La petite fée revenait enfin dans les entrailles de la guilde du Mana. Les lourds murs, gardiens muets du souvenir de nombreuses passes d'armes magiques, multiples traitrises en robes et chapeaux pointus et de si nombreuses tentatives d'incantations vouées à l'échec, semblaient désapprouver la menue présence qui progressait à pas légers.
Soucieuse, elle s'arrêta, le temps d'observer le couloir qui semblait par quelque effet mystérieux avoir focalisé son attention sur elle. Rechignant à se laisser impressionner plus longtemps, elle se remit en marche, parcourant les couloirs menaçants qui menaient à la grande bibliothèque.
Ce faisant, elle s'interrogea sur les réelles motivations qui la poussaient à se rendre en ces lieux.
Se pourrait-il que, tapi entre deux lignes d'un grimoire poussiéreux, des signes cabalistiques la renseigne sur ce qui faisait son identité il fut un temps, à présent oublié d'elle-même? L'austère et magnifique savoir laissé à disposition de qui se sentait capable de l'absorber, saurait-il la renseigner sur ce que fut sa vie, avant? Pourquoi venir en ces lieux si chargés de puissance, alors que de toute évidence une visite approfondie de la bibliothèque impériale lui aurait apporté bien des indices?
A mesure que le flot de questions se déroulait dans sont esprit, des questions plus lancinantes commencèrent à perturber sa résolution:
Ne serait-ce pas plutôt une vaine quète de puissance qui la poussait désormais vers ces grimoires si attrayants, mais en même temps si étranges et dangereux? Je puis dire que l'orgueil m'est étranger, puisse-t-il en être encore de même à l'avenir!
A nouveau elle s'arrêta, quelques pas avant un angle du couloir. Ses yeux commencèrent à se brouiller et une larme coula rapidement sur sa joue gauche. Une vague de froid perça brièvement son léger vêtement, lui arrachant un frisson. Ce faisant, les larges cicatrices sur ses omoplates se mirent à bouger, lui rapellant l'immense manque qu'elle subirait le reste de sa vie durant. Lifnirgae partageait désormais la vie d'autres de ses congénères, aussi était-elle pleinement consciente de ce qui lui avait été arraché. Cela la rendrait différente à tout jamais, malgré les efforts de ses amis elle ne se sentirait probablement jamais comme eux.
Cette pensée lui força soudainement sa détermination, et elle reprit son chemin.
Passant l'angle, elle vit enfin l'ouverture de la bibliothèque se détacher. La vision des premiers ouvrages acheva de la convaincre que la décision de se rendre en ces lieux était la bonne. Mais quelque chose l'arrêta. Un détail ne cadrait pas dans l'ambiance qu'elle s'attendait à y trouver. Un tintement continu, semblable à des plaques métalliques glissant les unes sur les autres.
L'étrangeté de la situation la poussa à ralentir le pas et à se faire aussi discrète que possible tandis qu'elle jetait un oeil à l'intérieur. Elle eut le temps de voir, disparaissant entre deux étagères, une énorme masse en mouvement bardée de cuir et de fer. Le petite fée la suivit quelques instants, mais l'apparence si effrayante de l'être, et l'impression de force brute mal assumée qu'elle dégageait la dissuadèrent d'entamer le contact directement.
Elle se dirigea ainsi vers les registres situés vers l'entrée, où elle comptait trouver des ouvrages dont le nom des auteurs pourraient lui évoquer un vague souvenir, ou, dans le cas où cette recherche s'averait infructeuse, des volumes pris au hasard, qui sauraient l'instruire peut-être dans la sorte de magie en laquelle était particulièrement douée?
Ce faisant, elle veilla à faire assez de bruit pour espérer attirer l'attention de l'étrange visiteur qui parcourrait bruyamment la bibliothèque...