Fort Sisnol - Aide Requise

Précédemment:

Depuis sa rencontre avec l’orc Grinka, Shog semblait différent. Bien qu’il parlât toujours aussi peu, il couinait moins. Son comportement était moins craintif qu’avant. Et, il y avait toujours cette lueur étrange dans son regard.

Durant les deux jours de marche, peu de mots furent échangés. Le gobelin traîna un peu la patte en raison du rythme soutenu pour lui. Cependant, il ne geignit point à l’étonnement des minotaures. Mais, il poussa un soupir de soulagement lorsque le Fort fut en vue.

Fort Sisnol. Magnifique bâtiment purement défensif. Ouvrage de maçonnerie imposant. Il semblait grandir à mesure que la compagnie s’en rapprochait. Ils purent enfin voir clairement la monumentale entrée. Les lourdes portes étaient ouvertes et la herse relevée. Deux tours rondes encerclaient et défendaient cet accès.

Bloquant l’entrée, deux soldats en faction les arrêtèrent. Le passage fut autorisé lorsque l’Ardonien déclina son identité et déclara la raison de sa venue. Le groupe s’avança donc.

L’ouvrage rappela aux minotaures ce qu’était l’humilité lorsqu’ils passèrent sous l’arche en pierre d’où perçaient les pointes de la herse. Shog retint son réflexe de recroquevillement et parvint à se maintenir que seulement voûté.

Ils se retrouvèrent tous dans une cour ouverte aux vents, heureusement cléments pour le moment. La sensation d’espace, de liberté tranchait avec celle d’enfermement et d’étroitesse des portes. Exhyl observa les alentours et vit au loin les écuries, puis plus proche ce qui paraissait être l’entrée de la caserne dont un petit groupe de soldat sortait pour supposément s’entraîner au maniement des armes. Le minotaure put même sentir l’odeur agréable du pain chaud, une réminiscence olfactive de la tournée matinale.

Là, un soldat fut dépêché pour les mener au commandant de la garnison. Un petit nuage de poussière se soulevait à chacun de leurs pas. Et, cette poudre terreuse et rocailleuse se collait aux jambes, rajoutant une couche de saleté à celle qu’ils avaient récoltée au cours de leur périple. Leur guide les fit traverser la cour pour se diriger vers le bâtiment face aux grandes portes.

Il s’agissait selon toute vraisemblance d’une salle d’audience sobrement décorée. Des bannières aux couleurs de l’empire pendaient aux murs. Un vieux tapis qui naguère dû être rouge conduisait jusqu’en haut de la demi-douzaine de marches au sommet desquelles trônait un siège fatigué et fort peu usité. Il y avait longtemps qu’elle ne servait plus, mais par respect les actuels maîtres du fort avaient dû décider de garder la salle dans son état originel.

Le soldat prit immédiatement à gauche après être rentré. Il les conduisit par une petite porte transversale, fit passer par un couloir longeant la grande salle, monter des escaliers, traverser un nouveau couloir pour enfin s’arrêter devant une porte quelconque. Le fantassin toqua, attendit une réponse, entra puis annonça les arrivants.

L’Ardonien entra en premier, suivit par les deux minotaures puis le gobelin. Les consciences suivaient toujours mais personne ne fit attention à elles car le seul pouvant les voir les ignorait totalement pour l’instant du moins.

Assis derrière son bureau, le capitaine du Fort Sisnol avait le visage dissimulé derrière un large mouchoir blanc. Il salua l'entrée des quatre voyageurs en se mouchant bruyamment, faisant sortir de son nez rougi le son hurleur d'une trompette de guerre.

- Ah, s'écria-t-il ! Des bidotaures ! J'aurai pu b'en douter, il d'y a que des bidotaures dans le coin.

Un homme lui faisait face, qui portait sur les bras les insignes de la Corporation des combattants. Derrière lui, en retrait, deux minotaures et un gobelin se tenaient un pas en arrière, l'air intimidé, attendant que l'humain à la cape somptueuse s'exprime à leur place.

- Qu'est-ce qui vous abède ici ? Dous recevons peu de visites dans ce Fort et je suppose que votre présence est causée par une affaire d'importance... AAAAAAAAAAATCHAAAAAAA !

Après son éternuement sonore, le capitaine essuya la morve qui s'écoulait de son nez meurtri et cramoisi par les mouchages à répétition.

- Pardoddez-boi ! Je viens du dord et je suis affecté depuis peu en Zakinthe. Et il se trouve que je souffre d'ude forte allergie aux polleds. Dous sobbes à la frontière des bois et ce satadé rhube des foins de be lâche pas depuis que je suis arrivé. Que puis-je faire pour vous ?

Exhyl ne semblait pas vouloir agir, et le gobelin était redevenu timide. Soupirant, L'Ardonien tendit une main vers le minotaure qui lui remis la lettre.
L'objet en sa possession, il s'avança alors vers le capitaine du fort.

Une affaire importante en effet et décrite dans ce message. Un palatin fait le malin et la corporation des combattants vous demande d'agir.

Le guerrier donna la lettre au capitaine.

Notre mission s'achève ici, nous devions seulement vous remettre ce message. A présent, nous allons vous laisser et prendre congé.

Et sur ces mots, L'Ardonien tourna les talons et se dirigea vers la sortie.

Avant que l’homme ne soit sorti, le capitaine se leva d’un bond et héla :

- Un bobent, bessieurs, un bobent !

Il déposa son mouchoir sur son bureau, saisit la lettre et la lut.

Spoiler:

Il la laissa tomber sur le plateau de bois et eut un sourire.

- Ah, ce cher Ploucordu ! Dous avons cobbencé ensemble… Il a bieux réussi que boi ! Et surtout, il a la chance de vivre à la Capitale, avec pas un coin de verdure… Lequel d’entre vous est Exhyl Ksull ? AAAAAAAATCHAAAAA !

Son nez laissant à nouveau s’écouler les miasmes dégoulinants, il tendit la main pour s’emparer de son mouchoir mais, distrait, il prit la lettre et se moucha dedans.

- C’est ude afaire importante, dites-boi… Je de peux pas refuser une debande de l’Intendant, mais contrarier un Palatin… Cela de be plaît pas ! Hou, que cela de be plait pas ! Je vais envoyer la bilice pour protéger votre village, bessieurs, de vous en faites pas. Mais j’aurais besoin d’en coddaître la localisation précise. Et je crois qu’il serait bon de trouver une issue diplobatique à cette petite querelle… Que proposez-vous ?

Exhyl fut étonné par le commandant de la garnison. Surtout car ce dernier était complètement enrhumé. Ce qui rendait ses propos difficilement compréhensibles. Un autre inconvénient était les mouchoirs qu’il semait partout autour de lui.

Le minotaure s’avança lorsque le soldat prononça son nom. Il devait vouloir savoir pour qui il devait envoyer des troupes dans un coin reculé de la région.

L’officier s’interrogea sur la position du village à défendre. Le chef dudit village demanda une carte pour aider à le localiser.

Le bureaucrate farfouilla longuement parmi ses divers papiers. Parmi ceux-ci, il exhumait quelques mouchoirs trempés. Et, enfin après de longues secondes, avec un air triomphant, il montra sa trouvaille. Il s’agissait d’une carte assez détaillée et précise de la région.

Corne Bleue s’approcha avec circonspection du bureau. Il ne tenait pas à se faire asperger lors d’un éternuement. Il observa un instant la carte avant de pointer du doigt l’emplacement de Srive.

« Voilà, c’est là qu’le village est. Y doit être à moins d’un jour d’marche d’ici vers l’est. »

Entretemps, Shog s’était rapproché pour observer lui aussi la carte. Il vit ainsi l’endroit où il se trouvait, le village et aussi l’emplacement de son ancien clan. Sur le papier, ils semblaient bien proches les uns des autres. Beaucoup trop proches pour lui. Il s’en éloigna rapidement pour oublier cette vision, et trébucha.

Feldret s’approcha du gobelin et l’aida à se relever avant de prendre la parole.

« Petite querelle n’est pas le terme approprié dans notre cas. Il s’agit plus d’une tentative d’oppression. Le palatin tente d’imposer ses croyances à la population zakinthe. De même, il essaye d’enrôler les hommes dans une armée non liée au palatinat mais uniquement à lui. Le réel problème pour nous est le premier point, et sa façon de faire. La solution serait de calmer ses ardeurs religieuses et l’empêcher d’embrigader de façon si brutale la population en la faisant servir de force son Equilibre. »
« C’est une façon de penser particulière. » rajouta le verdâtre en ne couinant que partiellement. « Ce serait le résultat du combat éternel entre deux dieux, j’ai oublié les noms, qui seraient le bien et le mal. Aucun des deux dieux ne doit gagner, et c’est pareil pour leurs fidèles. Je crois que c’est valable pour tout le monde, le bien et le mal doivent exister ensemble à part égale. Le but de cet Equilibre, si je me rappelle bien, c’est de faire en sorte que ni le bien ni le mal ne progresse. »
« Exact’ment. Cette façon d’voir ne peut conduire qu’à la guerre. Car, si l’bien est plus fort, il se battra contre lui. Pareil si c’est l’mal. Sauf qu’c’est l’palatin qui s’est dit prophète qui décide c’qui est bien et mal et l’quel est l’plus fort et donc celui contre qui il doit s’battre. Vous imaginez s’il décide de dire qu’l’empire et l’empereur font pencher sa balance d’un côté ou d’l’autre ? J’parie qu’il leurs déclar’rait la guerre. Ce s’rait l’chaos total. Mais, on s’égare. J’suis d’accord avec l’idée d’Feldret qui consiste à lui dire d’arrêter et d’se calmer. Après, vous y mettez les formes qu’vous voulez. »

Exhyl ne connaissait pas le palatin de Zakinthe, le dénommé Aquilodon, mais il ne l’aimait pas. Et, le terme était faible. Comment un être à un poste si élevé et ayant autant de responsabilités pouvait traiter le peuple ainsi ? Comment un chef pouvait se conduire comme un esclavagiste ? Comment pouvait-il agir davantage pour son bien que celui du peuple ? Ces pensées révoltaient le minotaure. Il s’en fallut de peu qu’un autre bureau tombe en morceaux sous la colère animant le minotaure. Cet être semblait capable n’annihiler totalement les années que Corne Teinte avait passé à développer sa maîtrise de soi. Il se contenta de souffler bruyamment et de rester immobile, les muscles contractés.

Postérieurement:

Le capitaine roula soigneusement la carte avant de l’enfouir à nouveau sous ses paperasses en vrac.

- Bon, bon, bon, bon, bon ! Je doute que le Palatin ait l’intention de défier l’Empire… Bais, je be charge de lui envoyer un ébissaire. Mais cela de be plaît pas ! Hou, la, la que cela de be plait pas !

Il fit le tour de son bureau, jonché des mouchoirs sales qu’il avait exhumés pendant sa recherche de la carte, et s’assit sur son fauteuil.

Il semblait chercher quelque chose du regard, ouvrit quelques tiroirs, souleva quelques paperasses et fouilla dans ses poches.

- Qu’est-ce que j’ai fichu de bon bouchoir ?

Se tournant vers ses hôtes, il leur dit :

- Si vous n’avez plus de questions, vous pouvez disposer. Et soyez confiants, je be charge de tout ! AAAAAAAAAAAAAAATCHAAAAAAAAAAA !

Ainsi, la mission était finie et il était temps de rentrer. Et, alors qu'il allait se remettre en route, L'Ardonien se souvint de quelque chose, un vague souvenir. D'où venait-il? Il était resté si peu de temps entre les murs de la corporation... ça devait être quand il cherchait la carte pour aller jusqu'en Mesomnon.

Capitaine. Il me semble qu'il existe certains accords entre les forts en province et la corporation des combattants. Comme celui qui permet d'emprunter quelques montures pour retourner à la capitale, montures qui seront rapatriées au fort lors du prochain approvisionnement en provenance de la capitale. Serait-ce abuser que de vous demander quatre montures pour mes compagnons et moi même?

L'homme d'arme enrhubé, pardon, enrhumé accepta. Quand L'Ardonien posa la question sur des bêtes capables de supporter les solides guerriers minotaures, le capitaine les congédia en leur parlant de vachules, ce que L'Ardonien mit sur le compte de son allergie.

Le groupe sorti et arriva aux écuries. L'humain n'aurait su dire ce que le reste de la troupe pensait de son idée, leurs visages ne reflétant pas beaucoup leurs pensées, d'autant plus que, d'une part, ils avaient bien des raisons d'être songeurs et d'autre part que L'Ardonien ne s'attarda pas vraiment sur le sujet.
Il demanda donc un cheval pour lui, un plus petit pour Shog, et questionna le palefrenier sur les "vachules". L'homme rigola et certifia au guerrier qu'il avait bien compris:

C'est d'espèces de gros ch'vaux de trait, mais avec un peu une têt' d'mulet, et on les utilise surtout pour les bagages. Sauf q'par ici, comme c'est plein d'minotaures, ben on s'en sert aussi pour voyez. ça vient d'vache et d'mule. Pis, s'cusez pour vos compagons, mais comme on met un peu des vaches d'ssus...

Et il partit en rigolant chercher deux vachules.
A peine ces deux représentants du croisement bovin-chevalin furent présentés que L'Ardonien enfourcha son cheval et donna l'ordre du départ.

Les quatre voyageurs se regroupèrent dans la plaine, jetèrent un dernier regard sur le fort et commencèrent le chemin de retour.

Alors, qu'avez vous pensé de cette première mission? Toujours des doutes sur l'oganisation maitre gobelin?