La forêt d’Hépistèm abrite bien des secrets. Les Anciens eux-mêmes n’ont qu’un savoir limité sur le bois. Un groupe d’Ancien avait formé une expédition scientifique pour percer un mystère durable et irrésolu jusqu’à présent : d’où venait la source de mana alimentant la forêt ? Le groupe mené à l’époque par Uun avait produit un mémoire argumentant que la terre de la forêt libérait à petite goute une immense source de mana enfouit sous terre. A l’époque personne n’avait vraiment voulu vérifier mais beaucoup savait que l’expédition n’avait pas pu atteindre le cœur de la forêt alors que la mana y était plus concentrée qu’au village. Personne n’avait jusqu’à lors voulu briser le pacte entre la forêt et les Anciens.

[…]

Ewdemun essuya d’un revers la sueur qui coulait sans cesse de son front. Accroupi sur une branche d’un imposant feuillu, le sorcier reprenait son souffle. Il extasiait intérieurement. Il s’était aventuré au plus profond de la forêt pour pouvoir bénéficier d’un apport gigantesque de mana, afin de pouvoir concentrer tout son pouvoir. Peu habitué à une telle saturation dans l’atmosphère, son corps comme son esprit s’usait de plus en plus alors qu’il approchait de son but. Le cœur même de la forêt. S’élançant de nouveau de branche en branche, il progressait à travers la végétation avec la grâce naturelle de ceux de sa race. Percevant un lien puissant de mana, il continuait inexorablement son chemin comme un basilic le ferait sur sa proie. Plus il avançait vers la source du mystère, moins il percevait les traditionnels bruits faisant vivre la faune et la flore de la forêt. C’était comme si le temps se figeait. Arrivé au plus profond du bois, la lumière se fit rarissime car les feuillages absorbaient tout rayon de l’astre. Bien qu’en pleine journée, Ewdemun devait plisser les yeux pour distinguer les contours des végétaux. C’est presque en aveugle, mais guidé par la mana, qu’il découvrit le temple légendaire.

Posé sur des dalles de pierre se dressait cet imposant édifice qui semblait avoir échappé à l’usure du temps. Fusion incongru du minéral et du végétal, le temple disparaissait dans l’agglomérat d’arbres qui l’abritait. Camouflée dans les sillons tortueux des troncs se dessinaient une entrée sombre, presque menaçante. Le sorcier s’approcha prudemment de l'ouverture visible du bâtiment surnaturel. Jamais au cours de son longue vie il n’avait ressenti tant de mana réunie. Et si pure. Ewdemun frissonnait dans tout son être et au plus profond de son âme. Il y avait en ce lieu quelques forces ancestrales d’une aura surnaturelle. Une vague d’énergie traversant l’espace et le temps.


Obnubilé par sa découverte, l’Ancien extasiait intérieurement car il savait qu’il venait de trouver la source de mana qui alimentait la forêt. Comme il s’approchait encore plus de l’édifice, il sentait en lui la puissance et la force de ce lieu le pénétrer. Il était maintenant au seuil de l’entrée. Reconnaissant les colonnes doriques, fierté de l’architecture naine, le regard d’Ewdemun fut attiré par des symboles gravés sur l’imposte de l’entrée. Après un bref parcours, il comprit qu’il s’agissait d’une ancienne langue naine, que même les plus vieux Anciens comme lui avaient oubliée. Alors que l’Ancien hésitait quant à la suite à adopter, les lettres s’illuminèrent. Alors qu’elles n’étaient que des sillons dans la roche, les lettrages prirent une teinture lumineuse dorée, éblouissant le sorcier qui jusque là évoluait dans la pénombre. Le sorcier fut prit de surprise, puis de panique en réalisant qu’une source de puissance s’approchait de lui. Ewdemun ne se démonta pas pour autant. Saisissant des réactifs, il s’apprêtait à incanter un sort de défense. Il sentait la mana l’envahir et couler dans son sang à une vitesse effrénée. Mais déjà la puissance inconnue était sur lui, le privant de tout échappatoire. Le sort mourut sur les lèvres du sorcier, ses yeux s’écarquillèrent à la vue de ce qui approchait. Aspiré dans une spirale de mana, les ténèbres vinrent rapidement mettre fin à la vision de l’Ancien.

Il est parti dans cette direction.

L’ancien laissa retomber la terre et les branchettes qu’il tenait, pointant le Nord de sa main gauche.

En êtes vous sûr conseiller Onllondo ? C’est le coeur de la forêt, personne n’y est jamais allé.

Les arbres ne mentent pas, continuons.

Les quatre individus reprirent leur route en chevauchant les arbres. Ils étaient tous des anciens, voila leur seul point commun. Le premier faisant office de mentor et de guide, Onllondo, était le plus haut représentant d’Hépistèm et un druide de renom. Le second était de tout point de vue un militaire. En tenue légère, il arborait un plastron en bois souple et des jambières de la même matière. Deux épée courtes en os de pendaient de sa ceinture. Le tatouage d’henné trahissait son appartenance au cercle, un petit trait en dessous précisait un grade supérieur. Oudanneba était l’adjudant en chef de la division de protection du Cercle et un des meilleur guerrier d’Hépistèm. Le troisième ancien n’avait aucune tenue, mais il tenait un bâton de bois souple dans une main, dénotant son appartenance au corps du clergé. En effet, Ufal était moine et avait prêté serment de pauvreté. Il ne possédait rien hormis son bâton et ne vivait que de la charité des autres et de ses talents de guérisseur. Quant au dernier ancien...

Ethosem inspira un grand bol d’air qui le rempli de contentement. Il avait retrouvé la forêt, il avait retrouvé ses êtres ! Chaque bruissement de feuille, chaque piaillement d’oiseau, chaque chuintement d’insecte le remplissait d’une énergie nouvelle qu’il avait perdu au dehors. La forêt était sa maison. La forêt était sa raison. Il avait quitté précipitamment Samos après sa nomination afin de venir se ressourcer. Mais voila que les ennuis le suivaient. Ewdemun le représentant des sorciers avait disparu dans la forêt voila près d’un mois. Ethosem avait tout de suite était requis pour enquêter sur cette disparition. Il ne pouvait refuser ce devoir à ses êtres. La forêt, il la connaissait mieux que quiconque.


Le corps d’Ewdemun, ou plutôt ce qu’il en restait, fut découvert à l’entrée du temple. Les quatre êtres furent très affectés de cette perte. La mort, quel qu’elle soit, était la plus grande tragédie pour la race des Anciens. Un rituel de plusieurs jours était organisé pour apaiser l’esprit du défunt et lui permettre de rejoindre le royaume des Dieux. L’effroi pouvait se lire sur les quatre visages. Du sorcier, il ne restait qu’une fine couche de peau verte et d’os à même le sol. Une coquille vidée de son essence. Ethosem fut alors prit d’une violente migraine. Inquiet, Ufal vint le soutenir.

C’est une tragédie, que son âme repose en paix.

Ethosem ne répondit pas tout de suite. Cette migraine...

La mana...elle sature l’air... mon corps en est affecté...himg...

Il n’y avait plus de doute là dessus. Un enchantement puissant protégeait ces lieux.

Je sens la colère des esprits, dit le moine, nous ne sommes pas en sécurité ici.

Réagissant par réflexes, le guerrier du cercle sortit ses lames, scrutant l’ennemi invisible qui les menaçait. Chacun se préparait à faire face, la retraite ne semblait pas une option. Ethosem intervint à ce moment.

Les esprits sont liés à l’enchantement, il nous faut calmer les esprits, cela désenchantera cet endroit.

Comment ?

Par un chant sacré.

Nous ne sommes pas assez l'Enchanteur, le chant sacré requiert plus d’êtres.

Nous n’avons pas le choix.

Alors, mue par une puissante ferveur et un amour commun pour leur forêt, les quatre anciens se prirent par les mains en formant un petit cercle. Ce fut tout d’abord un léger couinement, puis un sifflement taciturne qui s’éleva dans l’air. Les anciens chantaient. De leur corde vocale jaillissait un torrent de phonème aux intonations infinies. L’atmosphère ne tarda pas à se remplir de cette mélopée sibylline mêlant à la fois bonheur et chagrin, joie et tristesse, espoir et crainte. Comme un vent de bise, la mélodie apaisait l’atmosphère du temple. Les lettrages du temple s’illuminèrent en projetant un voile pale autour des quatre êtres. C’est alors qu’il apparut. Un spectre. Un spectre d’une longueur démesurée glissa en dehors de l’entrée sombre. Comme il grandissait au dessus d’eux, Ethosem put appréhender toute la majesté que dégageait l’être mythique. Il en tomba presque, les larmes aux yeux.

Un... un esprit de dragon...

C’était dans les plus anciennes légendes que s’étaient transmises les connaissances relatives à ces esprits. Selon celles ci, la mort d’un dragon est d’une telle importance que leur jugement par les Dieux peut prendre des années. Durant cette période, l’esprit du dragon est détaché de son corps. Afin d’éviter un déséquilibre de la mana et du nécro-flux, les Dieux firent élever par leurs fidèles nains des temples pour accueillir en paix l’âme des dragons. Les temples légendaires. Leur trace fut perdue avec le temps et de mémoire d’ancien, très peu de temples existaient dans Kalamaï. Aujourd’hui, Ethosem pouvait en contempler un de ses propres yeux. Lorsque l’état de choc se dissipa, Onllondo fit le premier pas vers la créature éthérée qui flottait toujours entre eux et le temple. Ne parlant pas le draconique, il utilisa diverse langue de la nature. Finalement, il parvint à établir un contact avec l’être.

Repos et paix noble esprit. Nous sommes ici en paix et repartirons en paix. Laisse nous prendre notre cher être pour le ramener à son foyer.

Une voix millénaire envahit alors l’esprit du druide.

L’être a souhaité la puissance, elle ne lui était pas destinée. C’est sa propre raison qui la détruit.

Vos paroles sont rudes mais justes. Accepter nos regrets et pardonnez nos offenses. Nous ne voulions troubler votre repos.

L’esprit draconique semblait scruter tour à tour les quatre anciens. Il s’arrêta plus longtemps sur Ethosem.

Notre repos fut troublé il y a peu. Les esprits sont agités.

Nous en sommes meurtris, assura Onllondo.

Ce n’est pas vous...ni lui... Des êtres malsains troublent la mana, nous ne pouvons trouver repos. Le chant ne suffit pas.

Qui sont donc ces êtres ô puissant esprit de la nature ? Pouvons nous aider à votre repos.

Lui le sait.

Imperceptiblement, la tête draconique pencha en direction de l’Enchanteur. Ce dernier ressenti des frissons parcourir son corps, son esprit s’embruma, puis il eut la vision. Les liches. Leurs présences se ressentaient même jusqu’au coeur de la forêt. Elles troublaient les esprits draconiques. Ils avaient attaqué Ewdemun en pensant qu’il s’agissait d’une d’elles. Ethosem se mit à parler en ancien, sifflant:

Je souhaite aussi leur départ, ces êtres n’ont pas leur place ici. Ces aberrations ne sont que pur folie. Mais il s’agit du choix du sorcier, comment assurer sa si précieuse quarantaine !

Ethosem se demanda bien pourquoi il se mettait à parler d’un sujet politique dans une langue inconnu à l’esprit. Ses compagnons lui jetèrent un regard courroucé. L’esprit avait pourtant compris. Pénétrant à nouveau dans l’âme de l’enchanteur, une vision lui répondit. Les yeux plongés dans le vide, Ethosem voyait pourtant plus que ses compagnons. Après quelques secondes d’hésitation, l’enchanteur leva les yeux vers l’ancien dragon.

Comptez sur moi noble esprit.

Puis, sans un regard pour ses êtres, il reparti. L’esprit se dissipa et l’atmosphère s’allégea. Sans vraiment comprendre, les trois autres anciens ramassèrent le cadavre d’Ewdemun et emboîtèrent le pas de l’enchanteur. Dans leur tête restait gravé l’image d’un dragon resplendissant aux dix couleurs.