Les sentinelles avaient laissé Xéénothée aux portes de la cité, gigantesque Infernal dans son long manteau noir. Il franchit l'entrée monumentale et avisa le décor qui s'étala autour de lui. Des groupes de badauds marchaient dans la rue, et accéléraient quand ils passaient devant l'Etranger, lui jetant des regards furtifs et apeurés. Un charetier jura quand il s'aperçut que Xéénothée lui barrait la route, trop occupé à observer les alentours.

- Bouge de là, relent de merde ! J'ai un chargement à amener au Palatinat.

L'Etranger se retourna en souriant, sans pour autant s'écarter. Il avisa celui qui l'avait insulté. Enfin, il allait pouvoir se servir de ses yeux. Cela faisait si longtemps. L'homme était maigre, et paraissait plus vieux qu'il ne l'était, sans doute usé par les voyages et la faim. Ses vêtements étaient sales mais semblaient quasiment neufs. Il ne portait qu'une tunique, un pantalon, et des bottes à semelles cloutées, chose rare et chère. Une épée pendait à son côté, et deux hommes suivaient la charrue, comme l'escortant. Parfait, se dit l'Etranger. Trois hommes ne seraient pas de trop pour se refaire la main.

Il les laissa passer, et les suivit discrètement, jusqu'à ce qu'ils s'engagent dans une ruelle où nul ne passait. Excepté trois brigands. Xéénothée se retint d'éclater de rire, tant la situation lui parut drôle. Alors que le charetier refusait de céder son véhicule aux trois hommes, ses deux gardes se jetèrent sur les détrousseurs et le combat s'engagea. Xéénothée profita de la confusion pour monter discrètement sur la charette et attraper le conducteur par les cheveux, en lui plaquant la main sur la bouche. Lui renversant la tête en arrière, il découvrit avec satisfaction la terreur sur le visage de son otage. Il éclata de rire pour de bon, cette fois, et lui planta son regard dans le sien. La dernière chose que le charetier vit avant de sombrer dans l'inconscience, la cécité et la folie fut deux yeux magnifiques, de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel, avec la pupille la plus sombre de l'univers. Si sombre...

Devant la charette, les deux gardes avaient abattu un des trois brigands, mais ses deux compagnons semblaient plus doués. Ils échangeaient des bottes, mais aucun ne parvenaient à passer la garde de son adversaire respectif. Personne ne semblait avoir remarqué l'éclat de rire de Xéénothée. L'Etranger, abandonnant sur le bord de la route sa première victime, attira l'attention sur lui, dans l'espoir d'affronter les quatre hommes en même temps, en mettant la charette en branle.

Les quatre hommes, voyant ce qu'il convoitait au main d'une tierce puissance, s'allièrent pour attaquer le nouveau venu. Xéénothée rabattit la capuche de son manteau sur son dos, dévoilant à tous ses yeux. Il ne cherca cependant pas à croiser le regard de ses ennemis, car il voulait faire durer le plaisir. Il sauta à terre en jubilant, et incanta un sort dans une langue inconnue. Une membrane verte et translucide se forma autour de lui. Traçant des signes dans la poussière, alors que ses quatre ennemis se demandaient s'ils devaient fuir ou non, l'Etranger invoqua deux familiers, et les fit se jeter sur l'alliance ridicule. Voyant les créatures courtes sur pattes, les hommes se mirent en garde, prêts à les cueillir à grands coups de lames. Les familiers firent un écart pour éviter les coups s'abattant sur eux, puis se jetèrent chacun sur le visage d'une de leurs cibles. L'Etranger passa lui-même à l'attaque, faisant jouer ses quatre poings, deux sur chaque homme restant. Les familiers se repurent des cervelles de ceux qu'ils avaient attaqués avec des bruits répugnants de succion et des soupirs d'aise, tandis que Xéénothée assomait avec joie les deux hommes, l'un grâce à ses mains, l'autre grâce à ses yeux. Puis il acheva tout le monde, même le charetier, et conjura les deux petits démons en plein festin, qui l'injurièrent.

Se concentrant, l'Etranger prit l'apparence du charetier, et se vêtit de ses habits. Puis il prit le contrôle de la charette et se dirigea vers le Palatinat, avec la satisfaction du travail bien fait.

Xéénothée aimait l'improvisation et l'imprévu. Il ne faisait jamais de plan avant de passer à l'action, car même le plan le plus élaboré s'effondrait au moindre grain de sable s'insérant dans ses rouages, à son avis.