Le Monde de Kalamaï
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description[Joséphine] Non loin de Samothrace, la fuite de Danse Flamme Empty[Joséphine] Non loin de Samothrace, la fuite de Danse Flamme

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Joséphine s'était enfuie du repaire de la Main. Il lui avait fallu un peu de temps pour parvenir à se situer, mais elle y était finalement parvenue, au bout de plusieurs jours de course, de dissimulation, d'angoisse, harcelée par ses blessures qu'elle tentait de ménager le plus possible pour qu'elles ne s'infectent pas. Sans doute eut-elle une chance inouïe, car personne ne vint l'assassiner : pourtant, la Main la poursuivait forcément avec acharnement. Elle ne pouvait laisser l'un de ses éléments se promener impunément en pleine nature après avoir refusé ses enseignements.

Joséphine avait donc pris connaissance, en écoutant passer une caravane de marchands sur la route, de sa situation : elle était en Mésolongion, non loin d'Orchomène. Elle décida donc de se diriger vers son village natal, au nord, dans la province voisine. Blessée comme elle l'était, elle en aurait bien pour une semaine de marche.

**********************************

Elle en eut pour bien plus. Elle faillit mourir de froid et de faiblesse à plusieurs reprises les premiers jours, s'accrochant à la vie par un miracle, et restant allongée plusieurs jours. Puis elle alla mieux, et le voyage put se dérouler plus normalement, si l'on peut qualifier ainsi la fuite d'une des plus performantes organisations d'assassins de l'Empire. Elle passa par plusieurs villes, volant de la nourriture à l'occasion. Après ce voyage éprouvant, durant lequel elle s'était sentie suivie par des ombres, elle vit enfin au loin, dans un des doux vallons de Vénopole, les masures de son village. Du village de sa famille. Leur état de délabrement, leur pauvreté la toucha de plus en plus alors qu'elle approchait. Elle ne s'en souvenait pas ainsi.

Puis elle vit les rues. Des gens y étaient agenouillés auprès d'autres, allongés. Les maisons n'étaient pas des taudis, elles étaient détruites.

Les allongés étaient morts. Les accroupis hurlaient de chagrin et de colère.

Son cœur s'emballa. Qu'était-il advenu de sa famille ?

Les paysans qui la virent arriver se levèrent, et s'avancèrent, menaçants, la fourche à la main. Ni son père ni son frère n'y étaient. Ou elle ne les reconnut point.


- Qui es-tu, oiseau de malheur ? Que viens-tu faire dans notre lieu de misère, abandonné des dieux ? Réponds !

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Elle n’avait passé que les six premières années de sa vie dans ce village, son ancienne masure située plus en retrait au creux des vallons. Âgée maintenant de 20 ans, voilà quatorze années qu’elle n’avait pas remis les pieds dans son village natal, où elle y vivait alors avec sa famille. Pourtant, malgré le poids du temps, elle s’y sentait toujours attachée, comme un mince cordon retenu par des souvenirs vivaces, défilant dans l’esprit de la jeune femme en désordre chronologique. Lorsque l’horizon dévoila enfin la silhouette des habitations, un sentiment de nostalgie lui causa un pincement au cœur qui éclaira son minois d’un sourire. Elle ne ressentait plus la douleur mordante causée par ses blessures, qui tardaient à guérir complètement. Finalement, après une interminable suite d’épreuves éprouvantes, elle rentrait au bercail.

Ce qu’elle y trouva lui glaça le sang. Dispersés partout dans le village, plusieurs dizaines de cadavres jonchaient les allées, leurs proches agenouillés auprès d’eux, pleurant, priant et maudissant des coupables dont elle n’avait jamais entendu parler. Les masures et les chaumières, s’élevant autrefois parmi les vallons de la steppe naxopolitaine, étaient détruites. Certaines d’entre elles affichaient les traces carbonisées d’un incendie majeur. D’autres semblaient avoir été brutalement défoncées. L’œuvre de pillards ? Une probabilité crédible, mais Joséphine n’aurait pu l’attester avec certitude. Peu lui importait de toute façon. L’expression de son visage se changea en tristesse, mélangée au dégoût. À nouveau, elle côtoyait la mort qui semblait la suivre partout où elle se rendait.
Joséphine retint un haut le cœur, puis s’avança à l’intérieur du village. Soudain, un groupe de paysans l’aperçurent et s’approchèrent de la nouvelle venue, l’un d’eux brandissant sa fourche de façon menaçante.

- Qui es-tu, oiseau de malheur ? Que viens-tu faire dans notre lieu de misère, abandonné des dieux ? Réponds !

Le ton corrosif employé par le paysan stupéfia la rouquine qui, par mesure préventive, recula d’un pas. Cependant, elle ne s’en offensa pas. Elle comprenait la méfiance de ces gens, probablement victimes d’une attaque d’étrangers. Joséphine, bien que jeune femme, ne leur apparaissait pas plus digne de confiance qu’un brigand crasseux. Après tout, son apparence ne faisait guère meilleure impression. Elle portait une tenue plus adaptée au voyage; une tunique bleue saphir aux reliures blanches et un pantalon blanc, couverts de poussière et effrangés par endroits. Sa combinaison noire d’assassin était pliée et fourrée dans un petit sac qu’elle transportait. Mais ce qui attirait naturellement leur suspicion était les armes qu’elle portait, visibles à l’œil, soit un wakisashi accroché à sa large ceinture blanche, ainsi qu’un katana dans son dos. Bien qu’aucune loi n’interdisait aux femmes le port des armes, celles qui les maniaient étaient souvent perçues de façon négative.

- Sachez que vos misères sont aussi les miennes, dit-elle d’une voix compatissante. Je ne suis pas porteuse d’autres malheurs. J’ai déjà vécu ici, il y a de cela tant d’années. Je m’appelle Joséphine, fille d’Albriecht…
Elle prit une inspiration avant de poursuivre, la voix enrouée par l’émotion.
- … Ma famille vivait tout près d’ici, dans une petite ferme au-delà de ces vallons... J'espérais les retrouver. Dites-moi… que s’est-il passé ? Qui est responsable de tout ceci ?

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Un petit attroupement se formait autour de la jeune guerrière. Au nom d'Albriecht, plusieurs semblèrent frappés par la foudre. Un vieille femme sortit du troupeau et s'avança vers la jeune femme.

- Mais oui, tu es bien la petite Joséphine ! Je te reconnais ! Ta chevelure ne peut pas laisser de doutes !

Elle se tourna vers les autres, et confirma tout haut ce que la jeune femme avait dit.

- Regardez ! C'est la dernière fille d'Albriecht ! Joséphine !

Les hommes baissèrent leur fourche, et celui avait parlé pris alors la parole.

- Si Vieille Marthe dit vrai, alors tu ne peux plus mal tomber. Des pillards de l'armée provinciale ont encore une fois tenté de nous extorquer nos récoltes. Nous avons... refusé.

Sa voix se brisa, saisie par l'émotion. Il lui fallut quelque temps pour se reprendre.

- Cassandre gît là-bas. Mais Dereck a été capturé, et ton père aussi, je crois, avec beaucoup d'hommes et de jeunes femmes qu'ils n'ont pas tuées après les avoir violées. Ces chiens de soldats, puissent-ils pourrir mille fois, vont sûrement les vendre comme esclaves. Je suis désolé.

L'homme faisait visiblement preuve d'un grand courage pour ne pas s'effondrer de chagrin et de rage, et tous semblaient dans le même état que lui. Des estafilades sanguinolentes lui parcouraient tout le corps. Il s'était battu, et il n'était visiblement pas le seul.

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Joséphine n’avait pas l’habitude d’attirer autant l’attention générale. Elle ne cherchait jamais à devenir un pôle d’attraction en raison de ses expériences passées. Toute petite, on lui reprochait presque sa propre existence. La situation ne s’améliora guère lorsqu’elle fut vendue à la Main de la Mort. Chaque fois que ses maîtres l’humiliaient, ils tâchaient d'infliger la punition (physique comme verbale) devant de multiples témoins afin d'amplifier l’impact psychologique. Tous ces antécédents avaient développé chez elle une timidité qui lui nuisait considérablement au moment d’établir des contacts sociaux. Le groupe de paysans qui formait un cercle autour d’elle l’embarrassait, d’autant plus que l’ambiance funèbre entourant l’espace environnant la révoltait. À présent tous la fixait et beaucoup la reconnurent depuis que « Vieille Marthe » eut confirmé son identité. Pour fuir cet attroupement, Joséphine se serait envolée si seulement elle l’avait pu.

- Cassandre gît là-bas. Mais Dereck a été capturé, et ton père aussi, je crois, avec beaucoup d'hommes et de jeunes femmes qu'ils n'ont pas tuées après les avoir violées. Ces chiens de soldats, puissent-ils pourrir mille fois, vont sûrement les vendre comme esclaves. Je suis désolé.

Joséphine ouvrit la bouche, mais aucun son ne s’en échappa. Pire qu’une douche froide, ce témoignage la congela sur place. Son corps entier se raidit comme un glaçon prêt à éclater en plusieurs morceaux. Elle ferma les yeux, son visage toujours figé en une grimace ébahie. Une désagréable sensation de nausée s’empara d’elle qui lui laissa un goût amer fort désagréable dans la bouche. « Cassandre git là-bas » , avait dit le villageois ecchymosé et couvert d’estafilades. Sa mère serait donc morte… * Mère… maman…* prononça-t-elle dans son esprit. L’homme l’informa aussi que son père et son frère avaient été capturé en compagnie d’autres villageois. Probablement étaient-ils toujours vivants. Cette seule pensée l’anima d’un nouveau courage. Ses sœurs, que le paysan n’avait mentionné, se trouvaient-elles en sécurité ? Arielle, sa sœur aînée et sa bonne étoile spirituelle, que devenait-elle ?
Comme un choc en son for intérieur envoyé par la Providence, elle se sentait investie de la mission de protéger sa famille. Consciente qu’elle risquait gros si elle s’éternisait au même endroit, la Main de la Mort certainement à sa poursuite, elle refusait catégoriquement d’abandonner son père et son frère à l’esclavage ou pire, la mort. Cet objectif l’emporta sur sa quête de survie consistant à fuir constamment ses poursuivants. En dépit des actes injustes du passé que le temps n'effacerait jamais, elle les aimait.

Joséphine brisa finalement le lourd silence qui planait au-dessus de la petite assemblée. Elle poussa un profond soupir avant de s’adresser à son interlocuteur, les lèvres pincées pour masquer ses émotions.

- Dans quelle direction sont-ils partis ?
- Par là,
répondit-il en pointant vers l’ouest.
Joséphine hocha la tête puis s’éloigna du groupe de villageois, empruntant un petit chemin de terre battue en direction du nord, vers les vallons. Elle devait d’abord rendre visite à quelqu’un pour une toute dernière fois.

- Où vas-tu, mon enfant ?
- Retrouver ma mère…
susurra la rouquine, davantage pour elle-même que pour le paysan.

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Derrière la colline, dans un val adjacent, s'élevaient quelques autres masures. Alors qu'elle se rapprochait, Joséphine reconnut la demeure paternelle, passablement endommagée. Devant, au sol, gisait un tas de tissus où se découpait un visage. Un visage ridé, triste et crispé dans la mort par la douleur de l'agonie. Joséphine commença à apercevoir distinctement ce corps.

Le tissu des vêtements, rêche et râpeux, était souillé de tâches de sang. Au niveau du flanc droit, une plaie sanglante béait, mais le sang y séchait maintenant. La poussière dans laquelle Cassandre avait vécu son dernier tourment en était imbibée, rouge. Le visage était saisi dans la plus terrible des expressions. De la mâchoire décrochée semblait prêt à jaillir un hurlement ; ses yeux glauques étaient ouverts, empreints d'une ineffable souffrance ; sa belle chevelure rousse grisonnante formait autour de son visage une auréole embrasée. Ses mains étaient jointes, nouées l'une dans l'autre.

La vieille femme semblait être la mort en personne. Une vision sublime et terrifiante.

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La masure de sa famille dominait toujours l’étendue vallonnée de la steppe, plongée entre les dunes. Presque détruite, son ancienne demeure avait été pillée, puis saccagée. Des éclats de bois, de pierre, d’argile et de chaume jonchaient le sol, même plusieurs mètres plus loin des lieux, témoignant de la violence de l’impact. Une telle brutalité pour une si petite habitation ne signifiait qu’une chose : les pilleurs souhaitaient bénéficier d’un effet de surprise. Isolée du reste du village, l’attaque débuta probablement avec l’assaut sur la masure. À moins qu’elle ne se trompait, sa famille fut probablement la première victime. Un tas de tissus et de débris empilé à l’extérieur attira l’attention de la jeune fille. De celui-ci se découpait un visage familier entouré d’une chevelure rousse. Sans l’ombre d’un doute, elle sut de qui il s’agissait…

Joséphine dévala la pente et se rua jusqu’à son ancienne demeure comme si sa vie en dépendait. Cet effort soudain raviva la douleur provoquée par ses blessures, causées par Perce Cœur lors de l’affrontement avec celui-ci. À peine cicatrisée, la vilaine entaille à sa cuisse élança sa jambe droite qui s’engourdit immédiatement. Le visage déformé par la souffrance, Joséphine choisit de l’ignorer. Une onde de souffrance lui parcourait l’échine chaque fois que son pied se posait sur le sol inégal. À mi-chemin, la rouquine ne put en supporter davantage. Accablée par la douleur toujours croissante, elle perdit l’équilibre, s’écroula lourdement et poursuivit sa descente en déboulant comme une pierre.
Elle termina sa chute non loin de la masure. Sonnée, Joséphine se releva, secoua la tête puis reprit son équilibre. Tout son corps meurtri exigeait une complète convalescence, mais elle n’y prêta aucune oreille. Une fois de plus, le repos attendrait.

- Mère !

Joséphine se jeta désespérément auprès de sa mère. Elle attrapa de ses deux mains le visage crispé et ridé, puis tira vers elle de toutes ses forces le corps inerte qu’elle déposa sur l’herbe. Refusant de voir la réalité en face, elle le secoua, remuant frénétiquement ce corps qui ne respirait que l’odeur de la mort.

- Mère ! Mère ! Répondez-moi ! Mère !

Aucune réponse. Elle cessa ses manoeuvres aussi subitement qu’elle les avait commencé. Elle se tenait immobile, agenouillée devant le cadavre de Cassandre. Bercée par la brise légère de la steppe, elle contemplait silencieusement celle qui l’avait élevé dès sa naissance. Elle posa une main tremblotante sur le corps sans vie, ses doigts se refermant sur la robe de coton tachée de sang séché. Son regard ne pouvait se détacher d’elle. Le cœur noué, comme tordu par une main invisible, Joséphine accepta la vérité. Sa mère ne lui répondrait pas… elle ne reviendrait pas.

- Maman…

La jeune femme mordilla sa lèvre inférieure au moment de prononcer le mot « maman », qui déclencha en elle une explosion d’émotions confinées depuis trop longtemps. Joséphine éclata en sanglots, laissant libre cours à ses émotions comme elle ne l’avait jamais fait auparavant. Dans un long gémissement désespéré, elle réclama une nouvelle fois sa mère par son appellation puérile : - Maaamaaaan ! Plongeant sa tête au creux de l’épaule de la défunte, comme si par ce geste elle cherchait un certain réconfort, elle pleura toutes les larmes de son corps, inondant le tissu sale.
Ce n’était pas la première fois que pleurait Joséphine. Toute petite, lorsqu’elle était grondée, il lui arrivait de sangloter, davantage pour attendrir ses parents que par regrets. Au sein de la Main de la Mort, lorsqu’elle devait vider une surcharge d’émotions, elle se cachait dans un coin discret pour soulager sa peine à l’aide de ses larmes. Elle n’oublierait jamais avoir une fois pleurniché blottie dans les bras d’Éloa, alors qu’elle approchait les dix ans. Se soutenant mutuellement, les deux gamines avaient pleuré ensemble. Mais jamais elle n’avait éprouvé autant de chagrin que maintenant, chagrin qui se mêlait à la détresse. Cassandre n’avait jamais témoigné beaucoup d’empathie pour sa fille cadette. Elle n’avait pas non plus tenté de convaincre son époux à renoncer la vente de leur fille. Mais elle restait sa mère et pour cette seule raison, Joséphine l’aimait.

La rouquine se releva une fois toutes les larmes de son corps évacuées. En reniflant une dernière fois, elle poussa un profond soupir. Étrangement, elle se sentait mieux comme si désormais, la réalité semblait plus supportable. Joséphine souleva le corps de sa mère et le déposa au-dessus de la montagne de tissus. Elle lui rendrait un dernier hommage en des funérailles par incinération. Si les larmes purifiaient l’esprit, le feu purifiait l’âme.
Elle alluma un feu au bas de la pile de tissus à l’aide de deux pierres, technique apprise lors de sa formation d’assassin. Les flammes ne tardèrent pas à prendre puis à s’élever pour former un gigantesque brasier. Mais Joséphine n’assista pas davantage à ce rituel de crémation.

En s’éloignant de cette terre qui l’avait vu naître, elle se remémora les paroles du paysan qui l’avait interpellé, plus tôt. * Mon père… mon frère… les autres. Capturés par l’armée de la province… Vers l’ouest. Ces gens ne peuvent rien contre eux… moi je le peux. J’ai une chance de les sauver…*

- Je suis arrivée trop tard pour vous, mère, dit-elle à voix haute, une lueur de détermination éclairant son visage couvert de larmes séchées. Mais je peux sauver père et Dereck ! Je peux sauver les autres…

Au sommet d'un vallon, elle posa son regard sur l’horizon orangé en direction de l’ouest. Le crépuscule approchait. Bientôt il ferait nuit. La nuit, dans l’ombre des ténèbres, elle pourrait agir.
Joséphine se dirigea vers l’ouest. Seule dans la lande, elle se déshabilla pour enfiler sa combinaison de cuir noir parfaitement adaptée à son anatomie, celle portée par les assassins de la Main de la Mort. Sans s’attarder davantage, elle s’efforça de rejoindre cette armée provinciale qui semait la mort et la destruction dans son sillage. Elle ne comptait pas renier sa promesse. Mais si la situation l'exigeait, elle commettrait un mal d'où en surgirait un grand bien. Un tourbillon de lames, une queue de cheval flamboyante accompagnant chaque mouvement.
Danse Flamme était ressuscitée.

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Dolgoroth le Furieux, l'infernal dirigeant la troupe de pillards, ordonna l'arrêt.

- Nous nous arrêtons là pour la nuit. Montez les tentes et reprenez vos tours de garde.

Il se tourna vers le petit groupe qui gardait les prisonniers.

- Vous, faites-leur un enclos, attachez-le. De façon à ce que l'on puisse partir vite, je veux être dans les montagnes vénopoliennes demain !

Les hommes s'activèrent. On monta les grandes tentes de toile huilée, on apporta à boire et à manger au capitaine Dolgoroth. Les soldats commencèrent à manger et à veiller alors que le soir tombait. On vint déranger Dolgoroth.

- Mon capitaine ! Nos cavaliers ont rattrapé les fuyards de tout à l'heure. J'ai pensé que vous aimeriez donner un exemple.

Des prisonniers avaient en effet réussi à s'enfuir, tout à l'heure, pendant un moment d'inattention de leur gardien attitré, qui avait ainsi été châtié (son cadavre méconnaissable avait été laissé sur le côté de la route à la merci des chiens errants). Dolgoroth eut un sourire sadique, dévoilant des dents pointues et menaçantes. Ses yeux de braise se braquèrent sur le soldat qui l'avait averti, et sa main griffue se posa sur le pommeau de sa grande épée, à son côté.

- Je te remercie, soldat. Allons voir ça.

Son armure noire cliqueta lorsqu'il se leva. Il sortit de sa tente, et se dirigea vers le centre du campement, où l'on lui avait apporté les trois prisonniers fuyards. Les autres prisonniers étaient là aussi. Parfait. Un échafaud avait été monté à la hâte, mais cela suffirait.

- Vous trois ! Vos noms.

Les fuyards n'osèrent lever la tête. Le premier répondit.

- Dereck.

La main au gantelet de Dolgoroth lui écrasa la pommette, le giflant avec vigueur.

-Dereck, mon seigneur et maître
, se corrigea le prisonnier après avoir maîtrisé la douleur.

- Je préfère ça, chien. Et toi ?

- Albriecht, mon seigneur et maître.

- Et toi, la femme ?

- Isabella, mon seigneur et maître.

Le regard de feu se posa successivement sur les trois. Avec un sourire, le capitaine infernal reprit la parole.

- Bien. Chienne, comme tu es laide comme un pourceau, tu vas choisir parmi toutes tes compagnes qui doit payer pour ta fuite.

Isabella se raidit. Elle avait prévu la mort, peut-être même la torture pour elle-même, mais pas qu'une autre qu'elle puisse la subir. Elle ne pouvait pas choisir, c'était impossible. Elle tomba à genoux.

- Mon grand seigneur, pitié, tuez-moi, faites moi souffrir, mais pas elles !

- Tais-toi. Choisis ou toutes paieront.


Après avoir longuement réfléchi, d'une main tremblante, la prisonnière en désigna une autre, qui éclata en sanglots. Dolgoroth sourit.

- Tu vois bien que ce n'est pas difficile. LES GARS ! Cette fille, là, est à vous !


Une dizaine de soldats s'agglutinèrent autour de la jeune femme pour la violer.

- Allez faire ça plus loin, j'ai des affaires sérieuses à régler.


Isabella s'effondra, pleurant, tandis que les cris de la désignée s'éloignaient avec les rires immondes des brigands. Elle reçut un violent coup de pied dans les côtes, qui lui en brisa quelques-unes. Elle se roula par terre de douleur, mais Dolgoroth ne s'arrêta pas là : il appela deux de ses hommes pour la tabasser à mort.

Puis il se tourna vers Dereck, alors qu'Isabella hurlait.


- Toi, qui souhaites-tu voir châtié à ta place ?

Le paysan n'était pas bête, et il tenta quelque chose en désignant son père, Albriecht, pour décontenancer le capitaine. L'infernal eut un moment de surprise, puis éclata de rire.

- Hahahahaha ! Si tu n'allais pas faire un bon esclave, je crois que je t'aurais fait homme d'armes, chien ! Tu as de l'astuce.

Son sourire disparut d'un coup.

- Mais ça ne suffit pas. Tu as désobéi aux règles que je vous avais fixées en mon for intérieur. Dommage.

Il se tourna vers les autres prisonniers, qui tremblaient de peur. Isabella avait perdu conscience et gisait, du sang coulant de sa bouche et de son nez.

- Je regrette, mais vous allez tous perdre un doigt.

Les cris, les prières s'élevèrent, mais les soldats s'approchèrent et saisirent les mains, frappant durement ceux qui tentaient de se débattre. Ils ne coupèrent rien, mais tordirent et broyèrent si horriblement que les craquements glacèrent jusqu'à leur propre sang. Mais si ils désobéissaient, ils savaient que Dolgoroth n'aurait aucune merci pour eux.

Les hurlements de douleur montèrent, pendant que l'infernal obligeait Dereck à regarder.


- A la prochaine entourloupe, je coupe. Et je coupe des choses que l'on est pas heureux de perdre, à ce que je sais des hommes. Qui veux-tu voir payer pour ta fuite ? Réponds !

**************************************************

A la lisière du camp, les veilleurs étaient bien loin de se douter qu'une jeune femme, silencieuse et furtive comme une ombre, s'approchait incognito des tentes. A vrai dire, se sachant sur leur territoire, il ne prêtait guère attention à leur tâche.

Dernière édition par Un PNJ le Mar 8 Jan 2013 - 21:30, édité 1 fois

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(Qu'est-ce qu'un infernal ? Selon ta description, je l'ai interprété comme un être mi-démon, mi-humain. Merci de m'informer si je me trompe)


Joséphine atteignit le camp sans se faire repérer. Tel un chat, elle progressait sournoisement d’un pas aussi léger qu’assuré en se mouvant dans les ombres comme si elle-même en était une. L’obscurité était son alliée et elle savait reproduire le silence de la nuit en une parfaite imitation. Contre son gré, la jeune femme fut entraînée pour devenir une combattante des ombres, arme mortelle dans la nuit, aussi agile et aguerrie qu’une panthère. Plongée dans la pénombre, elle trompait tous les sens humains comme si elle disparaissait. La tenue qu’elle portait, combinaison noire en cuir et la moitié du visage caché par un foulard bleu cendré, améliorait l’effet du camouflage. La détecter dans de telles conditions tenait du domaine du possible improbable. On ne l’apercevrait que si elle acceptait d’être aperçue.
Les veilleurs ne remarquèrent même pas le minuscule déplacement d’air lorsque l’assassin franchit leur ligne, se faufilant entre eux en tâchant d’éviter les zones éclairées par les torches. Elle aurait pu les tuer sans le moindre effort, dans un mutisme complet. Mais elle s’y refusa. Ces hommes étaient des soldats, certains encore bien jeunes, forcés d’obéir aux ordres d’un supérieur, peu importe l’ordre donné. Peut-être exécraient-ils leur métier et les actions qu’ils entreprenaient ? Peut-être avaient-ils eux aussi des familles à nourrir ? Joséphine ne ressentit aucun mal en eux.

Accroupie dos à une tente, un genou au sol, l’assassin s’assura de se trouver hors de vue d’un groupe de soldats. Avant d’entamer son infiltration, elle avait analysé la forme du camp et repéré tous les veilleurs ainsi que le chemin suivit par les patrouilleurs lors de leur ronde. Certains endroits parmi les tentes, que Joséphine appelait « failles », n’étaient peu ou pas du tout surveillés. Elle emprunterait ces passages qui lui conféreraient une certaine sécurité jusqu’à l’enclos où tous les prisonniers étaient retenus.
Joséphine se redressa puis s’enfonça furtivement plus profondément à l’intérieur du camp, suivant méthodiquement l’itinéraire qu’elle avait mémorisé. Vitesse, souplesse et discrétion étaient les mots d’ordre. Afin du profiter d’un maximum de couverture, elle s’assurait de toujours longer une structure : tente, chariot, caisses de marchandises, ballots de foin, etc. Au moindre signe qu’une patrouille approchait, la rouquine s’immobilisait, se dissimulant dans l’ombre pour n’y ressortir qu’une fois le danger écarté. Lorsqu’elle croisait un veilleur, elle prenait soin de le contourner, se glissant discrètement parfois tout juste derrière lui. Plus d’un aurait été étonné d’apprendre qu’une assassin formée par la Main de la Mort avait passé à quelques centimètres d’eux, trompant leur vigilance. Joséphine parvint à l’enclos sans qu’une seule goutte de sang n’ait été versée. Nul ne se doutait de sa présence.

Une voix caverneuse qui raisonna dans ses tympans attira son attention, à proximité de l’enclos. Elle aperçut une créature humanoïde aux traits démoniaques dont elle ignorait l’existence. Il portait une armure noire et des insignes militaires. Par la façon et les égards dont ses hommes le traitaient, elle jugea qu’il devait être l’officier supérieur de ce régiment.

- A la prochaine entourloupe, je coupe. Et je coupe des choses que l'on est pas heureux de perdre, à ce que je sais des hommes. Qui veux-tu voir payer pour ta fuite ? Réponds !

Quelques secondes interminables furent nécessaires pour identifier l’homme que l’infernal menaçait. Impossible d’empêcher son cœur de palpiter lorsqu’elle reconnut son frère, Dereck. L’autre homme, le visage ridé et le regard toujours sévère, n’était nul autre que son père. Elle les avait enfin retrouvé et se serait jetée dans leur bras si elle en avait eu la possibilité. Mais elle devait d’abord les libérer et rien ne semblait à présent aussi incertain. Elle comprit du coup la raison de l’étrange animation qui régnait dans le camp. Des prisonniers avaient tenté de s’échapper, les instigateurs de l’évasion étant son père et son frère. À présent, le capitaine infernal profitait de cette tentative ratée pour faire d’eux un exemple dissuasif. Voilà qui expliquait la bouleversante séance de torture.

Joséphine pesta intérieurement. Maintenant, tout se compliquait. Plus tôt, en étudiant le camp, elle avait planifié une stratégie plutôt simple qui reposait sur l’effet de panique. Elle avait songé à incendier les ballots de foin et quelques tentes, puis à libérer les chevaux qui paissaient à proximité de l’enclos des prisonniers. Occupés par l’incendie à éteindre et le grabuge causé par les chevaux en proie à la frayeur, les soldats auraient certainement placé tous leurs efforts dans l’extinction des feux et le retour au calme. Elle en aurait ainsi profité pour libérer tous les prisonniers dont une majorité claire aurait pu s’échapper. Privés de leurs chevaux, les soldats n’auraient probablement osé se lancer à leur poursuite en pleine nuit.
Maintenant, ce plan ne signifiait plus rien puisque toute l’attention de l’armée se concentrait sur les esclaves. D’un instant à l’autre, l’officier ordonnerait l’exécution de Dereck et de son père. Le temps jouait contre elle. Même si Joséphine décidait malgré tout de poursuivre sa première stratégie, il serait certainement trop tard… et puis, le spectacle horrible de torture se déroulant sous ses yeux la révoltait au point de lui donner la nausée. Ces gens souffraient depuis déjà trop longtemps.
Un dilemme accapara toutefois son esprit. Un nombre très important de soldats se trouvait sur place et elle ne pouvait pas tous les vaincre. Il lui fallait donc patienter. Mais si elle attendait un moment plus opportun, elle risquait d’assister à la mort de son frère et de son père. De toute façon, si elle s’attardait trop longtemps dans le camp, un garde finirait par la surprendre. Hors de question pour Joséphine d’abandonner. Sa conscience le lui interdisait.

Une bref coup d’oeil sur les soldats qui assistaient à la séance de torture engendra une idée saugrenue dans son esprit. Hormis ceux qui s’adonnaient au plaisir pervers du viol de quelques-unes des prisonnières, la plupart d’entre eux tremblaient ou détournaient simplement le regard. Joséphine comprit immédiatement qu’ils n’approuvaient pas les sadiques démonstrations exemplaires de leur supérieur. Suffisait alors de se débarrasser du cruel capitaine et, peut-être, les hommes lui laisseraient la vie sauve et permettraient aux esclaves de regagner leur foyer. Bien qu’elle jugeait ce plan beaucoup trop hypothétique, aucune autre idée ne lui vint en tête… et le temps pressait.


Discrètement, elle dégaina son wakisashi, préférant une courte lame pour surprendre un adversaire. Avançant furtivement vers sa proie comme une lionne en chasse, Joséphine s’assura de demeurer sous le couvert des ténèbres le plus longtemps possible.
Cette créature à l’image d’un démon apparaissait à la jeune fille comme une repoussante aberration. Le visage long et difforme, une rangée de dents pointues et les doigts surplombés de griffes lui rappelaient les histoires superstitieuses de son enfance. Elle inspirait la peur et l’agressivité, même à ses propres hommes. Une troublante aura de mort l’entourait. Joséphine n’éprouvait aucun remords à ce qu’elle s’apprêtait à faire…

À l’instar d’une vipère, l’assassin frappa à la vitesse de l’éclair. La silhouette obscure surgit de l’ombre, sa chevelure coiffée en queue de cheval la suivant comme une traînée flamboyante, puis planta sa lame entre les omoplates de Dolgoroth le Furieux, sous les regards médusés de l’assistance qui poussa des acclamations de surprise. Une frappe d’une précision chirurgicale. Elle sentit l’acier tranchant perforer la chair, s’enfonçant ensuite dans les muscles de sa victime qui poussa un long grondement de douleur.
Toutefois, Joséphine n’avait pas anticipé la réaction instinctive de sa cible. Guerrier endurci par d’innombrables combats, Dolgoroth le Furieux n’en était pas à sa première blessure grave, ni sa première tentative d’assassinat. D’un réflexe prodigieux, développé grâce à un entraînement particulier et une grande expérience, il se retourna prestement, sans même laisser le temps à l’assassin de retirer la lame de sa chair, et lui asséna un coup retentissant du revers de son poing. Prise par surprise, elle reçu le coup en plein visage. Joséphine couina puis recula de quelques mètres avant de tomber au sol.

- Arrgh !! Quel est le bâtard qui a osé ? vociféra l’infernal, le regard injecté de sang. Sale garce ! Chienne !

Encore sous le choc, la jeune femme masquée posa sa main sur sa joue enflée avant de se retourner, toujours étendue au sol. Grimaçante, elle se releva difficilement, ne quittant pas des yeux l’immonde capitaine qui affichait une bien mauvaise mine. Ses muscles étaient tendus, ses articulations se crispaient. Même son visage se déformait, prenant un teint blafard. Nul doute que Dolgoroth reçut une blessure qui pouvait bien lui être fatale. Toutefois, lui restait-il suffisamment d’énergie pour s’opposer à Danse Flamme ?


Dernière édition par Joséphine le Jeu 27 Déc 2012 - 8:41, édité 1 fois

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La douleur de la lame profondément enfoncée dans son dos fit enrager Dolgoroth qui sans réfléchir, se retourna d'un coup et asséna un grand coup de son bras caparaçonné à son agresseur, en vociférant.

- Arrgh !! Quel est le bâtard qui a osé ?

Il ne lui fallut que quelques fractions de seconde pour se rendre compte que l'homme qui l'avait poignardé dans le dos était en fait... une femme. Une femme aux cheveux de feu. Les yeux de braise de l'infernal parurent s'enflammer de rage.

- Sale garce ! Chienne !

Sa blessure le faisait souffrir affreusement mais, loin de le stopper, elle embrasa sa haine et sa colère. Vive comme l'éclair, son épée jaillit du fourreau. Ses soldats et les prisonniers étaient pétrifiés de surprise et de terreur. Ils ne savaient que faire, et Dolgoroth s'en irrita.

- Soldats, tuez-les prisonniers ! Tous !

Il s'avança, prêt à écraser la cage thoracique de son assaillante de sa lourde botte, mais elle se releva avec grâce et célérité, le coup qu'elle avait reçu n'ayant pas été bien assené. Le gris acier de Dolgoroth fendit l'air, mais ne trancha rien : elle avait esquivé trop vivement. Autour, les soldats commençaient à réagir, et deux prisonniers avaient déjà été passés par les armes.

La fureur de l'infernal grandissait, d'autant que son adversaire évitait pour le moment chacun de ses coups, malgré sa propre habileté. La lame plantée entre ses omoplates devait être pour quelque chose dans son manque de rapidité.

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Bien que grièvement blessé, l’infernal ne paraissait pas réduit à l’incapacité. Joséphine avait mal jaugé un opposant dont elle ignorait tout. À présent, celui-ci lui faisait face, sa lourde épée entre les mains. Poussé par un élan de rage, la créature se préparait à en découdre avec la sournoise assassin, malgré le wakisashi toujours planté entre ses omoplates qui ralentissait ses mouvements. Contre toute attente, elle devait donc affronter ce terrifiant adversaire, ne pouvant qu’espérer que les soldats n’interféreraient pas dans le duel. Pire, emporté par la fureur, Dolgoroth avait ordonné l’exécution systématique des prisonniers. Deux d’entre eux étaient déjà passés au fil de l’épée. Pour Joséphine, l’opération de sauvetage tournait au cauchemar. Il s’agissait d’un échec total.

Dolgoroth leva son épée et l’abattit sur son assaillante qui plongea sur le côté, frustrant son adversaire une fois de plus. Dans sa roulade, Joséphine dégaina son katana pour parer habilement une nouvelle attaque du capitaine qui enchaîna au moment où elle se redressait. Une gerbe d’étincelles jaillit lorsque l’acier croisa l’acier. L’assassin riposta d’une frappe latérale au niveau de la gorge de l’infernal qui, en guerrier endurci, para à son tour. Cependant, il semblait par moment désorienté par le style de combat de l’assassin basé sur la vitesse et la souplesse. Il n’anticipa pas l’enchaînement de celle-ci. Joséphine pivota sur sa jambe d’appui et, d’un fulgurant coup de pied circulaire, abattit son talon en plein visage de son adversaire. – aaah YAAH !
Victime de l’impact écrasant, Dolgoroth suivit la direction de l’élan de quelques pas mais conserva son équilibre. Il cracha sur le sol herbeux une gerbe de sang accompagnée de deux dents pointues. L’infernal incendia la jeune femme du regard. Ses lèvres sanguinolentes s’ouvrirent légèrement pour échapper un grognement sourd. Se tenant sur ses gardes, en position de combat, Joséphine empoignait son katana à deux mains, prête à essuyer un nouvel assaut. Alors que de plus en plus de soldats approchaient pour assister à ce duel mortel, elle profita de ce court répit pour s’adresser à la foule, d’une voix forte mais fatiguée en raison de l’effort physique soutenu.

- Ne lui obéissez pas ! Rien ne vous force à le faire… Vous tous qui désirez la liberté… Partez... Affranchissez-vous !

Joséphine n’eut cependant pas l’occasion de constater l’effet de son court discours sur la petite armée puisque Dolgoroth fondit sur elle en hurlant. Il la plaqua brutalement, la projeta au sol quelques mètres plus loin. Le capitaine chercha à en finir en la tranchant en deux de son épée, sa force décuplée par une haine toujours croissante, mais l’assassin disposait encore de plusieurs ressources. Consciente que dans cette position, si elle bloquait, la force supérieure de son adversaire pénétrerait sa défense, voire lui casserait le bras, elle roula sur le côté pour esquiver l’assaut. La lourde épée fendit l’air avant de racler le sol.
Joséphine se releva et se dressa face à la créature démoniaque.

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Dolgoroth s'épuisait inexorablement, sans parvenir à toucher son adversaire. Mais sa rage grandissait également. L'infernal sentait qu'il ne se maintiendrait plus en état de combattre très longtemps. Et il savait aussi que n'importe lequel de ses hommes pourrait en profiter pour prendre sa place en l'achevant.

Il était donc condamné à mort, et il sentait que de plus en plus, ses . Cette révélation ne le bouleversa pas outre mesure. A vrai dire, il descendait du chaos, Bronek, alors où était le problème dans le retour au chaos ? Le seul souci est qu'il ne voulait pas subir l'humiliation d'y aller seul. Et il apparut comme encore plus évident lorsque la rouquine cria.


- Ne lui obéissez pas ! Rien ne vous force à le faire… Vous tous qui désirez la liberté… Partez... Affranchissez-vous !

Il laissa éclater sa colère, bestiale et surnaturelle à la fois, et se mit à pousser un hurlement à glacer le sang. Alors que son adversaire lui portait une estocade et s'attendait à une parade, l'infernal lâcha sa propre lame et s'empala volontairement sur celle de sa meurtrière. Surprise, celle-ci n'eut pas le réflexe de s'écarter, et les griffes de l'infernal lui lacérèrent extrêmement brutalement le visage, la poitrine, les épaules, tout le buste, avec une sauvagerie telle que les brigands, qui avaient arrêté leur macabre besogne en voyant que leur tyran défaillait, pâlirent affreusement, et certains même s'évanouirent.

Puis les coups terribles de Dolgoroth faiblirent jusqu'à cesser, et il s'affaissa, emportant l'épée plantée en lui dans sa chute.

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En dépit de son jeune âge, Joséphine était une combattante réfléchie, formée depuis l’enfance aux arts martiaux et au maniement des armes. Ses anciens maîtres lui avaient appris à dépister les signes de faiblesse d’un adversaire et à les exploiter. La psychologie humaine transmettait à toute personne la volonté ferme de survivre coûte que coûte, quand bien même cela ne retardait-il que l’inévitable. Ainsi, c’était souvent dans les pires moments de détresse qu’un adversaire commettait une bourde fatidique. Dans la plupart des cas, ils baissaient leur garde pour supplier de les épargner ou alors ils tentaient de fuir. Les plus orgueilleux et les plus endurcis attaquaient souvent comme des bêtes enragées, faisant fi de leur propre défense par la perte du contrôle d’eux-mêmes. Au cours d’un affrontement, les effets la peur et de la douleur chez un homme constituaient des atouts précieux qu’un assassin de la Main de la Mort devait tirer profit.
Mais ce qui s’appliquait à un humain ne s’appliquait pas nécessairement aux races plus sombres, tels les Infernaux. Jamais Joséphine n’aurait cru que la créature sacrifierait ce qui lui restait de vie uniquement pour l’honneur d’emporter son adversaire avec lui dans la tombe. Lorsque Dolgoroth s’empala volontairement sur la lame du katana, dans le but de l’atteindre, Joséphine se figea de surprise. La fraction de seconde nécessaire à la compréhension des évènements lui coûta chère. Elle fut une fois de plus victime de sa méconnaissance de son ennemi.

Joséphine poussa un hurlement déchirant lorsque que les griffes acérées de Dolgoroth se plantèrent dans sa chair, lacérant son visage jusqu’au buste. Cinq profondes entailles sanguinolentes s’étiraient jusque sous la poitrine. Le bustier en cuir de sa combinaison se dépeça comme une feuille de papier et arracha son foulard. Une grimace horrible caricatura son visage découvert en une parodie cauchemardesque de son minois de jeune femme, attestant une sensation de souffrance indescriptible. Que l’infernal ne lui ait pas crevé l’œil en plus tenait du miracle, mais elle ne songeait pas un seul instant à en remercier la Providence. Tout son corps se crispait, résultat d’une violente contraction musculaire. Les blessures qui la tourmentaient depuis la fuite de son clan à Samothrace lui apparaissaient désormais de moindre envergure en comparaison de celles infligées par l’infernal.

L’être démoniaque s’affaissa au sol, toute trace de vie l’ayant quitté. En plus du wakisashi toujours planté entre ses omoplates, le katana resta fiché dans son abdomen, la jeune femme n’ayant pas eu la force de le retirer. Elle avait vaincu Dolgoroth le furieux, mais dans un geste désespéré, celui-ci lui fit peut-être payer le prix fort... Aussi exténuée qu'affligée, elle tomba sur ses genoux avant de s’effondrer à son tour.
Dans un bref instant de lucidité, Joséphine entendit l’écho d’une foule qui s’approchait des deux corps. Son ouïe capta des bribes de conversation sans qu’elle n’en saisisse le sens. Sa vue embrouillée distingua des silhouettes humaines autour d’elle. D'un murmure essoufflé, elle prononça un seul mot d'une voix presque inaudible:

- ... père... ...

Puis elle ferma les yeux avant de sombrer dans l’inconscience.

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Tout autour d’elle était noir, encore plus sombre que la nuit. Il n’y avait plus rien, comme si elle se retrouvait prisonnière d’un décor obscur qui s’étendait à l’infini. Des fourmillements désagréables démangeaient tout son corps, comme si un millier d’insectes voraces grignotaient sa chair. De ses plaies ouvertes et sanguinolentes, une sensation de brûlure l’assaillait. Une chaleur insupportable régnait dans ce néant qui ne ressemblait pourtant aucunement à la description de l’enfer. Couverte de sueur, ses vêtements sales lui collaient à la peau. Elle désirait bouger ses membres ankylosés, soulager les multiples maux qui la torturaient, mais son corps refusait d’obéir. Furieuse, elle hurlait son incommodité sans que personne ne vienne à sa rescousse. Seule dans le néant…


Joséphine ouvrit les yeux. Aveuglée par les rayons accueillants du soleil de midi, elle les referma aussitôt. À la recherche de l’ombre, elle détourna le visage mais son mouvement brusque déclencha une onde de souffrance dans son cou qui arrêta son geste. Elle poussa un long couinement alors que la douleur se propageait jusqu’à son visage, ainsi qu’à sa poitrine. Elle porta une main sur la zone la plus affectée, mais une poigne ferme lui agrippa le poignet.

- N’y touche pas ! commanda une voix rouée par l’âge. Tu risquerais de les ouvrir à nouveau.

La jeune femme reconnut la voix de la vieille Marthe. Celle-ci libéra son poignet lorsqu’elle obtempéra d’un léger hochement de tête. Plutôt, Joséphine déposa sa main sur son front recouvert par une compresse d’eau froide, désormais tiède. Elle ignorait où elle se trouvait, hormis qu’elle était étendue sur un très modeste lit de paille. Un drap de laine l’enveloppait. Il s’agissait toutefois d’un confort qu’elle n’avait pas goûté depuis sa fuite de la Main de la Mort.
Joséphine prit une profonde inspiration. La bouche désagréablement pâteuse, elle s’adressa à sa soignante d’une voix faible.

- Où est-ce que je suis ?

Marthe retira la compresse, la trempa dans une bassine d’eau froide puis la tordit avant d’essuyer délicatement le visage en sueur de la rouquine.

- Tu es chez moi, mon enfant. Je suis bien contente que tu sortes enfin de ton coma.
- Mon coma ? Combien de temps ais-je été inconsciente ?
- Trois jours, en comptant aujourd’hui.
- Trois jours !
s’exclama Joséphine. C’est impossible, je …
- Calme-toi, mon enfant. T’énerver ne ferait qu’empirer ton état. Ce qui compte, c’est que tu sois en sécurité, maintenant.


Joséphine poussa un long soupir. Elle connaissait le risque de rester trop longtemps au même endroit. Les assassins de la Main sillonnaient certainement les campagnes avoisinantes à sa recherche. Ils ne tarderaient pas à la rattraper si elle s’éternisait ici. En fait, elle ne comprenait pas pourquoi ils ne l’avaient pas déjà retrouvé. Cependant, elle savait avec certitude qu’elle courait un grand danger… et les gens de ce hameau également.

- Je suis désolée. Je… je dois partir.
- Certainement pas ! Tu resteras allongée ici jusqu’à ce que tu sois rétablie !


Marthe avait parlé avec une telle autorité que Joséphine n’osa pas protester. Mais elle avait la ferme intention de ne pas s’attarder ici. Il lui faudrait partir ce soir, peu importait la gravité de ses blessures.

- Je ne sais pas ce qu’il s’est passé là-bas, mais les entailles étaient profondes , continua Marthe. Tu aurais pu mourir. J’ai réussi à arrêter les saignements et j'ai recousu les plaies. Malgré ton coma, tu criais comme si les Abysses t’avalaient. Je crois bien que tu as empêché tout le village de dormir, cette nuit-là. Ensuite, j’ai appliqué un baume soignant spécial, une recette de ma famille à base de plantes. Ma mère était thaumaturge, tu savais ? Non ? Peu importe ! Avec de la chance, même les cicatrices disparaîtront. Sinon, tu devras t’habituer à vivre balafrée…

La vieille femme avait prononcé la dernière phrase sur un ton plus grave, mais Joséphine ne s’en soucia pas pour le moment. D’autres problèmes plus urgents accaparaient le fond de sa pensée. De toute façon, son mode de vie mouvementé ne lui avait jamais permis de s’intéresser à son apparence physique.

- J’ai soigné d’autres blessures plus anciennes sur ton corps. Il y en avait une plutôt vilaine sur l’abdomen. Elle refusait de guérir, comme si elle avait été plusieurs fois rouverte. Une autre à la cuisse commençait à sérieusement s’infecter. Tu devrais prendre un peu soin de toi. Peu importe ce que tu fais, tu as beaucoup de chance…

Après avoir épongé le visage, le cou et les épaules de la rouquine, Marthe déposa la compresse sur son front, après l’avoir une fois de plus plongé dans la bassine. La douceur de l’eau procura à Joséphine une sensation de fraîcheur qui lui fit un grand bien. Marthe poursuivit.

- J’ai placé tes vêtements sur la table de la cuisine. Je n’en ai jamais vu d’aussi sales ! Je sais de quoi je parle, j’ai vécu toute ma vie dans ce village. Ils étaient crasseux de poussière, couverts de sang séché et déchirés à de multiples endroits. Je les ai nettoyé et recousu.

Joséphine haussa un sourcil. Elle ne réalisa que maintenant qu’elle était complètement dévêtue sous le drap, dernier rempart contre na nudité. On l'avait également lavé. Elle rougit timidement, mais ne s’en offusqua pas. Au contraire, elle appréciait toutes ces petites attentions à son égard et s’en émouvait. De toute sa vie, jamais on ne l’avait traité ainsi.

- Merci, dit-elle timidement.
- Ne me remercie pas, mon enfant. Ce serait à nous de te remercier. Mais ne compte pas sur les gens de ce hameau pour le faire. Ils ont une drôle d’opinion de toi. Ce que tu as accompli là-bas, selon leurs dires, les a effrayé. Ils parlaient d’une ombre et d’une flamme… ma foi, j’ignore ce qu’ils veulent dire. En même temps… une femme qui porte les armes, c’est trop pour nous, petites gens que nous sommes. Ils te sont reconnaissants, j’en suis convaincue, mais ils t’éviteront.

La jeune femme hocha la tête, laissant échapper un petit soupir. Le poids de la solitude pesait lourd sur son coeur.

- Où sont mes armes ?
- Ton frère les a ramassé. Peut-être les a-t-il emporté en lieu sûr… ou il les a gardé sur lui pour les vendre… qui sait ?


Joséphine ne se préoccupa pas de ses armes. Marthe lui avait subitement rappelé son frère, ainsi que son père. Avec toutes ces histoires, elle les avait oublié. Son regard pétillant, typique de la jeunesse, arracha un petit sourire à la vieille dame.

- Mon frère… mon père ! Où sont-ils ? J’aimerais les voir.
- Tu les verras. Mais pas maintenant. Tous les deux travaillent à reconstruire notre village. Ce soir, j’irai les prévenir de ton réveil.
- Mais…
- Il n’y a pas de « mais » ! Tu dois te reposer et reprendre des forces. Hors de question de laisser des émotions de gamine détruire tout mon travail. Tu restes étendue sur ce lit de paille et tu te soignes. En plus, tu es aussi pâle que la laine d’un mouton ! Tu veux que ton père te voit dans cet état ? Essaie de regagner un peu de couleur.


Elle acquiesça sans rechigner davantage. Elle se doutait qu'une joute oratoire contre la vieille Marthe s'avérerait une défaite cuisante.

- Je dois aller chercher de l’eau au puit, puis aider à préparer le repas collectif de ce soir. Je compte sur toi pour rester ici et te tenir tranquille, mon enfant. À mon retour, j’emmènerai ton père et ton frère avec moi.
- Merci pour tout, Marthe.


Joséphine avait prononcé ces mots avec une telle sincérité que la vieille femme s’arrêta au seuil de la porte durant quelques secondes. Fixant droit devant elle d'un air troublé, elle comprit tout ce que ces gestes représentaient pour sa patiente. Marthe comprit que Joséphine n’oublierait jamais sa bonté.
Elle sortit de sa demeure, laissant l’assassin se reposer.


Dernière édition par Joséphine le Ven 11 Jan 2013 - 10:02, édité 2 fois

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Le soir, Marthe alla prévenir Albriecht et Dereck du réveil de Joséphine. Ils attendirent le lendemain pour aller la voir.

Au matin, Joséphine fut réveillée par les rayons du soleil et le fredonnement de l'ancienne. Son père arriva bientôt. Il resta longtemps dans l'embrasure de la porte, n'osant pas parler à sa fille, après tant d'années. Il fallut que la belle rousse lui disent d'entrer pour qu'il s'y risque. Le paysan n'osait pas croiser le regard de sa progéniture qu'il avait abandonnée.

Après un long silence, Joséphine, saisie par le mutisme de son père, se décida à le briser.


- Père... Parlez-moi !

- Le mérité-je, par tous les dieux ? Comment pourrais-je encore te regarder en face, après ce que j'ai fait ?

Il fit une pause.

- Je te dois des excuses, ma fille. Tu m'as sauvé alors que je t'avais vendue. Le remord m'a saisi à la gorge quand je t'ai reconnue, gisant dans la poussière de ce camp infâme. Nous avons eu de la chance, le soldat qui a pris la tête de la troupe nous a relâchés. Sinon, j'ignore ce qu'il serait advenu de nous.

Il déglutit péniblement. Il s'apprêtait visiblement à poser des questions embarrassantes.

- Qu'as-tu fait pendant tout ce temps ? Où as-tu appris à tuer des démons en devenant une ombre ? Qu’es-tu revenue faire ici ?

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- Je te dois des excuses, ma fille. Tu m'as sauvé alors que je t'avais vendue. Le remord m'a saisi à la gorge quand je t'ai reconnue, gisant dans la poussière de ce camp infâme. Nous avons eu de la chance, le soldat qui a pris la tête de la troupe nous a relâchés. Sinon, j'ignore ce qu'il serait advenu de nous.

La confession de son père émut la jeune femme qui l’écoutait, la gorge serrée par l’émotion. Du peu qu’elle connaissait de lui, elle ne l’imaginait pas faire preuve d’autant de sensibilité, même face à la situation actuelle. Son père, l’archétype de l’homme; sévère, travailleur acharné et fort. Devant sa fille, il semblait au bord des larmes et devait certainement livrer un dur combat intérieur afin de se retenir de pleurer. Ce nouveau témoignage d’affection toucha Joséphine qui à son tour ne parvenait pas à prononcer un seul mot. Durant toutes ces années où elle avait souffert de l’abandon familial, elle ne savait ni quoi penser de sa famille, ni comment elle réagirait une fois face à eux. Elle ignorait elle-même si elle leur en tenait rancune. Cependant, ils restaient sa famille et elle les aimait.
À présent, Albriecht trahissait la honte qu’il éprouvait et le remord qui lui rongeait l’âme. Le regard de l’homme croisa celui de sa fille. Elle y lu un profond regret. Il regrettait amèrement le geste qu’il avait posé quatorze années auparavant. Ébranlée, Joséphine baissa la tête.

Albriecht déglutit devant le malaise de sa fille. Déjà bouleversé par ces brusques retrouvailles, les actions de celle-ci ne passèrent pas inaperçues. Il se devait de la questionner sur son passé, peu importait la délicatesse des questions.

- Qu'as-tu fait pendant tout ce temps ? Où as-tu appris à tuer des démons en devenant une ombre ? Qu’es-tu revenue faire ici ?

Joséphine ne releva pas la tête, embarrassée. Elle n’avait pas anticipé la question. Elle se trouvait coincée dans un nouveau dilemme moral ; dire la vérité ou mentir. Joséphine détestait tout ce dont elle était devenue. Jamais elle n’avait désiré être une arme mortelle au service d’une guilde ou d’une quelconque corporation secrète. Pire encore, elle était maintenant une arme en toute liberté, probablement poursuivie par d’autres armes encore plus acérées. Elle mourrait d’envie d’en parler avec quelqu’un, de soulager ses épaules du poids d’un tel fardeau. Son père lui apparaissait comme la personne désignée.
Pourtant, même à ce jour, elle craignait de lui déplaire. Aucun parent n’éprouverait de fierté d’apprendre que son enfant est devenu un assassin surentraîné. Peut-être même la rejetterait-il. Mais la jeune femme songea également à sa condition. Si vraiment la Main de la Mort était à ses trousses, ses poursuivants chercheraient des indices partout pour lui mettre le grappin dessus. S’ils apprenaient qu’elle avait parlé de sa formation et de leur organisation, ils se montreraient impitoyables pour conserver leur secret. Sa famille et son village serait alors en danger. Elle choisit donc de mentir.

- J’ai été vendu en groupe à un riche propriétaire de Mende. En chemin, notre convoi fut attaqué par des bandits qui pillèrent la caravane et tuèrent l’escorte. Comme je n’avais que six ans, ils choisirent de me garder en vie en espérant me revendre plus tard. Mais leurs plans ont changé au fil des mois. Ils ont décidé de faire de moi l’une des leurs et m’ont initié aux maniements des armes. Mais j’en ai eu assez de cette vie. J’ai donc choisi de m’enfuir…

Elle improvisait son histoire invraisemblable au fur et à mesure. Ce qu’en pensait son père lui était égal, pour autant qu’il la croyait. Plus l’histoire l’éloignait de Samothrace et de la Main de la Mort, mieux ce serait pour tous.

- Désormais libérée d’eux, je peux enfin faire mes propres choix. Si je suis revenue ici, c’est pour vous revoir, père. Vous, ainsi que mère, mon frère et mes sœurs… Vous n’avez jamais quitté mes pensées…

Albriecht poussa un long soupir. Le vieil homme fixait ses mains ridées, n’osant pas regarder sa fille dans les yeux. Le chagrin, causé non seulement par ses retrouvailles avec sa cadette mais aussi par la mort de Cassandre, commençait à peser lourd. Joséphine crut voir une larme naître dans son œil droit.

- Parle-moi de toi, Joséphine. Parle-moi de ton passé, de ce que tu as fait. Comment as-tu vécu…
- Père…
Joséphine marqua une pause, ce serait beaucoup me demander…
- Je comprends.


L’homme se leva et fit mine de s’éloigner en direction de la porte. Consternée par son départ soudain, la rouquine releva la tête, implorant son père du regard.

- Père ! S’il vous plaît… serrez-moi dans vos bras…

Albriecht dévisagea sa fille, immobile. Pendant un instant, Joséphine crut qu’il allait refuser et quitter les lieux. Mais déterminé à rattraper le passé, il s’avança vers son enfant d’un pas décidé. Il se pencha à sa hauteur puis l’enlaça de ses bras encore vigoureux. Joséphine se blottit contre lui, une vague de bien être envahissant son corps qui lui sembla soudainement léger. Elle resta un moment dans les bras de son paternel, son visage plongé dans son épaule où elle autorisa ses émotions à s’exprimer.
Albriecht se releva à nouveau, posa une main dans la chevelure rousse de sa fille, puis se dirigea vers la sortie, prétextant une lourde journée de travail. Mais à présent, en dépit des épreuves, Joséphine se sentait sereine.

* * * * * * * * * * * * *

Dereck se tenait droit à l’entrée de la porte. Il regardait sa sœur étendue dans son lit de paille, au milieu de l’après-midi. Elle dormait. Marthe lui avait imposé une autre journée de repos complet. Il s’approcha doucement de la convalescente endormie, puis s’assied sur une chaise en bois.

- Joséphine ? Réveille-toi, ma sœur.
- Je ne dormais pas, mon frère…
murmura-t-elle les yeux fermés. Je n’arrive plus à dormir depuis longtemps.
- Je ne le dirai pas à Marthe,
dit-il sérieusement.
- Je t’en remercie.

La jeune femme se redressa puis offrit un sourire à son frère qui lui répondit d’un hochement de tête. De dix ans son aîné, ils n’avaient jamais été réellement proches. Comme l’homme ne semblait pas comment aborder la conversation avec sa sœur, Joséphine prit la parole, rompant ainsi le silence embarrassant.

- Je suis heureuse de te revoir, Dereck.
- Moi aussi, ma sœur. Je tiens à te remercier de nous avoir sauvés des griffes de ce démon. Il a tué ma femme et mon fils lors de l’attaque sur le village. Lorsque tu l’as pourfendu comme un porc, tu n’imagines pas la joie que j’ai ressentie !
- Il n’y a aucune joie à ressentir avec la mort, mon frère…
peu importe qui elle frappe. J’ai fait ce que j’ai fait par obligation, non par choix… et je suis navrée pour ta famille. Je partage ta peine.

Dereck haussa les épaules, comme indifférent à la remarque de sa sœur.

- Tu crois que tes blessures vont guérir ?
- Peut-être…
dit Joséphine, en posant instinctivement son index et son majeur sur sa joue. Marthe dit qu’avec de la chance, les cicatrices vont disparaître.
- Je l’espère pour toi.
- Que veux-tu dire ?
- Je suppose que père n’a pas osé te proposer son idée ?
- De quelle idée veux-tu parler ?
- Il voulait te proposer de rester vivre avec lui. À présent, il est seul comme tu dois t’en douter. Une femme pour l’aider lui serait d’un grand secours, même s’il s’agit de sa fille. Il serait heureux que t’accueillir sous son toit et, éventuellement, te trouver un époux.

Joséphine reçut la nouvelle comme une claque en pleine figure. Encore une fois, elle ne savait pas comment réagir à une telle annonce. La jeune femme rêvait d’une existence normale, une vie honnête. Vivre aux côtés de son père lui apparaissait comme une opportunité à saisir, une voie à redécouvrir. Elle n’avait pas songé au mariage, son parcours ne lui en avait jamais laissé entrevoir la possibilité, mais elle aurait aimé partager sa vie aux côtés d’un homme bon et travailleur. L’idée l’enchantait, mais ne faisait qu’entretenir des faux espoirs. En restant ici, elle mettait tout le village en danger. Avant longtemps, elle n’aurait jamais la paix.

- J’aimerais sincèrement accepter, Dereck. Mais c’est trop dangereux…
- Pourquoi ? Après tout, tu es libre maintenant et des bandits de grands chemins ne sont pas connus pour traquer les déserteurs. Il n’y a que l’armée qui agit ainsi… ou une quelconque corporation. [b]

Étonnée par la répartie de son frère, Joséphine resta sans voix.

[b] - Père m’a raconté ton histoire, ma sœur. Je n’en crois pas un mot. C’est impossible qu’une bande de bandits enseigne à des esclaves des techniques de combat telles que nous les avons vues la nuit où tu es apparue. De toute façon, rien ne t’empêcherait de rester ici à présent. Mais Marthe nous informe que tu sembles bien pressée de t’en aller.


Joséphine ferma les yeux. Dereck continua.

- Entre nous, dis-moi vraiment qui tu es, Joséphine.
- Je ne le peux pas.
- Pourquoi ? As-tu donc si honte de nous que tu nous juges indignes de connaître tes secrets ?
- Non Dereck,
répondit-elle doucement. J’ai honte de moi. Je n’éprouve aucune fierté à être ce que je suis car je n’ai jamais choisi de l’être. On a fait de moi quelque chose que je déteste. Le seul choix que j’ai fait, durant les 14 dernières années, pourrait aujourd’hui causer ma perte. Je ne veux pas que d’autres subissent les conséquences de mes actes.

Dereck hocha la tête, puis se releva.

- Bien, Joséphine. Je respecte ta décision. Quand comptes-tu partir ?
- Cette nuit.
- Marthe ne te le permettra pas.
- Aussi vaillante et bienveillante soit-elle, Marthe dort au milieu de la nuit.
- Puisses-tu te porter bien, ma sœur, et trouver ce que tu cherches.

Dereck s’éloigna. Alors qu’il franchissait le seuil de la porte, Joséphine l’appela une dernière fois.

- Dereck ! Qu’est-il advenu de nos sœurs ?
- Élaine habite avec son mari au cœur de la capitale impériale. Nous n’avons aucune nouvelle d’eux depuis cinq ans. Serena est décédée d’une maladie moins d’un an après que père t’ait vendu. Lydianne habite dans un village aux abords des marécages délimitant Vénopole.
- … et Arielle ?
- Arielle vit en Edhesse, en bordure des montagnes. Elle s’est mariée il y a trois ans et son mari, un marchand itinérant, l’a emmené avec lui pour s’y installer. Aucune nouvelle depuis.
- Merci pour tout, Dereck.
- Je n’ai rien fait.
- Tu t’es souvenu de moi et tu es venu à moi. C’est tout ce qui m’importe.
- Je vais passer ce soir pour te rendre tes armes,
mentionna Dereck en évitant de répondre à la remarque de sa sœur.

Joséphine resta un long moment après le départ de son frère à se remémorer sa conversation avec lui. Arielle, son étoile porte-bonheur, vivait en Edhesse, soit à l’autre bout du continent. Elle en aurait pour plusieurs mois de voyage, seulement pour se rendre dans la province. Après, il lui faudrait encore retrouver sa sœur. Songeuse, elle ne se découragea pas. Au contraire, elle sentait un vent d’euphorie l’assaillir. Un nouvel objectif était fixé.
Au beau milieu de la nuit, elle partirait. Peu importe le temps que le voyage durerait, peu importe les obstacles que le destin placerait sur son chemin, elle retrouverait sa sœur bien aimée. Quelque part en Edhesse, Arielle l’attendait.

description[Joséphine] Non loin de Samothrace, la fuite de Danse Flamme EmptyRe: [Joséphine] Non loin de Samothrace, la fuite de Danse Flamme

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