Le Monde de Kalamaï
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.

Le Monde de KalamaïConnexion
Le Deal du moment : -17%
(Black Friday) Apple watch Apple SE GPS + Cellular ...
Voir le deal
249 €

description[Joséphine] Le voyage de Danse Flamme: vers Vénopole Empty[Joséphine] Le voyage de Danse Flamme: vers Vénopole

more_horiz
Le soleil était à son zénith lorsque Joséphine regagna enfin la route provinciale de Naxopole. Elle poussa un soupir de soulagement lorsqu’elle s’engagea enfin sur les dalles. Elle voyageait depuis plusieurs heures au cœur de la lande, à pieds, dans une contrée semi-aride où la chaleur devenait rapidement insoutenable. Le terrain accidenté ne facilitait pas ses déplacements, aussi ne s’étonna-t-elle pas si ses blessures, bien que presque guéries, avait recommencé à la tourmenter. Maintenant, elle pourrait souffler un peu en attendant de trouver un endroit pour se reposer.
La jeune femme prit la direction du Vénopole, vers l’ouest. Elle ignorait combien de temps il lui faudrait pour atteindre sa destination, mais son frère Dereck lui avait donné quelques indications le soir précédent le départ de son village natal. Lydianne résidait avec son époux dans une petite maison isolée, sur la frontière délimitant Naxos et Vénopole, à proximité des marécages. Joséphine espérait y retrouver sa grande sœur, l’aînée de la famille. Il s’agissait de sa prochaine étape. Consciente qu’elle se devait de lui annoncer la mort de leur mère, elle craignait de ne pas trouver les bons mots pour lui apprendre ce tragique évènement. Mais quoiqu’il adviendrait, elle le ferait. Il s’agissait de son prochain objectif.

Elle portait sa tenue légère de voyage, soit son pantalon blanc et une tunique bleue aux bordures blanches. Au fond du sac qu’elle transportait, sa combinaison d’assassin était pliée. Tous ses vêtements étaient propres et soyeux, gracieuseté de Marthe qui les avait nettoyé et raccommodé. Joséphine s’en était voulue d’avoir quitté furtivement au milieu de la nuit, comme une voleuse, celle qui l’avait recueillie, lavée et soignée. Mais le temps jouait contre elle et jamais la bienveillante vieille femme ne l’aurait laissé partir avant d’obtenir l’assurance que ses blessures ne soient complètement guéries. Joséphine avait attendu que Marthe ne soit profondément endormie pour se lever, rassembler ses rares possessions et filer aussi sournoisement qu’un chat. Après hésitations, elle s’empara du petit pot de baume soignant, produit utilisé par Marthe pour couvrir ses plaies. La rouquine espérait que Marthe lui pardonnerait ce « vol ».

Poursuivre son chemin sur la route n’apporta pas à la jeune femme le confort souhaité. Les rayons du soleil plombaient sur sa tête comme un feu impossible à éteindre. La sueur faisait coller ses franges rousses sur son visage. Ses bras se tenaient ballants contre son corps. L’air chaud et sec qu’elle respirait commençait à la faire souffrir. Sa gorge sèche l'irritait comme si elle avait avalé une poignée de sable. Hélas, elle n'avait presque plus d'eau pour s'hydrater. Ses muscles épuisés exigeaient du repos, mais Joséphine ne pouvait s’accorder un tel luxe. Pas ici, pas ainsi.

La prière silencieuse de l'assassin semblait avoir été entendue. Un bâtiment bordant la route apparut à l’horizon. Au fur et à mesure qu’elle avançait, Joséphine reconnut l’établissement typique d’une auberge. Un élan d’espoir lui conféra une énergie nouvelle qui survolta son corps. Elle s’empressa de s’y rendre. La pancarte bancale à l’entrée indiquait le nom de l’auberge : Le Voyageur Repus . « Tant mieux » , se dit Joséphine.

description[Joséphine] Le voyage de Danse Flamme: vers Vénopole EmptyRe: [Joséphine] Le voyage de Danse Flamme: vers Vénopole

more_horiz
« Le Voyageur Repus », construit sur deux étages, était bondé à plus de la moitié de sa capacité. Composée d’une écrasante majorité d’hommes, il y régnait une ambiance bruyante et grossière, où les rires gras se joignaient aux diverses conversations. Une odeur rance de corps mal lavés et d’alcools frelatés infestait les narines de Joséphine qui, dégoûtée, eut un haut le cœur. Il s’agissait de la première fois qu’elle entrait à l’intérieur d’une auberge basée sur une route. Jamais elle n’avait imaginé qu’une pareille puanteur pouvait dégager d’un lieu civilisé. Néanmoins, elle fit taire ses appréhensions et s’aventura à l’intérieur.
À peine fit-elle quelques pas qu’une grande blonde à l’opulente poitrine, vêtue d’un tablier parsemé de taches graisseuses, se planta devant elle, l’accueillant d’un grand sourire si exagéré que Joséphine douta de sa sincérité.

- Bonjour mademoiselle ! Puis-je vous assigner une table ou préférez-vous vous installer au comptoir ?
- Euh… Je…
- Pardon, mademoiselle ?


Se sentant la cible d’innombrables regards, Joséphine rentra son cou dans le collet de sa tunique, intimidée. En effet, son entrée ne passa pas inaperçue. Une jeune femme voyageant seule, balafrée du visage jusqu’au buste, à la flamboyante chevelure rousse et armée de surcroît, ne passait pas inaperçue. La serveuse due répéter sa question avant d’obtenir une réponse.

- Je préférerais au comptoir… il y a de la place au comptoir ?
- Bien sûr, mademoiselle. Je vous prie de me suivre.


Joséphine suivit de près la serveuse jusqu’à la place qu’elle lui assignait; un tabouret face au comptoir entre deux hommes plutôt imposants. Durant tout le trajet, elle fixait le dos de la serveuse, évitant de croiser n’importe quel regard. Elle n’aimait pas du tout cet endroit.
Assise sur son tabouret, elle se fit toute menue comme si elle craignait de déranger. L’homme à sa droite éructa bruyamment puis se retourna pour dévisager la rouquine de la tête aux genoux. Joséphine sentit un frisson désagréable lui parcourir l’échine. Du coin de l’œil, elle apercevait l’homme à l’épaisse barbe la reluquer. Pendant un instant, elle crut qu’il allait lui parler ou même la toucher. Mais heureusement il n’en fit rien. L’homme haussa les épaules puis reporta son attention sur son breuvage malodorant.

- Alors jeune fille… qu’est-ce que je peux vous servir ?

La voix bourrue du tenancier fit tressaillir Joséphine, la ramenant d’un coup à la réalité. Sa surprise non dissimulée déclencha les ricanements et les moqueries des clients à proximité. Même l’aubergiste ne cachait pas son amusement.

- Hein ? Me servir !
- Oui, ma petite princesse ! Vous servir !
ironisa l’aubergiste. Vous commandez, je vous apporte vos plus humbles désirs, vous vous rassasiez, vous me payez et vous partez ! Angela ici présente se fera même un devoir de vous ouvrir la porte.

L’horrible sarcasme de l’aubergiste déclencha une nouvelle salve de rires gras qui sema l’incompréhension chez la jeune femme. Pourquoi riaient-ils tous d’elle ? Qu’avait-elle dit qui méritait autant de mépris et de railleries ? Joséphine aurait voulu disparaître pour pleurer. Elle haïssait cet endroit, elle souhaitait ne jamais y avoir entré…
Pourtant, dans toute cette méchanceté, l’aubergiste mit le doigt sur un détail qui plongea l’assassin dans un état de panique. Elle n’avait rien pour payer l’aubergiste. Comment avait-elle pu oublier qu’elle ne possédait aucune monnaie sur elle ?

- Je… bredouilla-t-elle timidement, je n’ai … pas d’argent sur moi…
- Pardon ?


L’aubergiste redevint soudainement sérieux. Il fixait son interlocutrice d’un regard dur, presque inquisiteur. Plus personne aux alentours ne riaient à présent. Les clients se dévisageaient, certains amusés, d’autres choqués. Joséphine comprit alors qu’elle avait fait une erreur encore plus grande qu’elle ne le pensait.

- Je m’excuse… fit-elle en baissant la tête.
- Tu n’as pas d’argent ! Que viens-tu foutre ici, alors ?
- Je … je suis fatiguée, j’ai besoin de repos ! Je n’ai aucune provision sur moi et mon outre d’eau est presque vide…
- Fiche le camp immédiatement !
- … j’ai un long voyage à faire. Je ne pourrai jamais m’y rendre sans eau, ni nourriture…
- Dégage ! Je ne veux rien entendre ! Tu n’as pas d’argent, donc tu dégages ! Tout de suite !
- Je vous en prie ! Acceptez au moins de remplir mon outre d’eau. Je ne demande que de l’eau…
- Je ne fais pas de charité ! Va mendier ailleurs, garce ! Dégage !


Certains clients, ennuyés par les arguments peu convaincants de la jeune femme, s’esclaffèrent en la pointant du doigt. D’autres l’insultèrent sans vergogne, la traitant de mendiante, de pouilleuse et même de catin. Assise sur son tabouret, Joséphine tremblait de tout son être. Elle s’apprêtait à en rajouter, mais l’homme qui la reluquait plus tôt, visiblement agacé, la bouscula brutalement de son bras massif. La rouquine s’écrasa sur le plancher crasseux, sous les acclamations de la clientèle.
Consternée, elle se releva et frappa le comptoir de ses deux mains.

- S'il vous plaît ! supplia-t-elle au bord des larmes. Seulement de l’eau ! Je ne demande qu’un peu d’eau dans mon outre !

Stupéfié par l’obstination de la jeune femme, l’aubergiste n’entendait plus à rire. Il dégaina un hachoir sous le comptoir et l’agita maladroitement sous le visage de Joséphine en la foudroyant du regard. La lame était affûtée, prête à l’emploi.

- Je crois avoir été patient avec toi, mendiante ! Mais si tu ne déguerpis pas À L’INSTANT, je te saigne comme un porc ! Tu as compris, sale gueuse ? Va-t-en !

Menacée par l’arme, les instincts guerriers de l’assassin prirent le dessus. Cette façon de tenir l’arme, le manque de souplesse de son poignet, le bras trop tendu et sa posture indiquaient à Joséphine que l’homme n’avait rien d’un combattant, qu’il ignorait probablement tout le potentiel de l’outil qu’il maniait. Il ne s’en était probablement jamais servi auparavant. L’esprit d’analyse de Joséphine fut instantanément. Elle pourrait le désarmer sans aucun problème, à mains nues, lui fracturer le poignet ou le bras de multiples façons. D’un unique coup de coude, elle pourrait fracasser le nez de l’homme dégoûtant qui l’avait fait tomber, puis enchaîner sur quiconque la menacerait. Tout ceci ne nécessiterait que deux ou trois secondes. Tous le méritaient.
Cependant, elle se refusa d’agir ainsi et préféra s’avouer vaincue. Joséphine ferma les yeux, baissa la tête puis recula de quelques pas en direction de la sortie. Mais le tenancier l’intercepta d’un cri.

- Hé ! J’ai une idée, petite princesse ! railla-t-il. Ces beaux cheveux de feu doivent avoir beaucoup de valeur. Coupe-les et donne-les moi.
- Mes cheveux ?
répéta la rouquine, étonnée.
- Coupe ta queue de cheval et donne-la moi ! Je veux le ruban aussi. Fais cela et je remplirai ton outre d’eau.

Déconcertée, Joséphine regardait l’aubergiste qui maintenant lui offrait de l’eau en échange de sa queue de cheval. Elle ne parvenait pas à comprendre. Après tout, ce n’étaient que des cheveux…
Toute l’assistance fixait à présent la scène. Debout au milieu de l’auberge, Joséphine ne souhaitait plus s'attarder ici. Mais elle savait que sans eau, elle n’irait nulle part ailleurs. Elle consentit donc à la demande de l’aubergiste. Elle dégaina son wakisashi d’un mouvement vif, puis approcha la lame à la base de sa queue de cheval. L’acier froid entra en contact avec la chevelure flamboyante. De sa main libre, elle tira à l’extrémité de sa chevelure afin de la tendre pour la couper plus facilement. Un geste sec suffirait…

- N’as-tu donc pas honte, aubergiste, de dépouiller une pauvre fille innocente de son unique trésor ? Une telle cascade de flammes ne doit pas perdre ses racines. Il serait dommage de lui enlever son éclat. Je paierai pour son repas.

La voix qui s’éleva arrêta le bras de l’assassin avant de commettre l’irréparable. Tous les regards, celui de Joséphine n’y faisant pas exception, convergèrent vers celui qui intervenait.

description[Joséphine] Le voyage de Danse Flamme: vers Vénopole EmptyRe: [Joséphine] Le voyage de Danse Flamme: vers Vénopole

more_horiz
L’homme ayant pris la parole se tenait au fond de l’auberge, dos au mur, les bras croisés. Il portait un regard intéressé, presque amusé, à la scène qui se déroulait sous ses yeux, aucunement intimidé par toute l’attention qu’il captivait depuis son intervention. Joséphine remarqua immédiatement le contraste entre le nouvel arrivant et le reste de la clientèle lourdaude qui composait l’auberge. De grande taille, son corps était élancé et affichait une carrure athlétique. Un nez épaté dépassait de son visage carré, lui conférant des traits rudes, mais distingués. Une tignasse de cheveux noirs surplombait sa tête. L’épée qui pendait à sa ceinture confirma à Joséphine la première opinion qu’elle eut de l’homme : il s’agissait d’un guerrier.

- De quoi tu te mêles, Kieran ? grogna l’aubergiste.
- Tout simplement de ce qui ne me regarde pas, mon cher Alric. Mais je me demande vraiment ce que tu comptes faire d’une poignée de cheveux roux. Je sais que tu regrettes la perte de tes propres cheveux, mais je t’imagine plutôt mal t’enduire le crâne de résine pour y coller les cheveux…

La réplique de Kieran entraîna quelques rires dans la salle. Inconsciemment, Alric l’aubergiste porta une main sur son crâne dégarni en grommelant des propos inaudibles.

- … à moins que ce ne soit pour les renifler… Je préfère ne pas imaginer la suite.

De nouveaux éclats de rire fusèrent d’un peu partout. Même Joséphine ne put retenir un demi-sourire d’amusement. Qui pouvait-il être, elle n’en savait rien. Mais elle lui devait une fière chandelle, ayant sauvé à la fois sa chevelure et sa dignité. L’aubergiste quant à lui trouvait ce revirement de situation beaucoup moins drôle. Le bourreau se transformait en victime. Humilié, le visage bouffi d’Alric devint aussi rouge qu’une tomate.

- Ça suffit ! vociféra-t-il. Fermez-la tous où je vous expulse, bande de rats ! Qu’est-ce que tu me veux, Kieran ?
- Prépare un bon repas à cette pauvre demoiselle et remplis son outre d’eau. Je te paierai.
- Comme tu veux… grrrr…


Kieran fit signe à Joséphine d’approcher. Timidement, elle s’avança vers son sauveur qui lui proposait de s’asseoir à sa table. Devant l’insistance de l’homme, elle accepta. Un bref coup d’œil l’informa qu’il devait approcher de la trentaine.

- Merci de m’avoir aidé.
- Ce n’est rien. Vous devriez apprendre à vous imposer davantage.
- Pourquoi dites-vous ça ?
- Cet endroit ressemble à beaucoup d’autre à travers l’Empire. Hors des villes, seuls les plus forts ou les plus malins parviennent à survivre. L’innocence et la pitié n’ont hélas pas beaucoup de place… De plus, une femme voyageant seule attire l’attention et la convoitise. Et je ne parle pas de gentilshommes…
- Ah…


Ni l’homme, ni Joséphine ne donna de suite. Un silence déplaisant s’installa, créant un sentiment de malaise chez la jeune femme. L’homme la regardait. D’une façon différente de celle du gros homme repoussant, un peu plus tôt. Celui-ci l’étudiait, la jaugeait. La jeune femme ignorait ce qu’il attendait d’elle, mais il l’embarrassait. Elle força un demi-sourire avant de détourner le regard.

- Je m’appelle Kieran. Kieran, fils d’Obgan.

Joséphine laissa passer quelques secondes avant de répondre.

- Joséphine… fille d’Albriecht.
- Qu’est-il arrivé à votre visage, Joséphine, fille d’Albriecht.


Il faisait évidemment référence aux cinq cicatrices incrustées dans son corps, de son visage jusqu’au buste. Joséphine fronça les sourcils, choquée du manque de tact de l’homme. * Quel sans-gêne ! *

- Je ne veux pas en parler.
- Comme vous le voulez,
se résigna-t-il en affichant un petit rictus. Il marqua une pause avant de poursuivre. Où vous dirigez-vous ?
- Je veux retrouver ma sœur, à la frontière de Vénopole. Ensuite, je me rendrai à la capitale impériale, puis en Edhesse.


Kieran hocha la tête en grimaçant.

- Pourquoi me regardez-vous ainsi.
- Vous traversez l’Empire d’un bout à l’autre. Le voyage sera dangereux.
- Je saurai me débrouiller. Je me défendrai au besoin.
- Je n’en doute pas… mais…


Joséphine leva la tête et regardait maintenant son interlocuteur dans les yeux, attendant la suite. Mais ils furent interrompus par Alric qui apporta un plateau composé d’un morceau de viande sur un nid de carottes, arrosé d’une sauce à l’arôme épicée. Il posa le plat devant la jeune femme sans aucune délicatesse, puis lui tendit une outre d’eau bien pleine. L’aubergiste se planta devant Kieran, exigeant d’être payé. Kieran lui remis quatre écus d’argent : deux pour le repas et deux de plus pour le dérangement.

- Mais ? demanda Joséphine à Kieran, l’enjoignant à poursuivre sa phrase.
- Mais le voyage sera PLUS dangereux qu’il ne l’aurait été normalement. L’Empire s’active du nord au sud et d’est en ouest. Des messagers sillonnent le pays d’une province à l’autre. Les seigneurs quittent leur château pour rejoindre leurs homologues et leurs généraux. Des régiments entiers de soldats patrouillent dans les coins les plus reculés. Les gardes des villes sont méfiants et posent davantage de questions. Les vigiles arrêtent quiconque leur paraît suspect ou « trop » étranger. Parfois, le ciel s’obscurcit de pigeons voyageurs transportant des ordres ou des messages confidentiels. Ça ne signifie qu’une chose…
- Quoi ?
- La guerre.


Joséphine avait vaguement entendu parler des troubles politiques secouant l’Empire, mais elle n’aurait jamais imaginé qu’une guerre se préparait. Voilà qui justifierait l’attaque de son village natal par un bataillon de soldats provinciaux…

- J’ai entendu dire qu’un groupe de rebelle dévastait l’Edhesse. En ce coin de pays, la terreur règne… Ce ne sont que des rumeurs, mais j’affirme avec certitude que n’est pas un bon temps pour voyager, Joséphine fille d’Albriecht. Il serait plus sage pour une jeune femme de rester chez elle, avec sa famille.

L’Edhesse, sa destination finale, envahit et dévastée par la guerre ? Un pincement au cœur paralysa temporairement la jeune femme. Des images de sa sœur apparaissaient dans son esprit. Se portait-elle bien ? Se trouvait-elle en sécurité ? Était-elle en vie ?

- Je… je vous remercie pour ces renseignements… Mais je dois me rendre en Edhesse.

Kieran soupira bruyamment.

- Comme vous le voulez. Terminez votre repas, à présent. Lorsque vous aurez fini, sortons d’ici. Je vous propose de faire un bout de chemin avec moi, jusqu’à proximité de la frontière de Vénopole.

Assise du sa chaise, la rouquine eut un soudain mouvement de recul, considérant Kieran avec une méfiance non dissimulée.

- Kieran… vous avez pris ma défense alors que je mendiais comme une quêteuse. Vous m’avez nourri même si vous ne me connaissez pas. Vous me conseillez et m’informez alors que je ne vous ai rien demandé. Maintenant, vous m’offrez vos services durant une partie de mon trajet. Pourquoi faites-vous ça ?
- Pourquoi ne le ferais-je pas ?
- Vous ne me devez rien…


L’homme secoua la tête, un faible soupir s’échappant de ses lèvres.

- C’est stupide. Pourquoi faudrait-il « devoir » quelque chose à quelqu’un pour rendre service ? Notre monde est suffisamment cruel et dangereux, nous serions fous de ne pas coopérer. S’il y avait plus d’entraide, nous n’aurions plus peur de nous affirmer. Nous n’en serions pas là en ce moment.

Le visage de l’assassin s’illumina d’un sourire sincère.

description[Joséphine] Le voyage de Danse Flamme: vers Vénopole EmptyRe: [Joséphine] Le voyage de Danse Flamme: vers Vénopole

more_horiz
La jeune femme était étendue dans la paille, modeste coussin improvisé dans la charrette dirigée par Kieran, tirée par un puissant bœuf. Pour la première fois depuis son départ de Samothrace, Joséphine se déplaçait autrement qu’avec ses pieds et ce n’était pas pour lui déplaire. Ce repos soulageait ses mollets aussi pesants que des sacs de plomb et épargnait ses pieds boursouflés d’ampoules. La présence de Kieran la réconfortait, même si elle ne le connaissait que depuis quelques heures. Ne plus être seule lui remontait le moral, aussi, même si elle ne parlait que très peu, elle se sentait bien.

L’une de ses cicatrices au niveau de la poitrine commençait à affreusement l’irriter. Les cahots sur la route n’aidant pas son rétablissement, elle décida d’utiliser le baume soignant qu’elle avait dérobé chez Marthe. Elle sortit le flacon de son sac, trempa ses doigts dans la crème onctueuse, puis appliqua une mince couche sur chacune de ses balafres, de toute leur longueur, exactement comme la Marthe l’avait fait. Une désagréable sensation de picotement la démangeait, mais Joséphine ne s’en inquiéta pas. La thaumaturge lui avait expliqué que les démangeaisons représentaient le processus d’élimination de l’infection puis de réparation des tissus déchirés, ce qui conduisait au rétablissement. Pour faciliter la guérison, mieux valait éviter ne pas y toucher et endurer les fourmillements.

- Qu’est-ce que c’est ?

Joséphine se rendit compte que Kieran l’observait, la tête tournée vers elle. Subtilement, elle referma le haut de sa tunique puis lissa les plis.

- Un baume qui m’a été offert, mentit-elle.
- Tu crois que ça les fera disparaître ?
- Peut-être…
- Je te le souhaite.


Joséphine poussa un petit soupir puis posa sa tête sur la rambarde. Elle ferma les yeux, tâchant d’oublier les picotements brûlants de ses blessures. Elle songeait à sa sœur Arielle en Edhesse, peut-être en danger. À Lydianne, qu’elle espérait revoir bientôt. Elle songeait aussi à sa propre situation. Parviendrait-elle à sa destination ? Vivrait-elle ainsi durant toute sa vie ? Était-elle réellement poursuivie ? Son intuition lui répondait à l’affirmative, mais ne signalait aucune trace de ses poursuivants. Tentaient-ils de la détruire psychologiquement avant de l’achever ?
Elle songeait finalement à sa mère. Était-elle au ciel ? Si oui, de sa position veillait-elle sur ses enfants ? Veillait-elle sur sa fille cadette ? De tout son cœur, la jeune femme espérait que ce fut le cas.

- Raconte-moi ton histoire, Joséphine. D’où viens-tu ?

Aucune réponse.

- Tu t’es endormie ?
- Non.
- Alors tu pourrais au moins répondre à ma question.
- Je ne le peux pas.
- N’importe quoi…
- Je ne le veux pas non plus.
- Tu n’es pas correcte ! Je te rends service de bon cœur, sans rien exiger en retour ! Je tente d’entreprendre une conversation civilisée avec toi mais tu te contentes de rester muette. C’est assez évident que j’essaie de faire ta connaissance, non ? Ce serait la moindre des choses de me répondre.
- D’accord,
soupira-t-elle. Je vais te répondre, mais je ne pourrai pas tout te dire.

La rouquine se redressa, grimpa sur le ballot de foin et s’approcha du conducteur. Il lui fallut un certain temps avant de prendre la parole. Joséphine n’aimait pas parler d’elle.

- J’aurais dû naître garçon, mais je suis née fille. Ma famille peinait à payer les lourds impôts, alors ils ont remboursé leurs dettes en me confiant aux percepteurs. Ils m’ont conduit à Samothrace où je fus vendue comme esclave. Je ne peux pas te dire à qui, mais j’ai été … entraîné aux armes…
- Tu t’en es bien tirée, alors…
- Non !
rétorqua Joséphine. Je ne m’en suis PAS « bien tirée ». Tu ne sais pas ce que j’ai enduré, tu ignores ce que j’ai appris ! Je vivais un cauchemar !
- Qui t’a acheté ? Qu’est-ce que tu as appris exactement ?
- Je ne peux pas te le dire !
insista-t-elle. Pour notre sécurité à tous les deux, je ne peux pas ! Ils m’ont enlevé tout ce que j’avais, même les seuls amis qui me restaient ! Ils jouaient dans notre tête, manipulaient notre esprit pour nous transformer en exactement ce qu’ils veulent. Je déteste ce qu’ils ont fait de moi ! Je les haïs, je me haïs !
- Je suis désolé de l’apprendre…


L’air désorienté de l’homme démontrait qu’il ne s’attendait pas à une réaction aussi cinglante de Joséphine. Celle-ci avait complètement explosée et semblait au bord des larmes.

- Je n’en pouvais plus, Kieran ! Je ne supportais pas le mal qu’ils nous encourageaient à faire. À leurs yeux, ce mal était normal… il était essentiel ! Le Mal était devenu une science à étudier sous toutes ses formes, une voie à suivre ! Je me suis enfui… je… je veux retrouver ma famille… ma sœur… Arielle…

Kieran eut la sagesse de garder le silence. Il reporta son attention sur la route, laissant Joséphine reprendre ses esprits. Il l’entendit s’étendre sur le ballot de foin et se promit de ne plus la déranger durant quelques temps. Une petite sieste lui ferait du bien.
À l’horizon, le ciel prenait une teinte orangée moutonnée de nuages bleu cendre. Le crépuscule approchait et tout juste avant la tombée de la nuit, il congédierait sa nouvelle compagne de voyage. Ils empruntaient jusque-là un trajet commun mais ils devraient se séparer bientôt. Kieran le regrettait.

description[Joséphine] Le voyage de Danse Flamme: vers Vénopole EmptyRe: [Joséphine] Le voyage de Danse Flamme: vers Vénopole

more_horiz
Kieran tira fermement sur les rênes. L’animal beugla avant de s’arrêter. L’homme se retourna vers Joséphine qui rassemblait ses maigres possessions. Depuis leur discussion plus tôt, au courant de l’après-midi, ils n’avaient échangé aucun mot, comme si entre eux tout avait été dit. Pourtant, Kieran ne ressentait aucune envie de quitter sa tranquille passagère. Il se rendit compte qu’il s’était étrangement attaché à elle. Celle-ci l’intriguait, mais ce sentiment ne paraissait pas réciproque. Bien qu’elle lui ait confié une part de sa vie elle ne lui avait en retour posé aucune question. Comme si elle ne lui portait aucun intérêt… ou qu’elle jugeait inutile d’en apprendre sur lui puisqu’elle avait la conviction qu’ils ne se reverraient jamais.

Le soleil endormi depuis une trentaine de minutes, l’obscurité de la jeune nuit avait remplacé la faible clarté du crépuscule. La lune constituait l’unique phare dans l’obscurité. Pourtant, la jeune femme s’apprêtait à poursuivre sa route seule dans la lande, à proximité d’un interminable marécage. Visiblement dérangé de l’abandonner, il manifesta ses doutes.

- Comment pouvez-vous être certaine que votre sœur habite quelques kilomètres au nord ? Il n’y a aucun village dans les environs.
- Parce qu’une source de confiance m’a dit qu’elle vivait en bordure des marécages, au nord de cette route. Si je ne peux apercevoir l’éclairage d’une masure, forcément, elle se trouve quelques kilomètres plus loin, hors de notre champ de vision.
- Il faut être fou pour bâtir une maison dans un coin aussi isolé. C’est dangereux. Pour quelle raisons s’installerait-elle ici ?
- Je n’en ai aucune idée.


Kieran secoua la tête, manifestement pas convaincu. La jeune femme ignorait la raison pour laquelle le voyageur s’obstinait à la protéger ainsi et n’osa pas lui poser la question. Mais elle ne s’en offusquait pas. Au contraire, l’attitude bienveillante de son compagnon la touchait. Toutefois, elle se gardait de lui accorder trop de confiance. Dans sa situation, la prudence restait sa meilleure alliée. Joséphine s’approcha à un mètre de Kieran et lui offrit un sourire timide, mais rassurant.

- Kieran, fils d’Obgan. Je n’oublierai jamais toute la bonté que vous m’avez témoignée aujourd’hui. Mais vous en avez fait suffisamment. Je promets que si le destin nous permet de nous recroiser, je vous rendrai la pareille.
- Il n’y a rien à rendre.
- Acceptez que je vous compte parmi mes amis.
- C’était inutile de le demander.


Ils s’échangèrent un nouveau sourire avant de rester planté l’un devant l’autre, sans mots dire. Joséphine vivait une liaison amicale de ce type pour la toute première fois, expliquant ainsi son manque de réactivité. Elle lui avait proposé son amitié, il l’avait accepté. Le pensait-elle vraiment ? Elle aimait croire que c’était le cas. Elle s’autorisa donc ce moment de faiblesse même si sa sagesse l’enjoignait à la méfiance.

- Bon voyage, Joséphine, fille d’Albriecht.
- Bon voyage, mon ami.



* * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * *


Progressant lentement au cœur de la lande, Joséphine, plongée dans la pénombre de la nuit, ne semblait pas s’inquiéter outre-mesure du voile de ténèbres qui l’enveloppait. Elle fut entraînée à se mouvoir dans les ombres. Elle bénéficiait d’un couvert total grâce à l’armure de la nuit. Bien qu’elle se montrait vigilante, elle se savait dans son élément.

Sa conscience l’alerta soudainement d’un danger. Quelque chose clochait dans le déplacement de l’air. La brise nocturne devenait inexplicablement irrégulière. L’herbe haute ne dansait plus exactement au rythme de la brise. Le sol raisonnait sous ses pieds. Pourtant, son ouïe ne captait aucun bruit. Sa vue ne percevait aucune forme trancher l’obscurité. Son odorat ne respirait rien d’anormal. Mais son sixième sens ne se trompait pas. Elle saisit instantanément la gravité du danger qui la guettait. Seul un assassin émérite pouvait ainsi tromper tous ses sens et se fondre ainsi dans la nuit. Seul un assassin de la Main de la Mort pouvait en détecter un autre.
L’assaut provenait de derrière elle. À la vitesse de l’éclair, elle dégaina son katana, se retourna d’un souple pied de pivot et para habilement la lame acérée qui s’apprêtait à lui transpercer le dos. Un long grincement métallique retentit lorsque les lames se cisaillèrent. L’acier refléta sous la lueur de la lune et Joséphine aperçut brièvement son assaillant. Une silhouette aussi gracile et sensiblement de même taille qu’elle, toute vêtue de cuir noir, le visage masqué par un foulard de même couleur.
Joséphine reçut un coup de pied à l’estomac qui l’obligea à reculer. Plutôt que d’enchaîner les attaques, la silhouette resta immobile, les genoux légèrement fléchis, campée en position de combat.

- Je te retrouve enfin, Danse Flamme. Je croyais bien t’avoir perdue. Mais tu es prévisible… tu l’as toujours été.
- Éloa…

description[Joséphine] Le voyage de Danse Flamme: vers Vénopole EmptyRe: [Joséphine] Le voyage de Danse Flamme: vers Vénopole

more_horiz
Un long frisson parcouru l’échine de la rouquine alors qu’elle reconnu l’assassin lancé à sa poursuite. Éloa, sa meilleure amie, véritable sœur de cœur et autrefois sa plus intime confidente. Joséphine lui devait tant. À présent, Éloa se présentait à elle non pas en tant que partenaire d’entraînement ou en rivale, mais comme une ennemie. La tête lui tournait tant les éléments perturbateurs s’enchaînaient à un rythme étourdissant. Elle se doutait depuis le début que la Main de la Mort enverrait des assassins chevronnés à sa poursuite, mais certainement pas la meilleure…
Éloa baissa son masque, dévoilant son visage aussi jeune que celui de Joséphine. Ses cheveux châtains, mi-longs et soyeux, étaient coiffés en nattes.

- Ravie de te revoir, Danse Flamme…
- Éloa… pourquoi toi ?


L’assassin de la Main haussa les épaules, indifférente à la remarque de son ancienne consoeur, un rictus sardonique affiché sur son visage.

- Peut-être pour une simple épreuve… peut-être parce que je suis la meilleure, qui sait ? Mais toi, permets-moi de douter de tes capacités. Je t’ai observé dans le camp des soldats à tenter de délivrer une bande d’esclaves.
- Tu étais là ?
sursauta Joséphine.
- J’y étais, avec d’autres. Nous te suivions à la trace depuis le début. Franchement, ton plan était assez minable. J’ignorais pourquoi tu perdais ton temps à libérer des prisonniers et je ne voulais pas le savoir. J’ai appris par la suite que ton père et ton frère se trouvaient parmi eux, mais dans ta situation… ce n’était pas très intelligent. Tu devrais te faire plus discrète, Danse Flamme.
- Cesse de m’appeler comme ça !
- Pourquoi ? N’aie pas honte de ce que tu es… une tueuse. Pathétique, mais une tueuse quand même.


Joséphine serrait si fort la garde de son katana que tout son corps tremblait. Son regard devint foudroyant tandis qu’elle dévisageait son interlocutrice. Elle était furieuse, davantage par les paroles venimeuses d’Éloa que par ses insultes et ses sarcasmes. Mais pire encore, elle réalisait que toutes les manipulations psychologiques de la Main avaient obtenu d’incroyables résultats. Éloa était métamorphosée en une véritable assassin de la Main et cela la répugnait.

- Je constate d’ailleurs que cet infernal t’a laissé un joli souvenir, poursuivit Éloa d’un ton sarcastique en désignant son visage.
- Où sont les autres ?
- Lorsque le démon t’a défiguré et que t’es effondré, ils ont cru que tu étais morte sur le coup. Alors ils sont partis… tous te croient faible, Danse Flamme. C’est l’impression que tu dégages. Mais moi, je te connais. Je connais tes capacités et je sais que les apparences sont trompeuses. Tu es plus résistante que tu ne le laisses croire. Alors je suis restée pour accomplir ma mission. Je savais que tu t’en sortirais et je m’en réjouis. Je pourrai terminer cette tâche de mes propres mains.
- Comment peux-tu dire ça, Éloa !
s’indigna Joséphine, scandalisée. Tu en parles comme si tout ceci n’était qu’un vulgaire travail. Le Clan t’a-t-il donc complètement transformé, Éloa, au point de faire de toi une tueuse sans pitié ? Tout ce que nous avons vécu toi et moi, toute l’amitié qui nous unissait, tout cela ne signifie-t-il plus rien ? Je ne représente plus rien à tes yeux ?

Éloa perdit toute sa superbe, son rictus disparaissant au profit d’un air sévère. Elle posa son regard sur le sol durant quelques secondes avant de le reporter sur sa rivale.

- Oui… tu as été ma meilleure amie. Sans toi, j’ignore quel aurait mon sort. Mais nous savions toutes les deux ce qui nous attendait, il n’y avait aucun secret. Je me suis taillée une place dans ce monde parce que j’ai accepté mon sort. Pour cela, tu m’en as voulu…

L’assassin marqua une pause. Joséphine l’écoutait sans l’interrompre.

- … Tu as refusé de saisir la main qui te nourrissait. Tu as choisi de fuir ta famille, de fuir ton destin, de me fuir moi…
- Ces gens ne sont pas notre famille, Éloa…
- … Tu as choisi de te fuir toi-même, « Danse Flamme »,
continua Éloa en ignorant la remarque. Tu connaissais les règles et les conséquences liées à tes actes. Tu dois les assumer. Je serai ce que l’on attend de moi car j'ai choisi de suivre ma voie. J’ai cessé d’être Éloa pour devenir Givre Vent. À présent, je suis Givre Vent, assassin de la Main de la Mort ! Prépare-toi à en découvrir la raison !

Éloa, désormais Givre Vent, passa des paroles aux actions en un seul instant. Elle brandit son katana à deux mains et fondit tel la foudre sur Joséphine en poussant un long cri aigu.

description[Joséphine] Le voyage de Danse Flamme: vers Vénopole EmptyRe: [Joséphine] Le voyage de Danse Flamme: vers Vénopole

more_horiz
- IAAAAAH !

Joséphine leva son arme juste à temps pour parer la frappe verticale lancée par son adversaire. L’acier s’entrechoqua férocement à nouveau. Éloa enchaîna immédiatement d’une frappe en diagonale, mais la rouquine esquiva d’un pas de placement à sa droite. Elle profita de sa nouvelle position pour riposter, tournant sur elle-même en un habile 360 degré pour asséner un coup de pied circulaire à la nuque d’Éloa. – YAAAH ! Celle-ci, guerrière accomplie, anticipa la manœuvre et plongea devant elle en un roulé-boulé. Le pied de Joséphine fendit l’air tandis que l’autre assassin se releva instantanément.
Éloa chargea une seconde fois, pointant son arme devant elle une fois à portée, en un coup d’estoc. De toute sa souplesse, la rouquine exécuta un gracieux salto arrière. Le katana ne l’atteignit pas, mais Éloa profita de son élan pour bondir dans les airs et abattre son pied juste au-dessus de sa poitrine. – KIAA ! Sous la violence de l’impact, Joséphine s’écrasa au sol, quelques mètres derrière elle.
En tournoyant plusieurs fois sur elle-même, Éloa s’avançait vers son ennemie et la frappa du tranchant de sa lame au niveau de la clavicule. – RAAH ! Joséphine se redressa in extremis et, un genou au sol, fit dévier l’arme de sa trajectoire en la balayant avec son propre katana. Elle profita du déséquilibre de son assaillante pour lui flanquer un solide coup au sternum, de la paume de sa main. – Aaah !

Givre Vent recula de quelques pas en poussant un grognement étouffé tandis que Danse Flamme se releva. Un profond dilemme moral la tenaillait, entre son désir de respecter sa propre promesse faite à elle-même et le droit légitime de défendre sa vie. Éloa semblait déterminée à la tuer, l’assassin de la Main de la Mort ayant pris le dessus sur l’intime amitié qui les liait autrefois. Pourtant, Joséphine refusait d’oublier celle qui lui avait permit de s’accrocher à la vie durant toutes ces années. Le cœur l’emportait sur la raison. Désespérément, elle priait à un retour de conscience chez Éloa. Même si sa sagesse lui conseillait de défendre sa vie, une force invisible l’empêcherait de commettre un geste irréversible. Elle ne pouvait pas tuer son ancienne amie, même au péril de sa vie. Le choix ne lui appartenait pas…

- Éloa ! Arrête maintenant ! Je t’en prie… Je ne veux pas me battre contre toi !
- Alors tant pis pour toi ! Tu me facilites la tâche !


L’assassin avait craché ses mots comme le cobra crachait son venin. Les deux jeunes femmes se dévisagèrent durant deux secondes interminables, puis Givre Vent s’élança une nouvelle fois à l’assaut de sa proie. Joséphine réalisa qu’elle devait se défendre, pour au moins se contenter de la neutraliser. Pour vaincre Givre Vent, Joséphine devait impérativement redevenir Danse Flamme.

Les coups pleuvaient des deux adversaires. Au cours d’un impitoyable duel d’arts martiaux où l’acier et la chair oeuvraient de concert, les combattantes échangeaient des coups sans réellement parvenir à percer la garde de l’autre. Hormis quelques légères contusions et estafilades mineures, aucune n’infligeait de blessures à l’autre.
Au milieu de la lande, elles virevoltaient, bondissaient, attaquaient et criaient comme des furies. Le style de combat spectaculaire de Danse Flamme honorait son surnom. Sa longue chevelure flamboyante suivait chacun de ses mouvements comme la flamme qui dansait au bout d’une torche. Givre Vent l’égalait dans tous les aspects du combat. Joséphine saisissait à présent le sens d’un tel surnom. « Givre Vent », la brise glacée apportée par la Mort lors des derniers instants de la vie. La sensation glaciale éprouvée par une victime agonisante.

Givre Vent hurla en assénant une frappe diagonale d’une rare brutalité. – RRAAAAAH ! Danse Flamme croisa le fer avec son katana et une détonation métallique retentit. Plutôt que d’enchaîner, Givre Vent poussa de tout son poids sur sa lame, manœuvre imitée par Danse Flamme. L’épreuve de force débuta, l’acier croisé à quelques centimètres du visage de la rouquine. La première poussait afin de déséquilibrer son adversaire et ainsi traverser sa garde, tandis que la seconde cherchait à se dégager en la forçant à reculer. Malgré l’épuisement lié à un rude affrontement, elles paraissaient de force égale.
Une douleur cuisante embrasa soudainement Joséphine qui poussa un hurlement déchirant. Causé par l’intense contraction musculaire dû à l’effort, certaines de ses cicatrices se rouvrirent, principalement au niveau du buste et de la poitrine. Elle eut l’impression qu’on lui déchiquetait la peau avec un ciseau. La souffrance fut telle que ses doigts lâchèrent son arme et elle dû se jeter au sol pour éviter d’être fauchée par le katana de Givre Vent. Mais cette dernière réagit aussitôt. Elle posa sa lame en travers de la gorge de son adversaire qu’elle savait vaincue.

- Tu as finalement flanché ! Je croyais ça ne viendrait jamais… souffla Éloa. Dommage que ça se termine ainsi…

Joséphine ne répondit pas. Accablée par la douleur qui mordait sa chair, elle n’entendait que l’écho des paroles de l’assassin. Étendue au sol, sur le côté, elle ne réalisait même pas qu’Éloa s’apprêtait à l’achever d’un ultime geste. Sa respiration s’accentuait. La rouquine tentait de reprendre son souffle, sa main droite appuyant sur sa blessure rouverte, son visage déformé par la douleur.

- Je vois… constata Éloa, perplexe.
- Rien … rien ne t’oblige à faire ça… tu peux choisir… fit Joséphine, grimaçante.

Après une brève hésitation, l’assassin de la Main de la Mort retira son arme puis la rengaina, sans quitter des yeux sa rivale.

- Je ne veux pas devoir ma victoire à une vieille blessure que tu tardes à soigner…

Toujours étendue au sol, Joséphine cherchait à soulager la souffrance qui persistait à la torturer. Éloa continua.

- … en souvenir de notre ancienne amitié, je vais t’épargner pour cette nuit. Jusqu’à ce que tes blessures soient guéries, je ne te causerai aucun tort. Mais retiens bien ceci : je ne te quitterai jamais. Même si tu ne me vois pas, je serai quelque part à t’observer. Le moment venu, je frapperai.

Joséphine acquiesça d’un hochement de tête. Elle murmura un seul mot.

- Merci…
- Ne me le fais pas regretter, Joséphine…


Éloa recula, fit volte-face puis s’élança dans les ombres où elle disparut à la faveur de la nuit, sans aucun bruit, tel un spectre. Le calme revint subitement, exactement comme s’il avait jamais été troublé. Le silence n’était rompu que par la respiration saccadée de Joséphine qui resta allongée dans l’herbe quelques instants pour récupérer.
Plusieurs secondes furent nécessaires à Joséphine pour se relever. Tout son corps l’élançait et elle chercha un appui, sans succès. Elle dût s’appuyer sur ses genoux pour se redresser entièrement. Elle n’oubliait pas les paroles d’Éloa. L’assassin lui avait accordé un délai pour guérir ses blessures, mais elle reviendrait. Il lui faudrait donc l’affronter à nouveau jusqu’au macabre dénouement. Ce n’était que partie remise…

La jeune femme récupéra son sac et ses armes pour ensuite poursuivre sa route en direction de la maison de sa sœur Lydianne.

description[Joséphine] Le voyage de Danse Flamme: vers Vénopole EmptyRe: [Joséphine] Le voyage de Danse Flamme: vers Vénopole

more_horiz
En dépit de la douleur persistante provoquée par ses blessures, Joséphine avançait d’un pas régulier. Son altercation avec Éloa, trente minutes plus tôt, repassait incessamment dans sa tête. Elle se remémorait tous les mots de chaque phrase, du moindre geste comme chaque regard. Elle n’arrivait pas à expliquer un tel changement chez celle avec qui, il n’y avait pas si longtemps, elle partageait toutes ses peines et ses secrets les plus intimes. Comment une organisation, aussi influente puisse-t-elle être, pouvait réussir à transformer une personne à ce point, jusqu’à en modeler complètement l’âme et le coeur ? Joséphine ne connaissait pas la réponse et cela l’effrayait. Éloa redeviendrait-elle l’amie et la confidente qu’elle fut autrefois ? Encore une fois, la réponse lui était inconnue. Pourtant, en l’absence de compréhension, il restait toujours l’espoir. Sur cet aspect, Joséphine savait qu’elle pouvait s’y reposer.

Un faible éclairage apparaissant à l’horizon la tira de ses rêveries. La jeune femme reconnut immédiatement la lueur d’un feu à l’intérieur d’une petite habitation. Un soupir de soulagement s’échappa de ses lèvres sèches. On ne l’avait pas trompé, du moins le crut-elle. Si ses informations s’avéraient vraies, cette maisonnée en bordure des marais appartenait à la famille de sa sœur aînée.
Joséphine ne se souvenait pas d’une quelconque marque d’affection de la part de Lydianne. Celle-ci se montrait généralement plutôt froide envers la cadette, n’ayant jamais caché son désappointement à l’arrivée d’une cinquième fille dans la famille. En sa qualité d’aînée, la tâche ingrate de répartir les corvées domestiques et de faire respecter la discipline lui revenait lorsque leur père travaillait à l’extérieur. Sans toutefois agir en marâtre, Lydianne n’hésitait jamais à infliger des punitions à ses sœurs lorsque celles-ci se montraient désobéissantes ou simplement paresseuses. Elle faisait preuve de sévérité vis-à-vis Joséphine, le mouton noir de la famille, lui rappelant sa place en tout temps. En raison d’un tel rôle, l’aînée ne jouissait pas d’une grande complicité avec ses sœurs.

Joséphine prit une grande inspiration puis frappa à la porte. Son ouïe affûtée percevait des bruits à l’intérieur. Quelqu’un s’apprêtait à ouvrir. Un sentiment de nervosité la gagna. Elle ignorait la qualité de l’accueil qu’elle recevrait, mais Lydianne était et resterait toujours sa sœur. La jeune femme ne doutait pas qu’elle bénéficierait de son hospitalité.

description[Joséphine] Le voyage de Danse Flamme: vers Vénopole EmptyRe: [Joséphine] Le voyage de Danse Flamme: vers Vénopole

more_horiz
La porte s’ouvrit et un homme bourru apparut au seuil de la porte. En plus de sa silhouette trapue, son crâne dégarni et son nez épaté lui conféraient des allures de soldats. Joséphine ne doutait pas de sa force musculaire, ses mains larges et puissantes étant certainement capable de la casser en deux comme une brindille. Elle qui s’attendait à l’accueil d’une femme, se retrouver devant un homme de sa stature ne la laissait pas indifférente. Elle recula d’un pas, surprise.

- Qu’est-ce que ce sera ? Vous êtes qui ? tonna-t-il d’une voix grave.

Il dévisagea le petit brin de femme qui se tenait devant lui et nota sa méfiance, ce qui ne manqua pas de l’amuser. Il souriait sans subtilité tandis qu’il la parcourait du regard, de haut en bas. Sans étonnement, ses yeux s’arrêtèrent sur les cicatrices qui balafraient le visage de Joséphine. Avant qu’il n’y porte une quelconque remarque, la jeune femme répondit finalement.

- … Lydianne ? Lydianne habite-t-elle ici ?
- Vous êtes qui ? Vous lui voulez quoi ?
- Je suis… je suis sa sœur…


L’homme fronça les sourcils, poursuivant son étude attentive de l’intruse. Joséphine crut qu’il ne lui répondrait pas et lui claquerait la porte au nez. Mais finalement, il haussa les épaules et se rangea sur le côté afin de la laisser entrer.

- Lydianne ! Quelqu’un pour toi !

La rouquine pénétra dans la masure. L’odeur d’un ragoût qui mijotait dans une marmite sur le feu emplit ses narines. Une grande table se trouvait au centre de la pièce où quatre enfants assis autour, deux garçons et deux filles, l’observaient avec curiosité dans un silence total. Tous avaient les cheveux châtains, exactement comme Lydianne dans ses souvenirs. Joséphine força un sourire à leur endroit qui ne reçut aucune réponse. Seul un garçonnet, probablement le plus jeune, osa un timide sourire mais sa sœur aînée lui tira le bras pour le réprimander. Une scène de déjà vu, songea Joséphine.

- Lydianne ! beugla l’homme. Descends tout de suite ! Quelqu’un pour toi !

Joséphine sursauta, mais se retint d'échapper un cri. Des bruits de pas attirèrent son attention au bout de la pièce. Une femme aux longs cheveux châtains entremêlés, vêtue d’une longue robe de laine, descendit l’échelle qui conduisait au grenier. Lydianne se figea lorsqu’elle se retourna pour faire face à ce « quelqu’un ». Ses yeux perçants et sévères transpercèrent Joséphine qui, néanmoins, soutint son regard. Les deux femmes se scrutaient en silence comme si elles cherchaient à reconnaître un signe distinctif. Le visage de Lydianne s’éclaira aussitôt qu’elle porta son attention sur la crinière rousse. Joséphine sut qu’elle l’avait reconnue.

- Joséphine… dit-elle simplement, impassible.
- Lydianne.

De 12 ans son aînée, Lydianne avait évidemment changé. Les traits de son visage ovale étaient beaucoup plus tirés que dans ses souvenirs. Des rides apparaissaient à de multiples endroits et les poches sous ses yeux cernés lui rappelaient celles d’une vieille femme. Ses bras manquaient de leur vigueur d’antan et paraissaient fatigués. Même sa chevelure affichait quelques mèches grisonnantes. Joséphine fut estomaquée de constater à quel point sa sœur avait rapidement vieilli. Trente-deux ans, ce n’était pas si âgé. Son ventre prenait une forme parfaitement ronde, trahissant une nouvelle grossesse.

- Qui c’est, maman ? demanda le cadet.
- Les enfants, déclara Lydianne sans quitter sa sœur des yeux, voici votre tante Joséphine.

Après hésitations, les quatre enfants se levèrent afin de saluer la tante qu’ils n’avaient jamais rencontrée. Cependant, à la grande stupeur de Joséphine, leur mère les en empêcha d’un simple « Non ! », tout en posa une main ferme sur l’épaule de son garçon. Elle regarda son mari.

- Cletus, emmène les enfants au grenier, je te prie. Je dois parler avec ma sœur.

description[Joséphine] Le voyage de Danse Flamme: vers Vénopole EmptyRe: [Joséphine] Le voyage de Danse Flamme: vers Vénopole

more_horiz
Le visage de l’homme se renfrogna, visiblement contrarié d’être ainsi renvoyé comme s’il n’était qu’un vulgaire serviteur. Il obtempéra malgré tout sans discuter, acquiesçant d’un simple signe de tête. Joséphine n’aimait ni ne s’expliquait la mine sombre de Lydianne. Après toutes ces années, que pouvait-elle bien lui reprocher ? Digérait-elle toujours de travers son existence, la guerrière n’en savait rien. Mais elle sentait avec certitude qu’elle n’était pas la bienvenue en cette demeure. L’effet du temps ne semblait pas avoir effacé les vieilles rancunes familiales et la jeune femme s’en désolait.
Joséphine regardait les enfants qui, l’un après l’autre, grimpaient l’escalier qui les conduisait au grenier, tâchant d’éviter le regard lourd de sens de sa sœur. Lydianne avait exigé de lui parler en privé en plus de refuser à sa progéniture de s’approcher de leur tante. Pourquoi cette inimité alors qu’elles se retrouvaient après quatorze années de séparation ? Profondément troublée, Joséphine appréhendait la conversation qui s’ensuivrait. Elle attendit sagement que l’homme et ses enfants aient disparu au grenier avant de prendre la parole, devançant volontairement Lydianne du même coup.

- Tu as une très belle famille, Lydianne. Tu peux en être fière.
- C’est bien que tu le remarques, ma sœur. Assieds-toi donc et laisse-moi te servir un peu de ragoût.
- Je n’ai pas faim.
- Piètre menteuse…


Joséphine se doutait bien que le repas ne lui était offert que par bienséance, mais le regard insistant de sa sœur la convainquit de s’asseoir à table. Sans échanger un seul mot, Lydianne versa deux louches de ragoût consistant dans un bol en bois habilement sculpté. Elle le posa devant sa sœur qui, dans un mutisme complet, huma le met fumant. L’arôme savoureux lui rappela instantanément la cuisine de leur mère et les soirées attablées au sein de la maisonnée familiale, après une dure journée de labeur. Joséphine y trempa sa cuillère avant de la porter à sa bouche. Elle ferma les yeux alors que durant un bref moment, elle s’autorisa un retour en arrière, se remémorant des souvenirs qu’elle croyait perdus dans les limbes de son subconscient. Ils apparaissaient dans sa tête comme si son esprit se remettait soudainement en marche après une longue période de torpeur. La rouquine se réjouit qu’en dépit des manœuvres destructrices de la Main de la Mort pour purger son cerveau de toute son ancienne vie, certains souvenirs tels que celui-ci aient survécu. Elle se jura alors de les protéger et de leur donner un sens, même les plus petits. À ses yeux, ils étaient tous précieux.

- Que viens-tu faire ici, Joséphine ? demanda sèchement Lydianne, mettant brusquement fin à ses rêveries.

Le ton employé par Lydianne prit la cadette de court. Joséphine cessa de manger et fixa son aînée. Le regard posé sur elle était sévère et indéchiffrable. La jeune femme ignorait tout du jugement de sa sœur à son égard, mais bien qu’elle doutait qu’il ne soit pas positif, elle ne parvenait pas encore à le confirmer.

- Tu es ma sœur, Lydianne… articula-t-elle.
- C’est vrai.
- Après toutes ces années, je… j’espérais te revoir. Apprendre comment tu vivais. Reprendre les années perdues.
- Tu me vois et tu sais comment je vis. C’est chose faite.


Joséphine poussa un long soupir qu’elle ne tenta pas de dissimuler. Cette conversation tournait en rond et Lydianne paraissait aussi froide qu’une pierre en hiver. Elle conclut qu’il valait mieux oublier la carte des émotions. L’aînée de la famille ne s’était jamais laissée émouvoir et il ne semblait pas qu’aujourd’hui ferait exception.

- De si beaux cheveux… dit Lydianne envieuse alors qu’elle passait son index dans la frange de cheveux roux de sa sœur. Un si beau cadeau de notre mère… et c’est à toi qu’elle l’a donné. Je ne le comprendrai jamais…
- Notre mère est morte, Lydianne. Le village a été attaqué...
- C’est donc pour cette raison que tu viens ici ?
- Entre autre.
- Alors pour quelles autres raisons ?


Offusquée une telle impassibilité, Joséphine se leva et se planta face à sa sœur, plongeant son regard dans le sien comme si elle lui lançait un défi. Lydianne afficha un demi-sourire, étirant davantage les traits de son visage au point de ressembler à une vieille femme. Joséphine crut, pendant un bref instant, que sa sœur se moquait d’elle et de leur mère. L’insensibilité de Lydianne la dégoûtait.                                                          

- Je viens de t’annoncer que notre mère est morte ! Ne ressens-tu rien ?
- Joséphine… sa mort devait survenir un jour, surtout avec ces temps difficiles. Elle a vécu sa vie de paysanne comme il se devait… en paysanne. Notre tour viendra. Paix à son âme.


Pour Joséphine, ces paroles prononcées sur le ton de l’indifférence eurent l’effet d’une douche froide qui paralysa ses membres. Lydianne parlait comme une vieille chipie acariâtre, lassée et blasée. Bouleversée et sans voix, elle n’y trouva aucune réplique. Lydianne parut satisfaite de l’effet qu’elle provoquait.

- C’est tout ce que tu avais à me dire, ma sœur ?
- Je ne sais plus…
- Bien.
- Tu ne sembles pas heureuse de me revoir, Lydianne…
- Pourquoi le devrais-je ?
- Tu m’en veux encore pour cette histoire de naissance, c’est ça ?
- Oui… mais il n’y a pas que ça...
- Que veux-tu dire ?
- Regarde-toi…


La rouquine dévisagea sa sœur, interloquée. Celle-ci s’approcha et empoigna le menton de sa cadette d’un geste qui, exécuté avec plus de douceur, lui aurait semblé presque maternel. Mais Lydianne ne se fixa aucune retenue et examina son visage en manifestant un mépris non dissimulé. Son regard parcourut les cinq balafres rougeâtres de toutes leur longueur, jusqu’à ce qu’elles se perdent sous la tunique. Lydianne secoua la tête

- Je préfère ne pas savoir comment cette… mutilation est arrivée.
- Mais… que se passe-t-il, Lydianne ? Dis-le-moi !
- Ce qui se passe, ma chère petite sœur, c’est que tu reviens ici après quatorze années sans nouvelles. Tu te présentes chez moi, devant mes enfants,  armée jusqu’aux dents et couverte de blessures de la tête aux pieds, dont ces monstrueuses cicatrices. Tu portes des vêtements de voyage poussiéreux, comme une vagabonde. Tu portes le pantalon, comme un homme. Croyais-tu vraiment que je te ferais bon accueil, Joséphine ?


Les lèvres de la rouquine s’entrouvrirent mais aucun son n’en sortit. Bouche bée, l’air ahuri, ce qu’elle entendait lui faisait aussi mal qu’un coup de couteau dans la peau. Sa propre sœur, sa famille, son sang. Joséphine avait envisagé un accueil froid, mais jamais à ce point glacial. Non seulement se sentait-elle indésirable, mais elle eut la soudaine impression de se trouver en face d’une inconnue. Une inconnue qui la détestait, qui éprouvait un profond dédain. Cette femme désagréable et rancunière n’était plus sa sœur.

- Tu ne sais rien de moi…
- J’en sais maintenant suffisamment. Je n’ai aucune difficulté à savoir ce que tu es devenue. Aux marchés des esclaves de l’époque, une fillette de six ans, rousse en plus, devait attirer beaucoup de convoitise. Les propriétaires de bordels et des maisons de plaisir de Samothrace ont dû se battre pour t’obtenir. Je n’ose pas imaginer la suite même si elle me semble évidente.
- Quoi…


Pour Joséphine, c’était la goutte qui faisait déborder le vase. À l’instar du fauve que l’on bat pour dresser au combat, la jeune femme soutenait à présent le regard de son aînée, prête à bondir pour lui arracher la jugulaire. Les sourcils froncés, les traits de son visage tiré en une grimace presque haineuse, elle serrait les poings à la limite du supportable, sentant ses ongles s’enfoncer dans sa chair. En plus de l’incroyable mépris qu’elle lui témoignait, elle poussa l’odieux à son maximum en la considérant comme une catin. Joséphine n’en supporta pas davantage. Dans le mutisme le plus complet, elle s’empara de son sac et se précipita vers la sortie.

- Je vais quand même t’offrir l’hospitalité pour la nuit,
dit Lydianne, impassible.
- Tu es ma sœur, Lydianne,
répondit Joséphine sans se retourner. Quoiqu’il advienne, tu le resteras et je ferai un effort pour t’aimer en chérissant les rares bons souvenirs que j’ai de toi. Mais plus jamais nous ne nous reverrons. Plus jamais.

Joséphine sortit en claquant la porte, sans même attendre une réponse. Cela n’avait plus d’importance à présent. Lydianne appartenait déjà au passé.

description[Joséphine] Le voyage de Danse Flamme: vers Vénopole EmptyRe: [Joséphine] Le voyage de Danse Flamme: vers Vénopole

more_horiz
Le vent frais de la nuit enveloppait sa peau laiteuse comme la douceur des bras maternels, emplit de tendresse et de bienveillance. Elle en savourait la caresse dans sa longue chevelure flamboyante, de même l’effleurement des doigts invisibles sur son visage aux traits adorables, encore innocent malgré l’horreur qu’ont vu ses yeux et vécu son esprit. La jeune femme inspira profondément avant d’expirer. L’air pur revigorait ses muscles fatigués en plus de tempérer son énergie négative jusqu’à la dissiper. Sa peau frissonna sous la fraîcheur de la nuit, hérissant les poils de son corps élancé, mais elle se sentait beaucoup mieux. Elle se sentait sereine et pacifiée. Un bref moment de répit dans une existence mouvementée.
Assise dans l’herbe haute, les genoux ramenés contre sa poitrine, Joséphine faisait le vide dans son esprit, habitude qu’elle avait secrètement prise durant les dernières années de son séjour forcé chez les assassins de la Main de la Mort. Lorsque ses émotions se livraient bataille en son for intérieur, elle recherchait le calme pour s’adonner à une sorte de méditation qui l’apaisait. Ces luttes psychologiques s’avéraient parfois rudes et Joséphine craignait parfois de les perdre, de sombrer dans une dépressive mélancolie. Pourtant, jusqu’à ce jour, elle remporta de cette façon chacun de ses duels mentaux. Portée ainsi à la réflexion et à l’analyse, elle savait que dans ces conditions elle retrouvait la quiétude nécessaire pour faire le meilleur choix en fonction d’une situation.
Sa situation, Joséphine le savait, ne lui autorisait aucune erreur. Éloa attaquerait dès qu’elle jugera sa proie en état de combattre. Les assassins de la Main de la Mort se vengeraient certainement sur ses rares proches s’ils apprenaient qu’elle parlait trop ouvertement de son passé. Pire encore, se sachant traquée comme un loup, si ses ennemis apprenaient sa destination principale, peut-être seraient-ils tentés d’aller l’y attendre.

Joséphine devait décider d’un itinéraire à emprunter. Suivre les routes lui apparaissait en tant qu’option la plus facile et la plus rapide, mais pas nécessairement la plus sûre. Elle se remémora sa conversation avec Kieran. Une guerre se préparait dans l’Empire. Les routes n’étaient plus sûres. Le danger était omniprésent et l’armée devenait inquisitrice et posait beaucoup de questions. Circulerait-elle librement à travers Kalamaï ou serait-elle constamment abordée et questionnée ? Que répondrait-elle ? Dire la vérité signerait son arrêt de mort et celle de ses proches. Croiraient-ils ses mensonges ? Lydianne, en plus d’avoir confirmé les temps « troublés » dans lesquels ils vivaient, avait déploré son apparence de vagabonde, de voyageuse armée comme un homme. Elle l'avait même confondu avec une prostituée ! Attirerait-elle trop l’attention sur elle ? Finalement, elle se rappela les paroles d’Éloa : « … je ne te quitterai jamais. Même si tu ne me vois pas, je serai quelque part à t’observer. Le moment venu, je frapperai. » La redoutable assassin de la Main de la mort la poursuivrait sans relâche jusqu’à sa guérison. Joséphine savait que leur prochaine rencontre s’avérerait fatale pour l’une d’entre elles. Tuée ou être tuée, la rouquine rejetait chacune de ces options. Son cœur souffrit à la seule pensée de devoir tuer Éloa.

Son choix devenait plus clair, à présent. Avec appréhension, elle sut  qu’il lui faudrait renouer avec la solitude malgré l’écrasement psychologique que cet état lui faisait subir. Sa sécurité et celle des autres l’obligeait. Elle leva la tête et son regard pointa droit devant elle. La noirceur voilait tout ce que recelait le paysage, mais Joséphine savait qu’un marécage s’étendait à perte de vue. C’était ce chemin qu’elle emprunterait pour atteindre le Vénopole, à la fois pour éviter de croiser des patrouilles sur la route et pour semer Éloa.
La rouquine lissa les plis de sa tunique puis se leva. Elle poussa un long soupir avant d’entamer la traversée du marais. Elle ignorait le temps qu’une telle entreprise nécessitait, mais hors de question de s’attarder davantage ici où plus rien ne la retenait. Cette nuit encore, elle ne dormirait pas…

description[Joséphine] Le voyage de Danse Flamme: vers Vénopole EmptyRe: [Joséphine] Le voyage de Danse Flamme: vers Vénopole

more_horiz
privacy_tip Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
power_settings_newSe connecter pour répondre