Beth Aran faillit réellement donner l'ordre à ses comparses de massacrer l'insolent lorsque celui-ci se retourna et imposa son discours, mais un geste se voulant apaisant de Galcius le fit se rasseoir le temps que le Patricide finisse sa tirade critiquant notamment l'inefficacité et le caractère ridicule de leur conservatisme. Mais d'où sortait cet imbécile ?
- Tu as fait une sérieuse erreur en demandant audience, Patricide. Avant de te tuer pour de bon de mes propres mains, je vais te répondre.
Nous NE DIRIGEONS PLUS l'Edhesse depuis plusieurs années déjà, et c'est depuis cette époque que la Province part à vau-l'eau. Pourquoi ne sommes-nous pas intervenus ? Parce que le pouvoir me lassait, et que je voulais voir ce que d'autres étaient capables de faire à mon poste. Le résultat est là : des rebelles misérables, je pense notamment au gobelin Zwiffy'ga'krig, qui a tenté de prendre la tête de l'Edhesse, ou aux imbéciles qui se cachent à l'heure actuelle dans les forêts, dirigés par un guerrier idiot qui s'imagine pouvoir renverser un empire plus que millénaire avec une bande de bras cassés, des complots orchestrés par Thassopole qui passent prêt de la réussite, une économie brisée... Voici ce qu'est devenue la Province sous le contrôle d'autres.
Tu parles de ton parricide comme d'une évolution... Quelle évolution y a-t-il là-dedans, à part que le fait est une atrocité quasiment sans précédents ? Ce n'est pas la pureté de ton sang qui me hérisse, c'est ton mépris des lois élémentaires de notre race. Tu n'es pas un vampire, car un vampire ne tue pas son bienfaiteur. Tu usurpes cet état supérieur qui t'a été accordé, roi parmi les ingrats. C'est pour cela que ta vie est une insulte pour tous ici. Mais cela va cesser. Maintenant.
L'air pesa soudain sur les épaules de Dorunn, qui tenta de résister au maléfice, en vain. Il tomba à genoux, sentant sa vigueur physique le quitter sous les yeux d'un Beth Aran qui s'était relevé, de plus en plus imposant.
- STOP !
Le drain de vie prit subitement fin, et le seigneur d'Ombresang se releva vivement, régénéré, tandis que la colère du Seizième Sang s'abattait sur Harmen Galcius, qui l'avait interrompu.
- Que veux-tu ? Vas-tu encore m'agacer et soutenir cet erreur de la nature ?
- C'est le cas, monseigneur, oui. La colère vous aveugle pour la simple raison que jadis, il a tué un être qui l'avait trompé depuis sa naissance. Un être qui l'a fait tuer à son insu son véritable père. Qui n'en aurait pas fait autant ? Pas moi. J'aurais fait comme le jeune vampire qu'il était à l'époque, je me serais vengé. Et vous aussi, Beth Aran. Je vous connais bien, vous n'êtes pas du genre à vous laisser manipuler.
Ce que vous punissiez à l'instant, c'était une vengeance compréhensible, et une malchance chronique. Même si ce parricide a bafoué les lois établies, qu'importe ? Je dirais même que c'est une nouvelle de bon présage. Une nouvelle qui prouve que les vampires sont des êtres libres, bien que profondément liés. Qu'y a-t-il de répréhensible dans la liberté, monseigneur ? Depuis ce meurtre, nous savons qu'un vampire peut tout. Voilà pourquoi je ne hais pas, comme vous tous ici présents, Dorunn d'Ombresang. Voilà pourquoi il est pour moi Dorunn, et non pas le Patricide.
- Soit, chien. Je t'épargne une nouvelle fois, mais sache que c'est par simple respect pour mon ami Harmen Galcius. Déguerpis.
- Attendez ! Ce n'est pas fini. Sa proposition a du sens, Beth Aran. Du moins, elle peut en avoir si ce Narsès est plus compétent que nous-mêmes. Accordez lui cette faveur, laissez lui sa chance.
- Je n'aime pas ça, Galcius. Tu vas trop loin. J'accepte car ton jugement a rarement été fautif.
Toi, Dorunn. Sache que ton Narsès a un mois pour faire preuve ici de son talent de gestionnaire. Au bout de ce mois, lui et toi viendrez ici même. Si je considère son travail comme insuffisant, je vous tuerai, lui, toi et Galcius, puisque celui-ci se fait ton avocat. S'il réussit, je reconnaîtrai avoir eu tort, et tu pourras paraître ici sans craindre de t'y faire assassiner.
Maintenant que tu as eu ce que tu voulais, disparais, et que l'on ne te revoit plus avant un mois.
D'un air dégoûté, Beth Aran fit un mouvement nonchalant vers la porte par où était entré Dorunn, se leva lui-même et sortit par la porte située derrière son trône.