Les lieux étaient parfaits pour ce à quoi ils étaient destinés. Une plage de sable, sans récif, faisait de l'endroit un parfait débarcadère. Un petite colline, ou serait probablement construite la place forte, s'élevait à quelques centaines de mètres de la mer. La journée était ensoleillée, et l'on voyait au loin les côtes de Thassopole. Il y avait une petite forêt à proximité, qui permettrait d'acheminer rapidement du bois, si cette ressource manquait. Les cavernes gobelines étaient loin et les tribus ne revendiquaient pas ces terres. Oui, vraiment, Aquilodon jalousait Aedric, qui viendrait ici sous peu. Derrière le géant, la caravane des ouvriers et des guerriers avançaient péniblement. Dans des calèches, l'architecte en chef commençait les plans de la citadelle. Il espérait fortement recevoir de la main-d'oeuvre sous peu. Les matériaux de base, en faible quantité car les premiers travaux seraient de créer les fondations, suivaient au loin, transportés dans des chariots escortés. La nuit tomba rapidement. Les mouettes retournèrent se nicher dans leur nid et Aquilodon ordonna que l'on mette les chariots en cercle. On monta quelques tentes pour les notables, on fit un grand feu et cent trente-neuf voix s'élevèrent pour prier l'Equilibre. Aquilodon commença, faisant rouler sa voix grave sur les flots qui s'écrasaient mollement sur le sable. Les guerriers suivirent, déchaînant le serein tonnerre des voix. Puis ce fut au tour des premières femmes, qui chantèrent de leur voix cristallines, qu'elles soient orques, géantes, gobelines ou autres. Les sons merveilleusement mêlés attirèrent les célestiaux de Zakinthe, qui vivaient depuis toujours sur la côte, ne se souciant pas des lois promulguées par le Palatinat.
Un grand Célestial, qui avait surement du sang géant, car il était immense, se posa silencieusement près des chanteurs, suivit par d'autres créatures ailées. Ils écoutèrent, la joie dans le regard, le chant de l'Equilibre. Quand le Prophète se tut enfin, suivit par ses disciples, le grand ange s'approcha de lui. Il était vêtu d'une simple tunique, et ses compagnons, au nombre de quatre, ne portait que des pagnes. De longs couteaux y étaient accrochés. Quand il parla, on sentit immédiatement son charisme parmi la foule, malgré le fait qu'il parla en Célestial. Seuls quelques uns comprirent, dont le Prophète, qui avait appris les langues de tous ses sujets.
- Soyez le bienvenu, ô Chanteur de merveilles. Je ne connais ni votre visage, ni votre nom. Le mien est Jagdal Manacim, maître de ces lieux.
Aquilodon salua en esquissant un sourire, la main sur la poitrine, et répondit en Célestial.
- Je suis Aquilodon, le guide de la tribu de Ménéxène. On m'appelle le Prophète, car je suis celui qui apporte la parole de l'Equilibre aux mortels. Soyez le bienvenu en notre modeste campement, Jagdal Manacim.
Le visage de Manacim s'éclaira quand il entendit sa langue lui répondre. Aquilodon... il connaissait ce nom. N'était-ce pas celui qui tenait les rênes des terres de Zakinthe ? Probablement, si. Que venait-il faire avec tant d'hommes et de femmes sur les territoires ancestraux des célestiaux ?
- Qu'est-ce qui vous amène en nos terres maritimes, Aquilodon de Ménéxène ? Le reste des territoires de Zakinthe n'est-il pas assez spacieux pour un être tel que vous ?
Aquilodon fronça les sourcils. Etait-ce un sarcasme ou bien une incompréhension de sa part ? En tous cas, ce Manacim n'était pas tellement heureux que des étrangers s'avancent sur ses territoires. Mais ils étaient maintenant la propriété de Thassopole, que le Célestial le veuille ou non.
- En effet, maître Manacim. J'ai eu vent de votre existence, et je suis venu reprendre les terres de Zakinthe. Vous devez vous conformer aux lois palatinales si vous désirez rester.
Le géant jouait gros. Soit Jagdal gobait son histoire et rejoignait l'Equilibre, jurant du même coup obéissance à Aquilodon, soit il resisterait et serait éliminé. Les quatre autres célestiaux mourraient avant d'avoir pu réagir, et les Ménéxens auraient le temps de préparer leurs défenses.
- Est-ce une plaisanterie, Prophète ? Ces terres sont nôtres, et nous sommes indépendants de votre autorité depuis toujours. Cependant, je serai d'accord pour vous prêter ma fidélité si vous m'enseignez ce chant.
L'ignorance du Célestial aidait bien Aquilodon ! Non seulement il voulait bien le rejoindre, mais il voulait de lui même devenir un Servant de l'Equilibre. Qu'à cela ne tienne, Jagdal Manacim apprendrait le chant sacré, et laisserait à Thassopole ses terres. Il deviendrait un Ménexen et servirait le Prophète. Les Célestiaux pourraient être de précieux atouts dans les combats et dans la diplomatie.
- Soit, Jagdal Manacim ! Vous jurez de prêter serment à l'Equilibre si je vous apprends son chant sacré ? Vous me laisserez construire ici une grande cité ?
- Je dois consulter mes conseillers. Mon domaine se trouve non loin d'ici, à une centaine de battements d'ailes. Je vais leur demander conseil, puis je reviendrai vous voir à l'aube. Que la nuit vous soit douce.
Jagdal Manacim salua le Prophète et s'envola avec ses quatre compagnons qui n'avaient dit mot, sans attendre que le géant réponde. On organisa des tours de gardes et la nuit se déroula comme prévue.
[Le lendemain...]
Le jour se leva sur les Ménéxens émergeant d'un profond sommeil. L'heure n'étaient plus aux chants et aux rires. Ils devaient commencer le travail. Cependant, le Prophète semblait soucieux, et fixait sans cesse le ciel. Ce n'est que lorsque le soleil fut bien haut qu'on vit au loin s'avancer une dizaine de silhouette ailées et humanoïdes. Les Célestiaux revenaient, et plus nombreux. Les gardes Ménéxens se rassemblèrent autour d'Aquilodon, le protégeant d'une éventuelle attaque aérienne. Cinq Célestiaux se posèrent doucement, leur visage n'exprimant aucune émotion autre que le dédain, alors qu'ils n'étaient vêtus que de pagnes. Puis le seigneur Manacim atterit, l'air grave, encadré de cinq autres anges. Avant que quiconque ait pu faire un geste, il avait pointé une épée sur le Prophète, en signe de défi.
- Le Conseil de notre clan a décidé qu'un combat devait nous opposer. Le vainqueur aurait tous droits sur la tribu du vaincu. Cependant, ne vous attendez pas à la docilité de leur part si je perds. Maintenant, battez-vous, et que la mort emporte l'un de nous.
Ne disant rien de plus, Jagdal Manacim passa à l'attaque, obligeant Aquilodon, qui n'avait pas encore saisi la Claymore à rouler sur le côté. Un des guerriers Ménéxens s'interposa et mourut. Le Prophète prit l'arme dans son dos et se redressa, faisant face au Célestial menaçant. Tel un dieu de la guerre, Jagdal Manacim était le calme, la puissance, la beauté, la force et l'efficacité incarnés. Il masquait le soleil de ses ailes immaculées, et la lumière ainsi amplifiée éblouit le Palatin de Zakinthe.
Aquilodon se reprit et para justa à temps le coup du Célestial qui fondait sur lui. Il pointa la Claymore vers son adversaire qui s'élevait de nouveau, et un trait de flammes jaillit, atteignant Manacim à la poitrine. L'onde de choc le précipita au sol, des flammeroles dansant autour de sa cuirasse légère qui, trouée, laissait paraître la peau calcinée de son torse. Alors que le Prophète s'avançait pour montrer sa victoire, les dix autres celestiaux dégainèrent et le plus musclé parla.
- Très bien, géant. Vous nous avez montré que vous n'avez pas d'honneur. Nous allons donc jouer à votre jeu. Préparez vous à sentir notre vengeance.
Aquilodon pointa sa main vers le ciel et cria des incantations. Un épais brouillard tomba soudain sur les lieux, aveuglant tous et toutes, sauf le Prophète, qui s'avança silencieusement vers Manacim alors que les jurons des célestiaux et des Ménéxens fusaient de toutes parts. Le géant hissa le Célestial sur ses épaules, et courut vers la colline, ployant sous le poids de l'être ailé. Jagdar vivait encore, et son coeur battait à tout rompre, tentant de conserver toutes les fonctions vitales. Le Prophète voulait le chef des êtres ailés en vie. Le brouillard se maintiendra pendant une bonne trentaine de minutes encore. L'ex-shaman avait le temps, et il se félicita de ne pas avoir renoncé à son art. Arrivé sur le monticule, il entendit le bruit des combats qui débutaient dans la brume, plus bas. Puis il vit un des Célestiaux jaillir du nuage pour observer les lanetours, à sa recherche. Bien sûr, le Prophète avait pris soin de se tenir encore sous la protection de son sortilège-clé. Il allongea Manacim sur le sol, ailes repliées, lui retira sa cuirasse, lui lança un petit sortilège de paralysie et appliqua ses paumes sur la brûlure critique. La peau se reconstitua un peu, et Aquilodon gifla le Célestial pour qu'il reprenne conscience. Celui-ci grimaça lorsqu'il revint à lui, et s'aperçut qu'il ne pouvait bouger. Sûr de son pouvoir, le Prophète parla.
- Ainsi je t'ai vaincu, Jagdar Manacim. Je ne te tuerai pas si tu me garanties que tes frères me prêteront serment d'allégeance, tout comme tu vas le faire maintenant. Je vous apprendrai le chant de l'Equilibre.
- Tu es fort, Aquilodon de Ménéxène, dit l'être avec respect. Libère moi et je te prouverai que je ne suis pas ingrat.
- Jure sur tous les dieux que tu ne trahiras pas.
- Je jure.
Aquilodon leva le sortilège de paralysie. Manacim s'envola aussitôt. Le Prophète le maudit et lui lança des menaces, dont le Célestial ne sembla pas se soucier. Il marcha jusqu'à la pente et regarda la bataille qui se déroulait en dessous. Deux Célestiaux gisaient, blessés, et trois orques se mouraient dans une mare de sang, tués par les lames des anges. Le Prophète vit Manacim rejoindre ses pairs, mais soudain, le combat cessa. Aquilodon ne comprit que lorsqu'il vit Jagdal parler à ses huit hommes indemnes. Il avait donc tenu parole. Le géant leva le brouillard, et laissa le soleil reprendre possession des alentours de la plage. Puis il dévala la colline et sentit la colère l'envahir quand seul Manacim s'agenouilla devant lui. Les ouvriers Ménéxens s'étaient réfugiés dans leurs tentes montées dans la matinée. Les huit Célestiaux toisèrent les géants, les ogres et les orques encore debouts. Le Prophète cracha au visage du musclé qui l'avait menacé. Ce dernier s'essuya calmement le visage, affichant un air méprisant. Manacim sembla ne pas se soucier de cet échange et prit le parole, parlant pour la première fois en impérial.
- Je jure sur tous les dieux de Sderoth, terre de Kalamaï, que je servirai Aquilodon de Ménéxène, Prophète de l'Equilibre, jusqu'à ce qu'il me délie ou que la mort me prenne.
Aquilodon fit signe à Jagdar qu'il était maintenant son vassal.
- Jagdar Manacim, ordonne à tes huit hommes rebelles de se rendre pour qu'ils soient jugés.
Les huit célestiaux s'avancèrent, retenant leur hilarité. Mal leur en prit. Aquilodon en décapita deux d'un coup, et les autres furent neutraliser rapidement par les géants et les ogres, puis poignardés. On acheva les deux blessés. Les larmes coulèrent des yeux de Manacim, mais il se tint droit, conscient qu'il devait maintenant obéir à son maître. Aquilodon se réjouit de voir que Jagdal avait un sens de l'honneur à toute épreuve.
- Maintenant, Jagdal Manacim, tu vas me conduire, mes hommes et moi, à ton clan. A eux, nous ne ferons aucun mal, excepté aux membres du conseil, pour ne rien te cacher.
- Bien, maître.
Il ne marchèrent qu'une dizaine de minutes, et l'affaire fut vite réglée. Les membres du conseil furent exécutés et les vingt autres Célestiaux, femmes et enfants compris, jurèrent fidélité au Prophète. Le soir même, alors que les ouvriers Ménéxens commençait la construction des tombes des célestiaux et des orques morts, Jagdal Manacim signa un traité comme quoi il abandonnait ses terres au Palatinat de Zakinthe, et qu'il devrait, à partir de ce jour, lui comme ses descendants, fidélité au chef de Ménéxène. Un groupe de cinq Célestiaux mâles s'enfuit cependant dans la nuit, mais Aquilodon n'en tint pas compte. Il commença à initier Jagdal aux principes de l'Equilibre, et en fit son deuxième disciple.
Dès le lendemain, on commença pour de bon la construction de l'enclave. L'ambassade de Zakinthe dans l'enclave fut achevée en une journée. Le deuxième jour, les renforts envoyés par Hufat arrivèrent avec la première livraison de pierre venue de la forêt frontalière entre Maon et Zakinthe. Ils repartirent le lendemain, mais les fondations commencèrent à s'établir un peu partout. Le second bâtiment fut un petit temple de Brak, créé durant la seconde semaine. De lourds piliers supportait un fronton assez monumental. Une arche sous laquelle une grande porte en bois de hêtre avait été installée marquait l'entrée du sanctuaire. L'intérieur était sobre, car c'était à Thassopole de financer la décoration. La statue monumentale du dieu de la force commença à être sculptée par des artisans venus d'Arthandre durant la première semaine, et qui espérait en faire le chef d'oeuvre de leur vie. Très vite, des maisons de pierre virent le jour, et des ouvriers vinrent en masse de Tanbukdra, le territoire de Targaf la Moitié, pour amener le nombre de travailleurs à environ sept-cents. A la fin du mois, un véritable village de pierre avait été érigé, ayant pour centre la colline où les fondations du château commençaient à être creusé, sous la direction de l'architecte-en-chef, qui avait recruté cinq nouveaux architectes et trois autres maîtres-maçons, des marchands nains qui avait travaillé dans la construction des grands temples. Il y avait même un humain, ancien bâtisseur de navire, qui excellait dans le calcul des forces et des résistances des matériaux qui servait de second architecte. Il venait de Thassopole, d'où il avait été chassé pour avoir caché un hors-la-loi. Son nom était Odral Faren, et il avait amené tout un équipage avec son navire, prêt à défendre le site de l'enclave.
En cette fin de mois, alors que sept cents ouvriers s'activaient sur un chantier à l'avancement rapide, Aquilodon était satisfait. Il savait qu'en rentrant à Arthandre, il commencerait des travaux de ce genre dans la ville de tentes. Et que la cité de l'enclave, qu'il avait nommé Dunamopole, la "ville de la force", serait sa rivale.
Durant la troisième semaine après le début de la construction, une missive du Palatin Xanis de Mésomnon arriva, convoquant Aquilodon à la Cité Blanche d'Orchomène, ainsi que ses confrères Palatins.
" Mes respectueux confrères,
Malgré les apparences de mes précédents actes de par cet empire, c'est animé d'une grande force et avec détermination que je veux oeuvrer pour la paix et la prospérité de notre Empire. Et si ce pli vous parvient, c'est parce que je pense que nous avons cet idéal en commun.
Toutefois, il n'est pas l'heure de se voiler la face et il est temps de reconnaître que Kalamaï court de multiples de risques -que ce soit de guerre d'indépendance, d'invasion ou toute autre chose- et je vous propose de trouver une solution à une bonne partie de ceux-ci conjointement et en parfaite harmonie.
Afin de discuter de nos possibilité et de marquer ou non votre accord aux propositions cités, je me permets de vous inviter au palais de la Cité Blanche en Orchomène, où vous et votre délégation serez obligeamment reçus.
Naturellement, je me doute que votre confiance en moi ne peut qu'être limitée après les coups d'éclats qui ont déjà retenti de mes actes, aussi je ne serais en rien offusqué et vous décidez de vous faire accompagner d'une troupe de garde et elle sera bien évidemment nourrie logée par les armées de la province.
En attente de votre réponse que j'espère positive et d'une date qui vous conviendrais, je vous salue respectueusement.
Xanis, Patriarche de Draziva et premier Palatin de Mésomnon l'Unie. "
Aquilodon répondit dès la réception. Ce Xanis faisait les propositions classiques, mais Aquilodon se devait de faire revenir Zakinthe sur le devant de la scène politique. Aussi décida-t-il de se rendre à Orchomène, afin d'en apprendre plus sur les autres Provinces et Palatins, particulièrement sur Héléna et Prévèze.
"Sire Xanis,
Je suis flatté de votre invitation, car vous ne semblez pas nous considérer comme des barbares sans éducation. Vous réjouissez nos coeurs.
Aussi, je me dois de vous répondre avec courtoisie.
Je vais bientôt rencontrer le Palatin de Thassopole, le seigneur Aedric Von Seviand, dans la nouvelle enclave de Thassopole, ici, dans les terres de Zakinthe. Peut-être n'aura-t-il pas reçu votre invitation. Je le préviendrait en votre nom, et peut-être viendrons-nous ensemble à votre conclave.
Cependant, sachez que mes compagnons de route sont étranges, et l'un des deux qui m'accompagneront probablement est un Basilic, dompté bien sûr, mais qui peut choquer bien des gens. Je ne peux me permettre de le laisser en Zakinthe, car il pourrait provoquer de lourds dégâts. Je me vois donc dans l'obligation, si je dois venir en personne, car je n'ai plus de délégué à envoyer, excepté Jagdal Manacim, le Célestial qui vient de rejoindre les terres de Zakinthe. Cependant, je ne lui fait pas encore confiance, aussi faudra-t-il s'habituer à la présence du reptile, Ukrimos.
Pour ce qui est d'une date, sachez que je ne pourrais débuter mon voyage vers Mésomnon que dans une demi-lune à partir du moment où vous recevrez cette missive.
Je vous prie de bien vouloir m'excuser de ma conversation par trop familière et je vous souhaite une agréable continuation, jusqu'à notre probable rencontre.
Prophète Aquilodon de Ménéxène, Palatin de Zakinthe. "
Dernière édition par Aquilodon le Dim 1 Aoû 2010 - 20:41, édité 2 fois