...

Dès qu'il entendit les hommes, bien avant de les voir, Xéénothée matérialisa un long manteau noire à capuche, fit disparaître ses ailes grâce à un sort d'une grande complexité, et enfila le vêtement, rabattant le capuchon sur son regard, afin de ne pas effrayer les premières âmes qu'il rencontrait dans ces terres désolées. Une escouade d'une dizaine d'hommes semblait-il. Comme pour confirmer ses intuitions auditives, l'Etranger vit arriver au loin la troupe, et s'arrêta, les attendant patiemment. Lorsqu'ils arrivèrent à proximité, l'un d'entre eux, probablement le chef, s'adressa à Xéénothée, l'air méfiant, la main sur l'épée.

- Pouvons-nous vous aider, Messire ?

Le gigantesque seigneur d'Omorphékoorèh sourit, découvrant une dentition inquiétante pour quiconque se retrouverait confronté à sa morsure. Sa voix chaude et charmeuse s'éleva, corrompant subliminalement les coeurs des hommes qui lui faisaient face. Il s'inclina pour accompagner ses propos.

- Vous pouvez en effet m'être d'une grande aide, vous qui semblez connaître ces lieux. Je me présente, je suis Larios Simeon Utrogoth, un humble voyageur, qui parcourt depuis quelques mois les terres de l'Empire et des Provinces qu'il dit posséder. Je ne connais pas les terres d'Argostole, mais je dois impérativement me rendre à Methymna. Pourriez-vous m'en indiquer le chemin, messieurs ? Je dois vous avouer que c'est une affaire urgente qui m'amène en ces terres brûlées.

Larios Simeon Utrogoth. Xéénothée aimait ce nom, et il l'utilisait chaque fois qu'il prenait sa forme réelle, afin de mieux passer pour l'Infernal civilisé qu'il prétendait être. Il espérait que ces soldats n'allaient pas lui causer de soucis, car il serait alors contraint de les neutraliser et de continuer à errer au hasard, ce qui ne lui plaisait guère.

L’inconnu impressionnait les soldats, mais ils ne laissaient rien paraître. Evidemment, cela ne donnerait guère une bonne image à la province si ses représentants se montraient effrayés... Même si c’était par un individu grand, visiblement fort et certainement très rusé. Le général se fit donc violence et répondit avec dégagement :

- Fort bien, Sir Larios Simeon Utrogoth. Methymna la Grande est située de l’autre côté de ces collines...

Il indiqua la direction par un doigt tendu, laissant son regard se poser sur le paysage de sable et de roches orangés. Le chemin ne paraissait pas plus dangereux qu’un autre, mais le plus gradé de la troupe se devait de ne pas manquer à son devoir...

- La route n’est cependant pas très sûre, c’est pourquoi nous vous proposons de vous escorter jusqu’à votre destination. Pour être franc, je me sentirais responsable s’il arrivait malheur à un honnête voyageur sur les terres que je garde...

Regardant à présent l’ombre de la cape de son interlocuteur – à défaut de voir ses yeux –, il attendit une quelconque réaction, espérant que ce soit la bonne.

Le chef des sentinelles indiqua la direction de Methymna et proposa son escorte à l'Etranger. Peut-être pourrait-il faire meilleure impression en arrivant à la capitale accompagné des gardes d'Argostole. Soit, cet humain, courageux, soit dit en passant, pourrait l'accompagner, tout comme ses hommes.

- Je vous remercie pour ce renseignement qui m'était nécessaire, ser. Quant à votre proposition d'escorte, sachez que je ne cours aucun danger, ici comme ailleurs, mais si cela peut vous rassurer, je l'accepte.

Autre chose. Le but véritable de mon voyage en ces terres est de voir où est la situation en Argostole, et, si cela est possible, rencontrer le Palatin qui se nomme, si les nouvelles qui me sont parvenues sont fraîches, Adalemos de Feu Ardent. Auriez-vous des conseils à me donner quant à la conduite à adopter dans la capitale ? Je vous en serais fort reconnaissant. Vous pourriez m'en parler durant notre voyage jusqu'à Methymna.

Quatre hommes prirent la tête de l’expédition, quatre autres suivirent le général et le soldat qui encadraient le voyageur. Ils se mirent en marche, lorsque Larios Simeon Utrogoth annonça ses intentions et questions au plus gradé. La mention du Comte le fit sourire, et il s’empressa de confirmer les rumeurs :

- Le Seigneur Adalemos est effectivement le noble Palatin d’Argostole. Il a repris ses fonctions il y a peu... Sa Province avait grand besoin de ses compétences et de son charisme, il était temps qu’il revienne !

Le vent commença à se lever, soulevant des milliers de poussières dans son sillage. Le voyage allait être
pénible, mais les hommes en avaient l’habitude. Atteignant le pied de la première des trois collines, le général poursuivit son discours.

- Il ne vous sera pas aisé de le voir. Le Palatin traite les affaires de la plus haute importance en premier lieu... Cependant, si vous avez de la chance et de la patience, peut-être aurez-vous l’honneur de vous entretenir avec lui.

En ce qui concerne la capitale, si vos intentions sont nobles, vous ne devriez pas avoir de problème... Par contre, si je peux me permettre un conseil, surveillez tout de même vos arrières... Sait-on jamais...

Il ne souhaitait pas alarmer le voyageur, mais après tout, il n’aurait pas été très juste de lui cacher les risques potentiels que courent les étrangers... Même ceux qui effraieraient n’importe qui.

Le voyageur trouvait que le général était amusant : soit. Ce n’était pas vraiment pour cela qu’il avait été promu, mais après tout, une qualité supplémentaire était toujours bonne à prendre... Lorsque le supposé Infernal lui parla de son « arme », un sourire se dessina sur le visage du haut gradé... Il le laissa finir son explication, puis fit une remarque :

- Vous me rappelez quelqu’un Messire, qui elle aussi n’a pas besoin de muscle pour être crainte de tous...

Il ne se sentait pas vraiment en danger, malgré l’affirmation de son interlocuteur. Il connaissait parfaitement la Province, et même en supposant que le voyageur vienne à bout de ses hommes, il ne serait toujours pas seul... Il garda ses pensées pour lui en continuant la marche, l’esprit apaisé.

- Methymna est encore à deux lieues d’ici, nous y sommes presque.

Les soldats commençaient à être fatigués. Cela faisait un moment que l’autre troupe avait dû prendre la relève : ils iraient se reposer une fois dans la capitale.

Capitale qu’ils atteignirent bientôt...

Arrivants enfin à destination, les hommes arrêtèrent leur marche, souffrant de la soif et de la fatigue. Le général ne laissa pourtant rien paraître, soucieux de donner une bonne image. Il balaya l'endroit du regard, mais ne passa pas les remparts.

- Je vais prendre congé. Je vous remercie, ser ... ? Je ne crois pas connaître votre nom. En tout cas, ne vous inquiétez plus pour moi, je saurai me débrouiller. Encore merci. Qu'Orfange guide vos pas et Hassar votre bras.

- Puisque vous n'avez plus besoin de nos services, nous vous laissons...

Un signe de tête à ses hommes, qui acquiescèrent, avant de se tourner à nouveau vers le voyageur :

- Je vous souhaite bien du plaisir en notre belle province, Messire.

Le général s'inclina, saluant le voyageur, avant de le quitter et de regagner le Royaume de sa Comtesse, en compagnie de ses hommes.