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La calèche s'engagea sur la place de l'obélisque, marquant le début de la Rampe Céleste conduisant vers le palais du Basileus. Les chevaux commencèrent l'ascension de la douce pente de marbre blanc menant droit vers le centre du pouvoir Ald'Rhunais. Le soleil déclinant s'éteignait vers l'Ouest, emmenant avec lui les chaleurs d'une journée d'été sans nuages.
A bord de la calèche, Millus, le Basileus, regardait vaguement le port de sa Cité. Ses yeux voyaient sans réellement voir, en réalité. Tout comme pour ses concitoyens, c'était la morosité qui s'était installée sur la ville. Ils la combattaient tous, sans totalement réussir à s'en défaire... Tout avait débuté avec la disparition de la comtesse Ianoss d'Ald'Rhune. Cette perte avait provoquée une profonde tristesse parmi la population. Millus avait même eu du mal à digérer ce que la missive annonçant la tragique nouvelle lui livrait, noir sur blanc. Il connaissait personnellement la comtesse. C'était une femme de bien. Jolie, jeune, pleine de vie, de compassion, d'empathie, de sagesse et d'espoir. Un rayon de soleil dans une journée de pluie. Un arc-en-ciel sur un horizon noir d'orages. La perle d'Ald'Rhune. Ce que la Cité pouvait offrir de mieux au reste du monde...
Les circonstances étaient troubles. D'après les informations, une tempête avait provoquée le naufrage de la frégate Hylvië au large des côtes de Naxopole. La comtesse, en sa qualité de palatine doublée de personnage impérial influent, avait entreprit un voyage diplomatique loin de chez elle. Et alors qu'elle allait atteindre le but du voyage, la tempête avait emportée son navire comme un fétu de paille. Les restes de la frégate consulaire avaient été repêchés en même temps que les hommes composant son équipage. A l'exception de la vingtaine de disparus, dont parmi eux, la comtesse.
Le Contarque avait aussitôt dépêché une escadre pour patrouiller dans les eaux du naufrage, sans rien trouver pendant deux mois. Le capitaine De Jolett avait participé aux recherches, apportant sa précieuse expertise à l'amirale Amelia Neraï. L'ancien capitaine de la Hylvië savait pour ainsi dire précisément où son navire avait fait naufrage. Mais l'exactitude de son positionnement n'avait pas aidé à retrouver qui que ce soit. Pas même un corps...
La nouvelle de la présumée mort d'Hélèna Ianoss avait abattu la population d'Ald'Rhune. Mais dans cette tristesse et cette morosité, était apparu une lueur de beauté. La Cité tout entière s'était mobilisée pour faire à cette jeune femme des funérailles nationales. La cérémonie s'était déroulée sur une semaine, durant laquelle les citoyens ald'rhunais, les ressortissants prévèziens, les représentants de plusieurs nations vinrent se recueillir...
Les artistes de la Cité portuaire travaillèrent ensemble à l'achèvement d'une statue de marbre blanc d'une grande pureté représentant la jeune femme, debout dans une robe drapée, tenant dans l'un de ses bras un bouquet de fleurs et dans l'autre une colombe. Le visage de la statue, orienté vers l'Ouest, gratifiait le visiteur d'un sourire doux, accueillant et rassurant comme seule la jeune femme pouvait en donner. Ses yeux, fermés, comme apaisés, donnaient à ce visage figé une impression de grande sérénité. L'impression que quoiqu'il puisse arriver, tout se passerait bien.
La statue, haute de trois mètres au sommet de la Rampe Céleste, trônait sur un petit piédestal plat sur lequel on pouvait trouver une plaque en bronze. Sur cette dernière pouvait-on lire: "En mémoire de la Comtesse Hélèna Ianoss d'Ald'Rhune. Puisse-tu trouver la paix que tu as propagée sur cette terre. Nous ne t'oublierons jamais."
La calèche de Millus passa devant la statue, plantée devant le palais et encadrée d'un parterre de somptueuses roses rouges. Ces fleurs, plus que toutes les autres, étincelaient de couleur et de santé, signe d'un entretien vigilant et soigné. Le jardinier du palais, que rares ici pouvaient apercevoir, avait été l'un des proches de la comtesse. C'était là sa façon de remercier la petite fille qui déjà à l'époque explorait le monde en quête de connaissance et d'harmonie lorsqu'elle se promenait dans les jardins du palais...
Le Basileus quitta son moyen de transport et entreprit d'entrer dans le palais. Il s'arrêta un instant pour se tourner vers la statue. Il l'observa une seconde avant de reprendre sa route, se dirigeant droit vers ses appartements.
Alors qu'il allait toucher au but, c'est avec étonnement qu'il constata la présence des membres de l'escouade Delta dans le couloir devant la porte de son bureau. Il leva un sourcil, curieux. Les soldats d'élite se mirent au garde-à-vous, lui laissant place pour pénétrer dans son bureau.
Nouvelle surprise, dans ledit bureau se tenaient le Contarque, Naal Aldrinn, le commandant de l'escouade Delta des Sabres et un officier des Nuntius de grade 10 du nom d'Onasi. Tout les trois se levèrent et saluèrent le Basileus alors qu'il rejoignait le siège de son bureau. Millus les salua à son tour avant de leur faire signe de s'assoir et de lier le geste à la parole.
-Bien, messieurs, que puis-je pour vous en cette belle soirée?
C'est l'officier Onasi qui répondit:
-Monsieur, nous avons reçu un message pour le moins inattendu. Le voici. Dit-il en sortant de sa poche un petit tube métallique fermé par un bouchon vissé et en le tendant au chef civil de la Cité.
Millus leva à nouveau un sourcil en s'en saisissant. Il dévissa le bouchon et en sorti le papier velin. Il le déroula et reconnu la signature et le cachet d'un comptoir de la CMA. Apparemment, celui de Mésolon. Il entreprit alors d'en faire la lecture à voix haute:
À: palais du Basileus, Basileus Millus. De: Comptoir CMA de Mésolon, administrateur L. Aënon.
Monsieur,J'ai par la présente, l'honneur de vous annoncer la possible survie de la comtesse Hélèna Ianoss d'Ald'Rhune, palatine de Prévèze, portée disparue voici plusieurs mois au large de Naxopole.Selon mes sources, une jeune femme correspondant au signalement de la comtesse mais souffrant d'une amnésie partielle aurait été recueillie par un pêcheur de la côte de Mésomnon après qu'elle eut errée longuement le long du rivage. Plusieurs indices me prêtent à penser que cette jeune femme est belle et bien notre ambassadrice. Toutefois, je recommande l'envoi urgent de proches pour à la fois éveiller sa mémoire et s'assurer véritablement de son identité.Attendant de plus amples instructions, je vous prie d'agréer l'expression de mes sentiments les meilleurs.Administrateur Liam Aënon, comptoir CMA de Mésolon, Mésomnon.
Millus s'enfonça soudain dans son siège, éberlué. Le Contarque manqua de s'étouffer. Le visage de l'officier Aldrinn s'éclaira soudain comme jamais. Seul l'officier Onasi, qui avait lui même déjà lu la lettre, resta pour ainsi dire de marbre. Si un simple sourire esquissé pouvait néanmoins être considéré comme insignifiant face aux réactions des autres personnes présentes dans la pièce...
-C'est... c'est...
-C'est formidable!
-La Comtesse... En vie!
-Monsieur, je demande l'autorisation de partir pour Mésolon dans la nuit.
Le Basileus n'arrivait pas à s'en remettre. Il entendit la proposition de l'officier Aldrinn sans vraiment l'entendre, comme sonné.
-Hein? ...Oui, oui, cela va de soi. Vous étiez son escouade préférée, Delta. Si quelqu'un peut la reconnaitre, c'est sans doute vous. Ne faisons pas de fausse joie à sa famille. Kahn a beau ne pas le montrer, je sais qu'il ne parvient pas à se faire à la perte de sa fille. Alors si nous venions à répandre la nouvelle et qu'elle s'avérait infondée, imaginez l'effet que cela aurait. Non seulement sur lui mais sur l'ensemble de la population...
Le Contarque prit une inspiration et ajouta:
-Mieux vaut que ce soit vous, Aldrinn, qui vous vous en chargiez. Agissez en toute discrétion. Dès à présent, silence absolu sur cette affaire jusqu'à confirmation. C'est clair?
-Oui monsieur.
-Bien, officier Aldrinn, allez prévenir vos hommes. Secret absolu et départ dans une heure. Vous aurez vos ordres de mission, à lire qu'une fois en route.
-Oui monsieur. Nous serons prêts.