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4-La Défense de la Tour

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Précedemment


Lulyane avait rejoint la Tour dans une traînée de feu qui jaunissait le ciel perpétuellement bleu de la vallée de Roc-Pointe. Le convoi n’avait pas besoin de sa présence pour progresser dans la montagne. La Velue et les elfes s’acquitteraient de les mener à bon port.

La victoire avait galvanisé ses troupes qui ne se sentaient plus un escadron de mercenaires mal assortis mais l’embryon d’une véritable armée. Elle avait pris du temps pour remercier et féliciter chacun d’eux, puis pour rassurer et motiver chaque famille de paysans. Après sa visite, tous, civils et militaires, étaient tombés sous son charme et voyaient en elle leur souveraine légitime.

Magnus avait été repoussé et Lulyane avait eu la faiblesse de lui laisser la vie. Elle le connaissait trop bien pour ne pas savoir qu’il était encore plus fou de rage et qu’il n’abandonnerait pas son désir de vengeance. Sa priorité à présent, c’était de trouver le moyen de défendre sa Tour et ceux qui s’y abriteraient quand le siège, l’assaut peut-être, commencerait.

Et pour mettre au point un plan de défense, quoi de mieux que de s’adresser au gardien de l’Opaline ?

Dans un de ses déplacements invisibles, elle entra dans la Salle des Gardes en soulevant un tourbillon d’air. C’est ici qu’elle avait prié Grognar de prendre ses quartiers et le géant s’y était installé un nid confortable et douillet à son image. Pour quiconque, c’était un simple capharnaüm.

Malgré le désordre ambiant, il n’était pas difficile de voir que celui qu’elle cherchait ne se trouvait pas dans cette grande et haute salle. Un Grognar ne se rate pas ! Au milieu d’un désert, sa haute silhouette et sa large carrure se distinguait de loin.

Elle s’apprêtait à regagner ses appartements quand elle aperçut par la grande porte d’entrée restée ouverte une curieuse forme dans le ciel : une sorte de cube flottait dans l’air sous les silhouettes volantes de quelques gros oiseaux.

Elle sortit sur le parvis tandis que l’étrange attelage du ciel se rapprochait. Elle le distinguait maintenant parfaitement et fut obligée de croire à ce qu’elle avait soupçonné : Grognar, contre toute sa répulsion et sa phobie, avait utilisé de son plein gré le chariot volant qu’elle lui avait conçu.

Mais pour quoi faire ?

La réponse n’allait pas tarder puisque le cocher fit se poser le panier et son attelage à quelques dizaines de toises de la Tour.

Grognar était bien là, qui bondit du panier comme un diable sort de sa boîte, tellement il était heureux de retrouver la lourdeur de ses cailloux secs sous ses pieds longs comme des péniches. Deux autres statures impressionnantes s’extirpèrent de leur gangue d’osier avec bien plus de difficultés.

Ils semblaient coincés dans l’espace restreint que leur avait chichement concédé la masse et la mauvaise humeur du géant. Il s’agissait de deux minotaures dont les cornes s’étaient emmêlées entre elles et dans les cordes du harnachement et qui faisaient d’étranges mouvements de têtes pour se dégager, tout en soulevant les jambes à l’aveuglette pour enjamber le rebord d’osier.

Sur l’un des griffons, un gobelin sortait d'un long sommeil aérien qui le rendait d’un vert un peu plus pâle que sa verdeur naturelle, et sur un autre un humain.

Un humain à l’odeur appétissante, qui venait jusque dans son refuge dégager son fumet exquis. Ses dents se dégainèrent instinctivement, surgissant de derrière l’abri de ses lèvres, comme deux lames effilées prêtes à plonger dans le bouillon succulent du sang vif.

Un humain… Qu’elle avait déjà rencontré. Elle calma ses ardeurs bestiales et renonça encore une fois à un repas de roi. Sous sa cape et son chapeau, elle ne pouvait pas manquer de reconnaître les contours de l’Ardonien, qui descendait de griffon avec l’aisance d’un gardien de vaches.

Grognar s’avançait vers elle, le sourire aux lèvres, ce qui lui donnait une vilaine grimace à laquelle Lulyane avait du mal à s’habituer.

- Content de voir que vous êtes revenue "sur scène et chauve"! Je sais pas où vous en êtes avec l’olibrius Magnus mais je me suis dit que je pouvais inviter des copains pour la sauterie.

- Tu as probablement bien fait, Grognar ! dit-elle simplement en s’avançant lentement d’une démarche ondulante à la rencontre des autres passagers.

Elle échangea un regard avec l’Ardonien et lui sourit, en tâchant de rester maîtresse de son instinct prédateur et de ne pas laisser jaillir ses canines machinalement.

- Bienvenue chez moi, l’Ardonien ! Et bienvenue à vous aussi, messieurs !

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L’Ardonien avait trouvé le voyage agréable. Comme la vampire avait pu le juger à sa façon de mettre pied à terre, il n’avait pas vraiment été dépaysé par l’originalité de sa monture. Il s’était un moment attardé sur le paysage, puis l’avait relégué dans un coin inconscient de son esprit, au cas où il aurait à faire le trajet à pied.

Le voyage se fit en silence, les voyageurs ne pouvaient pas lui parler et le géant et les deux minotaures étaient trop à l’étroit pour pouvoir se débattre, tomber, où simplement mettre le bordel. Le guerrier en profita pour réfléchir et se reposer, et l’un dans l’autre, sa somnolence se mua en quelque chose de différent. Il se prépara mentalement au combat, aux divers scénarios possibles avec les informations que lui avait fournies Grognar, et se posa de sérieuses questions sur la vision qu’il avait eue. A certains moments, il cru voir de la brume à la lisière de son esprit, mais peut être l’altitude lui jouait elle des tours.

A un moment, il se demanda s’il était normal de ne pas ressentir plus d’émotions pour son baptême de l’air, puis, il jugea qu’il n’en avait rien à foutre.

Et au final, après quelques jours de ce rythme, il découvrit enfin le royaume de Grognar, la vallée, et la fameuse Tour Opaline, pour laquelle il avait tant œuvré.
Il dû admettre qu’elle en valait la peine. Il n’était pas adepte de la voie des arcanes, mais il ressentait quand même la dimension magique de l’édifice, et ne fut pas dupe de son action sur le climat particulier des lieux.

Mettant pied à terre, il croisa le regard de Lulyane. Son sourire lui fit plaisir, il ne laissait que rarement suffisamment bonne impression pour y avoir droit, alors, ça n’en avait que plus de valeur. Son instinct associa un instant l’expression « dévoré du regard » à la jeune femme, mais il resta totalement conscient du fait que ça n’avait pas le même sens lorsque l’on parlait du regard d’une humaine ou d’une vampire.

Il sourit intérieurement et haussa les épaules mentalement. Il ne servait à rien d’anticiper un combat qui n’arrivait sans doute jamais, ni de se demander s’il était capable de tenir tête à un vampire, surtout qu’il ne ressentait ni menace latente ni duperie dans l’accueil que la sorcière lui avait fait.

Il rendit chaleureusement son sourire à la maitresse des lieux :


C’est un plaisir de vous revoir Lulyane, je vous remercie de votre accueil. Grognar et vous vivez dans un endroit fort agréable.

Il hésita à ajouter que ça ne le motivait que plus à défendre le futur royaume naissant, mais il se dit qu’il serait bien assez tôt pour aborder ce sujet. Les retrouvailles n’étaient pas terminées, comme le prouva le projectile bêlant qui fusa et bondit sur le guerrier. Ce dernier, dans un réflexe, le réceptionna au dernier moment. Le choc lui bascula son chapeau, qui manqua tomber, libérant ainsi suffisamment de place pour que Biquette puisse lui lécher le visage.

L’Ardonien rit de bon cœur et se laissa faire, avant de la reposer au sol. La chèvre-chien regarda alors Grognar, et on sentait bien qu’elle lui en voulait un peu de l’avoir laisser en arrière. Puis, décidant probablement que lui avoir ramené son petit maitre était une bonne surprise, elle alla le saluer en remuant la queue.



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- Avant de vous restaurer et de vous reposer, souhaitez-vous visiter les lieux ? demanda-t-elle en parfaite hôtesse.

A vrai dire, elle n’avait pas à cœur de jouer le guide pour touristes mais plutôt de leur faire reconnaître au plus vite le théâtre d’opération pour qu’ils puissent réfléchir d’ores et déjà à une défense efficace.

Sans attendre leurs réponses, elle s’engouffra par le portail voûté en ogive dans la vaste salle d’Audience. Toute la petite troupe suivit, précédée par Biquette, visiblement impatiente de faire découvrir sa nouvelle gigantesque niche.

Ils traversèrent l’immense pièce vide où leurs pas martiaux résonnaient contre les murs luminescents pour arriver au pied de l’escalier à vis qui grimpait tout en haut en longeant le flanc de la Tour.

Plus de 120 pas de hauteur séparait le rez-de-chaussée de la plateforme de la terrasse, au sommet. Très exactement 180 marches pour ceux qui auraient voulu s’amuser à les compter. Sur le papier, et pour de rudes gaillards comme ceux-là, l’escalade pouvait paraître une partie de plaisir. Pourtant, la lourdeur des jambes se faisait vite sentir. Marche après marche, dans ce colimaçon sans fin, les muscles des cuisses tiraient un peu plus, s’enflammaient lentement…

Montant avec grâce, Lulyane ne paraissait pas le moins du monde éprouvée par la lente ascension. Au niveau du deuxième étage, elle leur désigna une porte ouverte qui donnait sur un large couloir, ponctué de nombreuses portes : celles des appartements des invités.

- C’est ici que vous logerez, dit-elle simplement.

A tous les autres étages, les portes étaient closes et elle ne dit rien. Les trois premiers niveaux de la Tour leur étaient ouverts, ils pourraient s’y déplacer à leur aise. A partir du troisième étage, ce que renfermaient ses hauts et étincelants murs ne les regardaient plus.

Elle ne prit même pas la peine de leur prononcer une interdiction à laquelle ils se verraient confronter seuls si la curiosité les poussait. Nul besoin de garde pour faire respecter sa volonté muette, elle avait parsemé des enchantements dans toute sa propriété qui resterait murée tant qu’elle en déciderait ainsi.

Le soleil éblouissant frappa les visages lorsqu’elle ouvrit la porte qui donnait sur la terrasse. Cette vaste esplanade, toit de la Tour, offrait une vue imprenable sur tout le cirque qui contenait la vallée.

Grognar s’était avancé à l’extrême bord de la terrasse où un garde-fou d’à peine 3 pas de haut ne suffirait pas à retenir sa grande carcasse s’il lui prenait de se pencher. Le géant jetait un œil admiratif sur ce vallon qu’il connaissait si bien, qu’il avait tant parcouru.

C’était la première fois qu’il l’englobait d’un regard. Il avait à peine ouvert les paupières lors des deux survols qu’il en avait fait et n’avait pu goûter au plaisir enfantin de voir les lieux qui sont si chers à l’échelle d’une maquette.

Ce qui lui semblait de vastes forêts, de spacieuses prairies lui apparaissait d’ici si petit, comme de minuscules tâches de couleur ponctuant une nappe étendue au milieu des monumentales rocailles de la montagne.

Lulyane regardait devant elle, embrassant du regard ce qui allait devenir son royaume. Peu de Seigneurs peuvent se targuer d’avoir un point de vue sur l’ensemble de leurs terres. Ils en veulent tellement plus, ne cherchent que le conflit pour les faire croître et s’étendre jusqu’à perte de vue…

Elle souhaitait se contenter de ce triangle fertile encaissé entre les hauts sommets enneigés, le faire fructifier et prospérer, se contenter du plaisir infini de pouvoir contempler son œuvre, le monde qu’elle a construit, d’un seul coup d’œil.

- Nous sommes au sommet du Mont Roc-Pointe, cette éminence plantée au milieu de la vallée du même nom. Il n’y a que deux accès terrestre à la vallée : au nord, un défilé étroit occupé par la rivière et qui ne laisse que de maigres berges pour progresser à pied. Il s’ouvre sur les Terres Inexplorées, un vaste monde froid et inconnu. Et puis au sud, le sentier qui descend en longeant le torrent. C’est par là que Magnus arrivera !

4-La Défense de la Tour Plantouropaline
Dessin de Myos
Un très gros merci à lui !

Dernière édition par Lulyane le Ven 20 Aoû 2010 - 19:10, édité 2 fois

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Le reste du vol fut du même calibre que le début.

C’est l’arrivée qui bouscula l’équilibre précaire obtenu. Le géant avait été si content de retrouver la terre ferme qu’il surgit de la nacelle. L’appel d’air provoqué propulsa les deux minotaures l’un contre l’autre pour rebondir dans les cordages. Feldret banda ses muscles et s’arracha à la double contrainte des cordes et de son chef. Puis, il sortit de la prison volante. Exhyl le suivit rapidement.

Shog se réveilla et bailla en se rendant compte de l’arrêt de sa monture. On devait donc être arrivé. Il descendit du griffon sans grâce, manquant de peu de chuter. C’était quand même sacrément grand ces bêtes-là.

Corne Bleue sentit poindre un début de migraine, mais le soulagement d’avoir les deux sabots sur une surface stable le refoula au moins temporairement.

La maîtresse des lieux apparut et leur souhaita la bienvenue. Exhyl la remercia de son accueil et présenta ses compagnons.

Puis, il assista aux retrouvailles entre l’Ardonien et une chèvre. L’animal de compagnie agissait d’une manière étrange, mais il ne parvint pas à mettre le doigt sur quoi. Le minotaure ne savait pas que ce genre de bestiole était si affectueux, mais peut être cela venait-il de l’humain. Encore un point à approfondir donc.

Ensuite, il y eut la visite de la tour. Biquette précéda tout le monde, puis jeta un regard étrange lorsque les minotaures entrèrent. Son regard les détaillait fixement. Elle paraissait troublée par le fait qu’ils se tenaient debout uniquement sur deux sabots. Tout le monde sait que le nombre idéal de sabots est de quatre. Mais, pas les cornus qui devaient être trop bêtes pour cela. Immédiatement, elle rangea les minotaures dans la même catégorie que les meubles, sans intérêt.

Et, étage par étage, la comtesse les détailla rapidement. Comme s’il s’agissait d’une corvée, ce qui était probablement le cas. En même temps, qui avait envie de faire visiter sa demeure en sachant qu’on allait l’assaillir sous peu ? Peut être est-ce pour cette raison qu’elle ne parla pas de ce qu’il y avait au-dessus du troisième étage.

La visite se termina au sommet de la tour. La vaste terrasse offrait une vue imprenable sur les environs. Shog ne put s’empêcher de s’approcher de la balustrade. Il se pencha et il sentit l’ivresse de la hauteur l’envahir. Lui, si petit, se sentit si puissant en regardant le monde d’une telle position. Il comprenait pourquoi les gens dits civilisés s’acharnaient à bâtir de si hauts monuments.

Feldret jeta un coup d’œil rapide, mais sans plus. Il se désintéressait totalement de la vue. De même de la manière dont le dénommé Magnus attaquerait. Il descendit donc afin de découvrir où il logerait. Il ouvrit la première porte. Elle donnait sur une pièce luxueuse, richement décorée. Feldret avait l’impression que les pièces étaient plus conçues pour impressionner que pour réellement y dormir. Il ne se voyait pas dormir dans un tel lit. Une plume l’aurait massacré, alors lui ce n’était pas le peine. De plus, il n’aurait supporté de coucher dans un tel monceau de draps et couvertures. Heureusement, il remarqua un tapis qui ferait l’affaire.

Exhyl, lui aussi avait admiré le panorama. Et, bien qu’étant en hauteur, il ne se sentit pas malade car il reposait sur une surface stable, en laquelle il avait confiance. Et, alors que le vent soufflait et le rafraîchissait, il sentit à travers son corps la puissance émanant de la tour. Il avait été entraîné, il y a des années de cela, à ressentir le flux de la mana. Mais, le minotaure ne l’avait pas remarqué plus tôt pour deux raisons. Il lui avait fallu un peu de temps pour se remettre du vol nauséeux et sa perception n’avait jamais été très bonne.

Corne Bleue, du peu qu’il ressentit, sut que la puissance emmurée était impressionnante. Il se demanda pourquoi Lulyane ne l’utilisait pas pour clore sa vallée. Du moins les passages terrestres, pour ceux aérien il ne voyait pas comment la chose serait possible. Et s’il n’était possible de clore la vallée, il y avait toujours une entrée de trop.


« Mouais ! Ca a l’air simple alors. Mais, est-c’que vot’ Magnus connaît l’autr’entrée ? Parc’que si c’est l’cas, j’parie qu’il cherch’ra à vous contourner. Et, s’il peut diviser son armée, en deux, j’pense pas qu’vous l’pouviez. Donc, vous pouriez p’têt utiliser la magie qu’j’ai senti dans l’coin pour lui boucher l’passage. A moins qu’vous n’sachiez pas l’utiliser. »

Exhyl continua à chercher ce qu’il serait encore possible de faire pour protéger la vallée. Puis, une sorte d’illumination lui vint.

« Au fait, c’est quoi l’rôle qu’vous pensez nous donner ou voir remplir ? » demanda-t-il à personne en particulier.

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Grognar avait suivi sa patronne et toute la petite troupe dans les escaliers et jusqu’à la terrasse. Il lui était déjà arrivé de grimper dans la Tour mais jamais de venir sur cette haute plateforme.

Il s’avança jusqu’à la limite que le sol lui offrait et regarda, éberlué, la vallée étendue à ses pieds. Sa bouche s’ouvrait de stupeur en reconnaissant ce décor réduit.

- Nom de Brak de bordel de Brak ! pensa-t-il avec éloquence. C’est ça ! C’est "exaquement" ça !

Il détacha son regard de ce panorama qu’il voyait pour la première fois et qui lui était pourtant si familier et tonna en direction de l’Ardonien.

- Viens avec moi, l’encapé, il faut que je te montre un truc.

Avant même que l’humain ait pu ouvrir la bouche, il l’avait agrippé par le bras et l’entraînait dans l’escalier qu’il dévala. L’Ardonien ne pouvait évidemment pas suivre la célérité des grandes jambes de Grognar, mais dans son enthousiasme, le géant ne le tirait pas vraiment. On peut plutôt dire qu’il le faisait voler derrière lui, flottant au bout de son bras dans la vis interminable comme un étendard flotte au vent.

C’est seulement dans la Salle d’Audience que l’Ardonien put enfin toucher le sol et se mettre à courir derrière le mastodonte qui avait relâché son étreinte mais qui continuait de galoper jusqu’à la Salle des Gardes.

Il ouvrit la porte d’un geste ample et s’immobilisa dans l’encadrement, désignant de sa large main une vaste pièce où s’entassaient pêle-mêle des morceaux de bois, des cailloux, des plantes, des carcasses d’animaux, des os blanchis, des fleurs séchées,… Des établis et des outils s’appuyaient contre les murs, tout au fond de la pièce il y avait un lit adapté à sa carrure et puis au milieu, sur une large surface, des draps recouvraient une forme étrange, faites de creux et de bosses.

- Mon chez-moi à moi ! trompetta-t-il fièrement, heureux de partager le bric-à-brac qui lui servait d’habitat.

Il s’avança et du geste auguste d’un édile qui procède à une inauguration, il souleva les draps, laissant apparaître à la face du monde ce qui était son œuvre personnelle, son jardin secret.

Sous les yeux de l’Ardonien, reproduit à l’identique avec une précision remarquable, s’étalait la maquette du paysage qu’il venait de contempler. Une réplique de la vallée, du Mont et de la Tour que le géant avait confectionnée avec patience et habileté.

Tous les objets épars qui submergeaient sa demeure constituaient la matière première qu’il usinait, retaillait, polissait pour en faire des forêts, un bras de rivière, la pointe d’un rocher dans une maquette gigantesque à son échelle. Sa reproduction de la Tour mesurait près de trois pas. Perchée sur le mini-mont, elle dépassait l’Ardonien d’une bonne tête.

Qui aurait pu croire que l’énorme barbare fut capable de la patience et de la persévérance que nécessitait une telle entreprise ? Rien ne manquait ! De mémoire, il avait su recréer le décor qu’il arpentait si souvent au bosquet près, avec un sens du détail et une exactitude d’entomologiste.

Ce qui s’étendait sous les yeux de l’Ardonien était le fac-similé exact du point de vue qu’il avait pu admirer au sommet.

Grognar regardait son ami avec le visage souriant et gêné à la fois de l’écolier qui montre son carnet de notes et s’attend à des félicitations méritées.

- Ça te plait ? C’est mon passe-temps… Mon "nobby", quoi !

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L’Ardonien se tenait debout au sommet de la tour et contemplait le paysage. A la beauté environnante se substitua rapidement ce qu’il deviendrait bientôt, un champ de bataille. Et sans prévenir, son esprit lui remit en mémoire des images de son passé. Combien de fois avait-il déjà connu scène similaire ? Que se soit en haut d’une tour, de murailles, ou simplement de collines, il avait connu ce scénario de nombreuses fois. Un jour, la plaine était vide, et le lendemain, elle fourmillait d’ennemis, puis de corps sans vie. Il n’avait pas toujours été dans le camp des vainqueurs bien sûr, mais il avait toujours survécu. Il connaissait l’attente, les préparatifs, la mise en place de stratégies. Cette fois-ci verrait deux différences notables. Déjà, il était intégré au centre de commandement et devrait donc apporter ce qu’il avait appris de semblables batailles. Ensuite, les deux armées auraient des effectifs bien ridicules, mais de qualité. Peut être leur ennemi aurait-il quelques piétailles en première ligne, mais il faudrait s’attendre à affronter des soldats entrainés.

Puis, une étrange pensée lui vint.

Cette scène, il l’avait déjà vécue. Mais combien de fois la vivrait-il encore ? Il savait qu’il avait atteint le meilleur stade de sa carrière. Il avait toute la force de la jeunesse et une grande expérience des combats. A présent, son expérience allait augmenter aussi vite que sa jeunesse allait s’enfuir. Il se souvenait des vétérans qu’il avait croisés par le passé. De valeureux guerriers qui regrettaient ne plus avoir leurs réflexes d’antan. Il pouvait encore tenir tête à la plupart de leurs ennemis, mais combien en avait-il vu tomber parce qu’ils avaient eu un petit moment de faiblesse ? Lassitude, manque de vitesse, perte d’endurance, manque de force… Oui, certains s’était reconvertis à temps, mais d’autres avaient fait la bataille de trop. Pourtant, confusément, il sentait que ce destin ne serait pas pour lui. Peut être cela voulait-il dire qu’il allait mourir prématurément. Son pendentif chauffait doucement. Il l’avait pris à un prêtre… Mauvais présage ?

Un léger vent souffla à ses oreilles et il sourit. Il ne serait pas si facile à tuer.

Exhyl parla, ce qui finit de le détourner de ses sombres pensées. Il n’était pas vraiment devenu ami avec le minotaure, pas plus qu’avec ses compagnons. Par contre, les côtoyer avait eu du bon. Il savait maintenant qu’il avait eu raison d’écouter cette mystérieuse gitane. Il n’aimerait sans doute pas le coté paperasse et redressement de la corporation des combattants, mais tailler les matières brutes qui se présenteraient à ses portes lui plairait. Par le passé, il avait tué des amis et combattu dos à dos avec des hommes qu’il détestait. Il pourrait diriger des hommes qui n’étaient pas ses amis.

L’Ardonien prit la parole.


Je pense pouvoir répondre à tes questions Exhyl. Magnus ne connait pas l’autre entrée. Elle donne sur un territoire sauvage et inexploré. Pour l’atteindre, il lui faudrait contourner cette vallée en empruntant des territoires inconnus. Quand bien même il existerait un chemin, ça lui prendrait au minimum plusieurs semaines, et vraisemblablement plusieurs mois voire plus.

Quant à notre rôle ici, nous allons combattre et organiser la défense.
A ce propos…


L’humain se tourna vers la maitresse des lieux.

Lulyane, à combien estimez-vous le temps dont nous disposons avant l’arrivée de l’armée ennemie?

Environ deux semaines.

L’Ardonien réfléchit.

Bien, c’est court, mais largement suffisant pour nous laisser le temps d’organiser la défense. Lulyane, voici ce que j’ai en tête. Je vous l’expose et vous nous direz qu’elle est votre décision.

Je pense que nous devrions aller voir de plus prêt cette entrée et de quelle façon nous pouvons la transformer en lieu d’embuscade. Ça ne surprendra sans doute pas l’ennemi, mais ça risque d’être une zone stratégique pour deux raisons :
La première c’est que le passage sera étroit, et que nous pouvons même l’accentuer si besoin. Leur avantage du nombre sera donc réduit, voire quasi-nul les premiers jours. Et vos griffons pourront faire des ravages. En plus, ça vous laissera le temps pour installer les réfugiés dans la vallée. Si le combat a lieu dans la plaine alors que nous avons des réfugiés dans les pattes, ça peut vite mal tourner. Nous pourrons utiliser cette main d’œuvre pour construire une ligne logistique et surtout pour créer une seconde ligne de défense un peu en avant de la tour. Il est probable que nous ne tenions pas le défilé plus de quelques jours, une semaine peut être. Si nous piégeons le défilé pour qu’il s’écroule sur le gros de l’armée avant que nous ne soyons débordés et que les réfugiés ont créé derrière nous de quoi tenir un siège, alors nous aurons de bonnes chances de gagner, et ceci peut être sans avoir à utiliser vos gens.
Bien sûr, cela va dépendre de la taille exacte de l’armée de Magnus. Avez-vous une idée de ce qu’elle vaut ? Types d’armées et expérience ?
Mais, pour que ce plan voit le jour, je pense que nous devrions aller en reconnaissance dans le défilé sud et voir ce que nous pouvons en faire.
Voilà, Lulyane, ce que m’inspire ce panorama et ce que vous nous avez dit.


Alors qu’il attendait la réponse de leur hôte, Grognar, qui n’avait sans doute rien écouté de sa tirade, l’embarqua sans prévenir pour l’amener en bas de la tour.
En temps normal, pareille attitude l’aurait fâchée. Mais là, ce n’était pas le temps normal.
Il restait à coté de Grognar en silence, tandis que ce dernier attendait fébrilement un commentaire. Quand on ouvre la porte de son jardin secret, on s’expose personnellement, on devient atrocement vulnérable. Que le géant l’ai fait pour lui toucha L’Ardonien.

Il resta un moment à contempler cette carte géante, fidèle représentation de la vallée. Il ne fit même pas attention au foutoir à coté.


C’est magnifique Gros. En fait, tu as volé bien avant de croiser ta panière à griffons.

Il tapota le bras de Grognar en guise de félicitations. Déjà, ses yeux se portaient vers la zone tout en bas, ce défilé où très probablement, la mort viendrait prendre son dû.

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Exhyl reçut sa réponse de la part de l’Ardonien. Il aurait pensé que c’était la maîtresse des lieux qui répondrait, mais non. Donc, l’assaut ne serait mené que sur un front, ce qui rassura le minotaure. Et son rôle serait celui auquel il avait pensé. Mais, les choses étaient claires ainsi.

L’Ardonien exposa la stratégie qu’il comptait employer. Exhyl n’essaya pas de voir si elle était parfaite ou perfectible et de quelle manière car pour cela il lui aurait fallu se trouver sur place. De plus, Corne Bleue n’était pas un très bon stratège, surtout car ses combats, il les mena seul.

Puis, l’humain posa quelques questions à la comtesse. Mais, avant de pouvoir espérer ouïr les réponses, le géant l’entraîna à sa suite et disparut dans les escaliers.

Shog n’avait pas écouté un traître mot de la conversation. L’unique chose occupant son esprit était la vue s’offrant à lui. Le panorama était si grandiose, si magnifique, si puissant. Le gobelin comprenait que l’on puisse vouloir attaquer la tour rien que pour s’emparer de ce promontoire d’où la vue était imprenable.

Une idée – idée folle et téméraire – lui traversa l’esprit. Sauter de cette hauteur vertigineuse devrait apporter de telles sensations grisantes de plaisir et de puissance. Mais, il n’était pas fou, il n’irait pas sauter dans le vide sans préparatif au risque de se tuer. S’il attachait une corde, un bout à ses chevilles et un autre au sommet de la tour, il pourrait plonger sans risquer de s’écraser au sol. Malheureusement, il n’espérait pas trouver une corde d’une taille suffisante pour tenter l’expérience, aussi abandonna-t-il l’idée.

Feldret savait que si sa présence était requise, on viendrait le chercher. Aussi, resta-t-il dans la chambre qu’il avait choisie. Il venait juste de s’allonger sur le tapis, que des bruits sourds se firent entendre. D’abord, irrité, il fut intrigué. Les chocs augmentèrent en volume avant de baisser jusqu’à disparaître. Il ne s’en étonna pas davantage. Enfin, il était seul avec le silence pour seul compagnon.

Corne Brisée n’avait rien contre le fait d’être en présence d’autres personnes. La preuve, il vivait dans le village de Srive et non en ermite. Mais, il appréciait la solitude que son travail lui apportait. Le minotaure ne connaissait pas le silence pour autant, surtout dans sa forge où il passait son temps à marteler différents métaux. Et, où il appréciait la mélodie qu’il produisait pour chacune de ses œuvres.

Le silence l’oppressa comme à chaque nuit de son existence. Et, comme à chaque fois, il finit par s’endormir rapidement. Allongé sur le dos, les mains sur la poitrine, il ronflait comme un bienheureux. Le sommeil permettrait de lui faire récupérer la fatigue principalement due à l’inconfort du voyage. Si tant est qu’on ne le réveille pas prématurément.

Quelques étages plus haut, Exhyl se remettait de la disparition soudaine de l’humain. Grognar devait avoir quelque chose d’urgent et d’important à lui montrer. Le minotaure espéra qu’il sortirait de l’épreuve indemne.


« Scusez-moi, mais j’voudrais savoir si vous aviez prévu que’qu’chose pour l’reste d’la journée. Pour savoir c’que j’dois faire maint’nant. Ou c’que vous voulez qu’j’fasse. »

Le gobelin se rapprocha de la vampire et du minotaure. Sur son visage, on pouvait y lire de la déception. Peut être que les deux plus grands que lui pourrait lui faire oublier sa morosité.

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Grognar avait entraîné l’Ardonien derrière lui. Ces deux-là semblaient bien se connaître et cela serait un atout dans l’épreuve qui les attendait.

Lulyane restait seule avec le gobelin et un des deux minotaures, le second ayant disparu. Elle regarda longuement cette tête cornue au faciès tellement différent de celui des humains qu’il était difficile d’y discerner le fond de sa pensée.

Sans doute exprimait-il ses émotions par des mines et des transformations subtiles de son visage mais elle était incapable de les traduire. Elle n’avait jamais rencontré de minotaure auparavant et seule sa haute stature, ses muscles saillants et sa grande hache lui inspiraient confiance.

- Vous êtes donc capable de ressentir la magie ? Oui, je sais l’utiliser… Je suis novice dans cet art mais j’ai eu l’occasion de prendre le temps de quelques études à Orchomène, à la Corporation et puis ici-même… Mais je vous avoue que je compte bien plus sur vos talents de combattant que sur les maigres sorts que je suis capable de lancer. Cette Tour me confère beaucoup de puissance et d’énergie… Mais je suis bien trop débutante pour en exploiter le potentiel.

Elle se dirigea vers l’escalier, la fidèle Biquette marchant à ses pieds, et dit sans se retourner :

- Ce que j’ai prévu pour la journée ? L’Ardonien a fort bien analysé la situation et énoncé le chemin à suivre. La reconnaissance des lieux ne prendra pas longtemps mais il va falloir se mettre au travail le plus vite possible. Je ne suis pas certaine du temps dont nous disposons… Mes éclaireurs nous tiendront informés. Venez, rejoignons nos camarades !

Elle s’engouffra dans l’escalier et le descendit jusqu’au rez-de-chaussée où elle retrouva Grognar en train d’exposer son chef-d’œuvre au regard surpris de l’Ardonien.

Elle tourna autour de l’énorme maquette, stupéfaite de la précision des détails et de la fidélité de la reproduction.

- Très beau travail, Grognar !

Le géant rosit, tripotant ses doigts avec la timidité d’une jeune fille.

- En voyant la vallée de là-haut, ça m’a fait un éclair dans la tête… Et je me suis dit que pour préparer notre défense, on avait sous la main une carte "des tas de Majors"…

Lulyane eut un sourire et s’accroupit devant la maquette. Elle posa son doigt sur l’entrée de la vallée, où ne manquait pas un brin d’herbe sur le sentier, pas un rocher du torrent tumultueux qui dévalait la pente…

- Voilà l’entrée qu’il faut défendre, la reconnaissance est faite ! Établissons rapidement un plan de nos fortifications, prenons des outils et partons nous mettre au travail.

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L’Ardonien observait toujours cette carte géante quand les autres entrèrent.
Il comprit que les autres avaient approuvés son plan aux mots de Lulyane. Il n’était pas pour autant d’accord pour dire que la reconnaissance était faite, même si c’était en effet un bon moyen d’avoir une vue d’ensemble. Il s’adressa à la vampire.


J’aimerais présenter et commencer à mettre en place ma stratégie plus en profondeur. Si vous m’y autorisez, remettez moi la direction des opérations ce jour et dès demain vous jugerez si ma façon de faire vous convient ou si vous préférez agir autrement auquel cas vous serez libre de modifier les plans à votre guise.

Après un temps de réflexion, Lulyane donna son accord. L’humain regarda alors à nouveau la carte. Il avait l’impression que tous les conflits auxquels il avait participé lui offraient une bibliothèque dans laquelle il pouvait puiser. Et il en trouva justement un…

Exhyl, avec tes deux compères, tu vas charger la nacelle avec tout le matériel que tu pourras trouver. Il nous faut des pelles, des pioches, des cordes, des piquets, des haches, et tout le nécessaire pour construire des fortifications. Nous essaierons de prendre le bois et les pierres sur place, sauf si des réserves existent déjà. Ensuite, avec les griffons et la nacelle, vous vous rendrez à l’embouchure de la vallée. Prévoyez aussi de quoi dormir sur place. Aujourd’hui on planifie, et si la maitresse des lieux nous donne son accord, début des travaux demain.

Se tournant vers cette dernière.

Je ne sais pas les forces que contiennent votre royaume, mais, s’il vous reste de la main d’œuvre, il faudrait la réunir pour demain à la pointe sud de la vallée. Plus nous aurons de bras et plus nous pourrons monter une défense efficace. Et si vous avez quelque part la liste de tous ce que nous pouvons utiliser pour nous défendre, il me la faudrait aussi. Et je vous propose de nous retrouver tous d’ici 4h dans la passe sud pour la suite.

Voyant que le géant allait parler, probablement pour signaler de manière grognesque qu’il n’avait rien à faire, l’humain le devança :

Toi mon gros, tu viens avec moi, on va partir tout de suite au pas de course pour la vallée. J’aimerai voir de mes yeux tout le champ de bataille, et notamment l’endroit où nous pourrons organiser notre base de repli, pour stocker les réfugiés dans un premier temps, et pour nous défendre si nous perdons la passe. Tu me parlais pas de tes abrutis lorsque nous voyagions ? Ils pourraient nous être utile tu sais ! Tu pourras les rassembler ?

Et là-dessus, parce que tous avaient conscience du peu de temps qu’ils avaient, ils partirent vaquer à leurs tâches respectives. Grognar et L’Ardonien firent leur marathon, le géant montrant à l’humain le domaine qu’il connaissait si bien. L’humain n’eut plus de doute, si Lulyane était bien maitresse de la tour, Grognar était le maitre de la terre, au sens premier, il en connaissait tous les recoins. Il signalait tous les défauts de terrains qui, pour L’Ardonien se transformait en zone piégeable ou en contrefort pour soutenir une fortification.

Et 4h plus tard, tous étaient réunis au sud du royaume, et marchaient à travers la passe. De chaque coté, les murs de roches montaient, affaiblissant la clarté du jour. Arrivée approximativement au milieu, là où le chemin se faisait le plus étroit, l’humain brisa le silence.


Il y a bien longtemps, plusieurs compagnies de mercenaires, engagées dans une guerre civile, reçurent l’ordre de poursuivre l’armée ennemie récemment défaite afin de finir le travail. Celle-ci s’était réfugiée de l’autre coté d’une passe similaire, dans une ancienne colonie minière et avait soutenu le siège. Elle attendait des renforts et devait donc juste tenir assez longtemps. Toute la passe était découpée par des murailles. Dès que les défenseurs perdaient pied, ils retraitaient vers la muraille suivante sous le couvert d’archers et de pièges en tout genre. Bien qu’en extrêmement large supériorité numérique, les pertes des assaillants furent colossales. Sauf que, pour des raisons politiques, les renforts tant attendus ne sont jamais venus et que nous les avons tous tués. Mais la méthode reste valable.

L’Ardonien fit une pause avec un petit sourire. Oui, dans son exemple, les défenseurs mourraient, mais il n’avait pas oublié comment il avait traversé la passe en marchant sur des montagnes de cadavres, sur bien plus de corps que ne pourraient en réunir Magnus.
Conscient qu’il était le seul à avoir déjà soutenu un siège, comme à en avoir réalisé un, il entreprit de simuler ce qu’il se passerait d’ici quelques semaines. Il leva les yeux, il y avait environ 200 mètres en ligne droite avant un léger coude.


Imaginez ici une muraille de quelques mètres de haut, avec nous dessus. En face, l’armée de Magnus charge. Leurs unités montées ne leur serviront à rien sur ce terrain. Possible que quelques archers tirent mais je doute de leur efficacité. Sur ce terrain découvert, que nous piègerons s’il nous reste du temps, nos archers pourront tirer, ou nos géants les bombarder. Puis le contact arrive. Ici, 5 hommes occupent toute la largeur de la passe. Donc, quelque soit le nombre en face, ici, ça sera du 5 contre 5. En tant que défenseur, c’est très simple, dès que l’on voit une tête, on tape. Petit à petit, il y aura une montagne de corps en bas qui servira d’échelle aux assaillants. Nous, si nous sommes 50, nous aurons donc 10 roulements. Quand l’un de nous fatiguera ou sera blessé, nous le remplacerons, et ainsi de suite. Quand l’ennemi commencera à prendre pied, les défenseurs replieront sous le couvert d’archers vers la muraille suivante où nous recommencerons. Le souci, c’est que plus nous replierons, et plus la passe s’élargie. A la sortie de la passe, la largeur doit être de 8 ou 10 hommes. Si nous perdons cette muraille, il faudra faire sauter la passe et se replier sur le base secondaire. Si la tour recèle un sort capable de faire ça, sa découverte pourrait bien être un élément important de notre victoire.

L’Ardonien s’arrêta là. Il n’était pas encore temps de parler de la composition des équipes de cinq, ou de la gestion des rotations ou des replis. Pour le moment, il était question de savoir si son plan était approuvé, question de comment construire rapidement le maximum de murailles et question de savoir comment piéger physiquement le maximum d’endroits et de savoir si un explosif magique serait disponible. Il savait que l’armée ennemie ressemblerait à une mer infinie. Que sa vision découragerait le novice et qu’il faudrait quelques vétérans pour leur redonner courage. Mais il savait aussi que, s’il pouvait leur balancer quelques milliers de tonnes de roches sur la figure, surtout après les avoir décimés sur les murailles, ça augmenterait radicalement leurs chances de survie.

Voilà l’idée générale. Une première muraille ici, une seconde là bas et ainsi de suite jusqu’à la plaine. J’attends vos commentaires.


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Mine que rien, il est pas mal l’encapé comme "généraux".

Et pis il a raison, je vais mettre ma bande de cons au turbin. Il est temps qu’ils servent à quelque chose parce que ça va bien cinq minutes de rester à rien faire avec les doigts de pied en "épouvantail".

Ils ont rien dans la caboche, ça c’est sûr… Mais ça les empêche pas d’avoir des bras. Et des bras de géant, c’est plutôt utile quand il faut couper des arbres et porter des cailloux…

J’ai indiqué à "Esquille" où il pourrait trouver des outils et pis il a filé chercher son copain vache avec le petit vomi vert.

Pendant ce temps-là, j’ai fait "éruption" dans les cabanes de mon troupeau de crétins, histoire de les motiver un peu à coup de pompes dans le derche. Je t’ai foutu tout le monde dehors avec les ordres qu’il fallait obéir aux ordres de "l’Air-de-Rien". Ils pigent pas vite en général mais là, ils ont quand même pigé qu’ils avaient intérêt à s’agiter les pinceaux pour sauver leurs miches. En grappe, ils sont tous partis d’un pas traînant et en râlant pour nous rejoindre par devant au torrent.

Et pis comme a dit mon copain, on a filé en courant. Il me fait rigoler, "l’Air-de-Rien", avec sa manie de cavaler… Moi, je m’en fous, je trottine pendant qu’il galope comme un "pour-cent", comme un "détalons" de course… Mais lui, on dirait que ça l’amuse de se prendre pour un "chevaux". Il a une bonne foulée, même que des fois, je me demande s’il va pas hennir.

Biquette a filé le train comme toujours. C’est qu’elle est fidèle, ma Biquette ! Et pis toujours volontaire pour faire plaisir… Je suis sûr qu’elle va bien nous aider en creusant des trous avec ses papattes, comme elle fait pour enterrer ses nonosses.

Sur le chemin, on n’a pas eu trop le temps de faire du "tourimse". Je lui ai montré un peu ma cambrousse mais on s’est pas attardé sur les détails. J’attendrai qu’on ait fini de ventiler les gugusses de l’olibrius Magnus avant de lui montrer mes coins à champignons.

Comme on a rattrapé mes abrutis, j’ai juste pris deux minutes pour leur botter le cul, histoire de leur donner de l’élan pour qu’ils arrivent plus vite. Parce que là, ils avaient le rythme d’une meute de tortues et si rien ne sert de courir et qu’il faut partir "au coin", je leur ai quand même signifié à coups de tatanes que quand on marche plus vite, on n'arrive pas plus tard.

Bref, on a débarqué au pied de la pente, vite rejoints par le panier avec les outils, les deux minotaures et leur truc de compagnie. Puis, la patronne s’est pointée à son tour, sur le dos de son gros piaf qui brûle.

"L’Air-de-Rien" nous a raconté une histoire que j’ai rien compris, sauf qu’ils sont tous morts à la fin et que c’est pas ça qu’on va faire. Et pis, il est parti dans une longue explication de comment il pensait que les choses allaient se passer et je dois dire qu’il raconte bien. Bordel de Brak, je m’y croyais tellement que j’étais déjà impatient de faire des moulins avec ma baguette à pointes.

Voilà l’idée générale. Une première muraille ici, une seconde là bas et ainsi de suite jusqu’à la plaine. J’attends vos commentaires.

Moi, des "comment se taire", j’en ai pas. Alors, j’ai rien dit ! C’est pas trop que je suis pas capable de faire des tactiques mais là, d’après ce que j’ai compris, il faudra que je reste devant pour disperser. Et c’est exactement la tactique que j’aurais pu penser tout seul !

La patronne n’a pas dit un mot non plus. Elle s’est dirigée lentement vers la panière et elle a pris une pelle qu’elle a balancée sur son épaule. Elle s’est approchée de nous et avec son petit air décidé qu’elle a, elle a dit :


- Je suppose que le mieux est de commencer par les fondations… Où pensez-vous que je dois commencer de creuser ?

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Les trois premiers jours avaient passé dans une ambiance laborieuse. Personne n’avait ménagé sa peine.

La bande de géants avait tardivement fini par les rejoindre et Grognar les avait mis tout de suite au travail en les chargeant d’abattre des arbres et de les transporter sur les lieux de construction. Cela ne s’était pas fait sans grognements incessants, mais cela s’était fait.

Ils travaillaient sans relâche, pressés qu’ils étaient par le temps, se ménageant de courtes pauses, commençant au lever du jour et ne s’arrêtant qu’à la nuit noire. L’impressionnante force physique de Grognar, de son clan et des deux minotaures était d’un secours précieux. Ils abattaient à eux seuls le travail de plusieurs hommes.

Pendant les veillées, on se contait ses exploits de combattant et une franche complicité naissait entre les prochains frères d’armes.

Lulyane s’embarquait alors sur le dos de son Iltarn pour rejoindre ses appartements, pendant que les mâles demeuraient sur place, campant à la belle étoile et ne dormant que d’un œil, celui qu’on garde ouvert dans l’attente d’une rude bataille, d’une mort prochaine peut-être.

Harassée de fatigue par l’éprouvante besogne qu’elle avait fourni toute la journée, la vampire ne prenait guère de repos pourtant. Elle préférait mettre à profit ses courtes heures pour fouiller dans l’immense collection d’ouvrages magiques de sa bibliothèque pour y trouver des sorts capables de les aider dans leur lutte, s’entraînant à les incanter, cherchant à les mémoriser…

Ce qu’elle cherchait en priorité ? Des sorts offensifs capables de frapper en même temps plusieurs ennemis, un sort d’explosion qui permettrait de créer un éboulement dans le défilé, comme l’Ardonien l’avait préconisé avec bon sens. Elle feuilletait frénétiquement des milliers de pages avant de s’arrêter sur quelques-unes qui présentaient le plus d’intérêt à ses yeux.

Puis, elle se reposait quelques heures avant de s’envoler à nouveau vers le sud de la vallée.

Au soir du quatrième jour, ils avaient réussi à dresser dans la passe trois murs épais faits de solides rondins de bois, équipés d’une plate-forme où pourraient prendre place les défenseurs, à plus de trois toises du sol.

Ces premiers exploits de bâtisseurs leur donnaient encore plus de cœur à l’ouvrage. Et il leur en faudrait car la tâche s’avérait loin d’être terminée.

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Trois jours avaient déjà passé depuis le départ de la Tour. Départ qui se révéla laborieux.

Exhyl avec l’aide de Shog avait fini par trouver Feldret qui dormait tranquillement dans sa chambre, à même le sol. Une fois réveillé, ce dernier aida à la récupération, au transport et au chargement des outils.

Un nouveau voyage en nacelle était obligatoire, et Exhyl monta à contrecœur. Seule consolation, il avait cette fois suffisamment de place pour respirer.

Ils arrivèrent en un seul morceau, et Corne Bleue n’était pas trop mal. Il allait suffisamment bien pour écouter de bout en bout les explications et idées de l’Ardonien.

Exhyl avait proposé pour limiter l’entassement des corps de les faire brûler. Cela présenterait des inconvénients si le vent soufflait vers eux, mais cela empêcherait l’ennemi de les utiliser comme escalier.

Puis, il s’était mis au travail, ainsi que Feldret.

Le quatrième jour arriva, et comme pour les précédents, Shog partait en éclaireur ne pouvant aider à la construction car trop frêle pour porter les lourds matériaux ou manier les outils. Et, à chaque fois, il constatait l’absence de végétaux sur le chemin, à part de rares touffes d’herbe sèche. Il était impossible pour quiconque de se cacher sur la voie menant à la vallée.

Et, comme les jours précédents, il avait pris avec lui de quoi se rassasier à la mi-journée pour éviter de devoir rentrer pour rien et limiter ainsi sa zone d’observation.

Et, chaque jour, il retrouvait davantage ses marques. Ses vieilles habitudes datant d’un passé qu’il avait pourtant définitivement rayé revenaient petit-à-petit. La peur stérile qui l’habitait habituellement laissait la place à une peur contenue, productive. Il faisait à présent de plus en plus attention à son environnement, et ne sursautait plus dès qu’une bourrasque de vent délogeait un caillou et le faisait dégringoler le long de la pente rocheuse avant de lui faire traverser le chemin puis tomber dans la rivière en contrebas.

Et, de jour en jour, il s’éloignait davantage du lieu des travaux. Il poussait son exploration de plus en plus loin. Ceci afin prévenir le plus tôt possible de l’arrivée des fuyards et des ennemis. Il s’éloignait aussi de plus en plus du chemin coincé entre le vide donnant sur la rivière en contrebas et les hauteurs rocheuses escarpées et accidentées. Il progressait sur la pente, mi-grimpant mi-rampant, au plus près de la roche possible pour éviter de se faire repérer.

La mi-journée était passée depuis peu lorsqu’il décida de s’arrêter. Il avisa une cavité peu profonde non loin de lui à une vingtaine de mètres du chemin. Il s’y installa inconfortablement et mâchonna son repas.

Alors qu’il mangeait sans entrain, par obligation pour aider son corps à tenir, un mouvement dans les airs attira son regard. C’était la première fois en quatre jours qu’il regarda dans cette direction. Il en oublia son repas et se concentra sur la tâche qui se mouvait dans cet océan aérien.

Au début, il pensait qu’il s’agissait d’un oiseau, assez grand tout de même, qui volait haut dans les cieux. Mais, à mesure qu’il se concentrait, il se rendit compte que ce n’était point un oiseau bien que cela volait. C’était plus imposant que n’importe quel volatile qu’il ait pu voir. Et, ça volait assez haut pour n’être qu’un point pour le gobelin. Shog n’avait aucune idée de ce que cela pouvait être, mais sa peur, celle primaire, non contrôlée, lui ordonna de rester dans son trou.

Une heure passa pendant laquelle le verdâtre resta immobile. Le point restait toujours en vue, décrivant des cercles de plus en plus larges. Puis, à un moment, il descendit suffisamment pour que le point se transforme en forme reconnaissable. Shog la reconnut de suite, un chacal volant. Sa présence n’avait rien d’extraordinaire dans les montagnes, son habitat naturel, mais sa façon de voler était étrange. De plus, il était seul, or, le gobelin savait qu’ils se déplaçaient en meute.

Et, enfin, l’animal s’en alla. Du moins, n’était-il plus en vue. Le gobelin patienta quelques minutes supplémentaires. Toujours aucun mouvement. Il se décida et s’extirpa précautionneusement de sa cachette. Puis, il décida de ne pas perdre de temps, il rejoignit le chemin.

Et, là, les deux pieds sont une surface stable et droite, il courut. Il courut à en perdre l’haleine. Il courut à sentir son cœur près d’exploser. Il courut à ne plus sentir ses pieds dont la chair était meurtrie par les graviers. Il courut à ne plus penser qu’à la course. Il courut à en être totalement vidé. Il courut à sa destination.

La nuit était déjà tombée lorsqu’il arriva, le souffle coupé, la respiration haletante, au lieu des fortifications. Feldret fut le premier à le voir. Il se porta à sa rencontre, et finit par le porter tant Shog paraissait épuisé. Le gobelin essayait de parler tout en reprenant son souffle, ce qui faisait qu’aucun son compréhensible ne sortait de sa gorge et il n’arrivait pas à respirer correctement.

Corne Brisée l’obligea au calme. Sans le soutien du minotaure, Shog se serait affalé par terre. Puis, lentement, sa respiration se calma et se fit régulière. Il recommença à couiner.


« Un chacal… volant. Vu un chacal volant. »
« C’est c’qui t’a mis dans c’état ? » demanda Exhyl que le bruit avait attiré.
« Seul. Pas normal. Meute normalement. Observait. Espionnait. » couina le gobelin en recommençant à prendre son souffle.
« T’es sûr qu’il espionnait ? »
« Non. Oui. Sais pas. Mais, pas normal. Danger. Ai senti du danger. »
« C’est bon Shog. Calm’toi. J’vais aller l’dire à l’Ardonien. Il saura quoi faire d’cette nouvelle. »

Exhyl laissa donc le gobelin en compagnie de Feldret et partit à la recherche de l’humain pour lui rapporter les propos de Shog et le laisser réfléchir à ce que cela pouvait signifier.

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Le matin du quatrième jour commençait. Tous étaient prêts pour une nouvelle journée de travail. Ils ne ménageaient pas leur peine et les travaux avançaient bien. La veille, le guerrier leur avait précisé qu’il faudrait que ceux qui combattraient cessent les travaux au moins 3 jours avant le début des combats, afin d’être en forme le moment venu. Mais ils n’en étaient pas encore là.
La magicienne mettait autant de cœur à l’ouvrage que les autres. Ce point réjouissait énormément l’Ardonien. D’un abord plutôt froid, il se demandait quel type de chef était réellement la vampire. La voir participer avec autant d’efforts aux travaux le rassurait, il avait l’impression de retrouver l’esprit de dévouement qui animait les dirigeants d’Eryope, l’esprit qu’il s’était promis, il y a bien longtemps, d’appliquer à son propre village.
Lulyane venait d’arriver et descendait de son illtarn. Elle le salua d’un signe de tête et rejoint le reste du groupe. L’humain savait qu’elle faisait des recherches dans sa tour le soir, et il faudrait qu’ils en parlent dans les jours à venir afin de déterminer la meilleure mise en application des sortilèges qu’elle pourrait trouver. Piéger une falaise ne s’improvisait pas et il faudrait donc si prendre en avance.
Tous savaient ce qu’ils avaient à faire et sa présence ici n’était plus indispensable. Trois murailles se dressaient et d’autres suivraient. Les travailleurs avaient bien compris comment les construire, l’espace qu’il fallait laisser entre deux pour que les équipes de soutien et médicales puissent intervenir, etc. Il pouvait donc passer à autre chose.


Aujourd’hui, ou ce matin du moins, Grognar et moi allons vous laisser. Nous allons essayer de définir notre second camp retranché où nous pourrons stocker les réfugiés qui arrivent. Nous en tracerons juste les contours, à eux ensuite quand ils arriveront de le retravailler pour le rendre réellement solide.

Et les deux guerriers partirent. L’humain demanda au géant de lui trouver une zone vaste, tout en étant facilement défendable. Ils dénichèrent à 2 heures de marche de la faille un plateau propice à ce qu’ils voulaient faire. La côte qui y montait donnerait l’avantage aux défenseurs et ils étaient encore suffisamment dans les contreforts des montagnes pour qu’il soit facile d’obliger l’ennemi à n’attaquer que par un seul coté. L’Ardonien demanda à Grognar de prendre quelques uns de ses géants pour construire 2 ou 3 grandes cabanes et de délimiter les différents éléments du camp. Par exemple, ils creuseraient sur une dizaine de centimètres la muraille extérieure. Quand les réfugiés arriveraient, ils en feraient une vraie douve hérissée de pointe et construiraient un muret de l’autre coté. Ils parlèrent rapidement d’une voie de repli vers la tour, puis, l’essentiel étant dit, ils repartirent. Le but n’était pas tant de consolider tout de suite le second camp que de savoir quoi faire du convoi qui arriverait.

Ils revinrent sur les coups de midi, et l’humain résuma leur escapade pendant le repas. La journée se finissait quand Exhyl vint lui rapporter la découverte de Shog. De prime abord, L’Ardonien failli ne pas tenir compte de cette information. Sauf que son médaillon chauffait doucement au fur et à mesure du récit. L’humain n’avait aucune idée de ce que cela signifiait si ce n’est que l’objet avait toujours une raison. Il convoqua Shog.


Je ne peux te dépêcher une quelconque aide sur la base de ces informations. Tu vas devoir en apprendre plus, et, si c’est bien un espion, imaginer un piège pour le tuer. Ne fais qu’imaginer ce piège. Quand tu seras prêt à le mettre en application, tu prendras le nombre de guerriers qu’il faudra pour le réaliser.

La mission ne serait pas simple pour le gobelin, mais ici, rien n’était simple pour personne. La veillée se passa, Lulyane repartie, et L’Ardonien, après avoir rappelé que savoir se reposer faisait souvent la différence entre la vie et la mort, se prépara à plonger dans les profondeurs d’un sommeil paisible et revigorant.

Ce qui n’arriva pas.


L’Ardonien se « réveilla » dans cette fameuse clairière envahie de brume, qui donnait un air fantomatique aux arbres la bordant. Il savait qu’il dormait, mais il savait également qu’il était vraiment là. Qu’une mort ici signifiait probablement une mort là bas. C’était d’ailleurs la principale différence avec le premier « rêve ». Aurait-il encore une vision ?
La seule explication qu’il voyait est qu’il arpentait le plan onirique. Comment il en était arrivé là, il n’en savait rien, mais la solidité du sol sous ses pieds rendaient la chose irréfutable.
La brume s’écarta devant lui, dévoilant un être colossal, fantomatique et légèrement brillant. La présence écrasait littéralement de puissance l’humain. Ce qu’il ressentit, jamais il ne l’avait ne serait-ce qu’envisagé, et il ne le ressentirait sans doute plus jamais, si toutefois il s’en sortait vivant. Pourtant, il avait déjà été confronté à de la puissance brute. Il avait côtoyé Lulyane dans sa tour, là où son pouvoir était le plus concentré. Mais ça ne ressemblait qu’à une petite brise en comparaison. Pour la première fois de sa vie, L’Ardonien su que, s’il y avait combat, il ne pourrait gagner. C’était un sentiment étrange, mais, la surprise passée, l’humain s’en incommoda. Après tout, ce fait ne deviendrait problématique que si l’être en face l’attaquait.
IL parla et SA voix empli tout l’espace. L’Ardonien n’essaya même pas de l’interrompre.


Sois le bienvenu dans ce lieu humain. Je t’ai choisi pour que tu deviennes quelque chose de différent. Parmi les miens, nous appelons ça un champion. A partir de maintenant, tu vas rester comme tu es. Ta force physique ne s’étiolera pas, ton apparence ne se ridera pas, seule ton expérience augmentera. Et tu feras ce que tu as toujours connu. Tu voyageras de guerres en guerres, de conflits en conflits. Nulle cause autre que la tienne tu ne défendras, nul repos tu ne pourras détenir plus de quelques temps. Oui, je sais, c’est déjà ta vie. Tu croiras marcher au hasard mais tes pas te porteront là où une épée sera utile. Je ne t’impose ni le bien, ni le mal. Ton camp sera celui que tu choisiras. Tu peux essayer de fuir ces combats, mais nous savons tous les deux que tu ne le pourras pas. Tu as déjà essayé.

L’être se tut et l’humain dû assimiler ces paroles. Oui, depuis bien des années déjà, il avait voyagé là où on combattait. Il avait pris une retraite dans un village, mais au bout de quelques mois, il avait de nouveau replongé dans les batailles, les aventures et les voyages. Ainsi, la chose lui apprenait qu’il ferait ça aussi longtemps que personne ne réussirait à le tuer en combat. On pouvait le voir comme une malédiction ou une bénédiction. Il se décida à poser quelques questions, qu’il choisit avec soin.

Pourquoi m’avoir choisi parmi tous les guerriers ? Qu’as-tu à y gagner dans cette affaire ? Mon destin est-il de combattre jusqu’à mourir au combat ?

L’être répondit d’abord à la dernière question.

La mort reste toujours la solution la plus facile. Mais rappelle-toi bien que le destin n’existe pas. Ce que j’y gagne ? Tu ne le comprendrais pas. Tu n’as qu’à te dire que parmi les miens, avoir des champions est utile, c’est une forme d’ascension sociale. Et pourquoi toi ? Un combattant comme toi est très rare, même si tu es loin d’être unique. Par contre, il est rarissime qu’il voyage avec un objet permettant de contacter le divin. C’est par ton pendentif que j’ai pu t’amener en ce lieu. Cela n’a pas été facile et je suis bien content d’avoir réussi. Pour une fois que ce genre d’objet tombe entre les mains de quelqu’un d’intéressant. C’est aussi lui qui te guidera quand tu ne sauras où aller. Ton jubwirl étant le combat, il te préviendra quand un s’annoncera. Je sens qu’il te reste deux questions, mais ne peut les deviner. Pose les.

Tu as dis que parmi les tiens, on nous appelait des champions. Quel est le nom que l’on donne parmi les miens ? Et la seconde question : Aurais-je quelque signe distinctif ?

Parmi les tiens… Tu es celui que l’on oublie, celui qui arrive et qui combat, le porteur de mort au milieu des mourants, mais dont on ne sait pas le nom. Toi-même, tu voyages sous un nom qui n’est pas le tien. Et quand les gens se souviennent qu’il y avait quelqu’un avec eux, quand l’heure est venue de raconter l’histoire qui deviendra légende, on en parle comme du héros solitaire. C’est ce qu’il reste la plupart du temps. Tu auras, as déjà, de bons amis qui connaitront l’homme derrière le guerrier, mais ils seront rares. Mais ça, tu le sais déjà, et c’est pour ça qu’au fond de toi, tu les chéris autant.
Pour la seconde question, non, tu n’auras rien, si ce n’est une épée. Elle ne sera pas magique, du moins, pas pour le moment, et peut être même jamais. Sa seule particularité, c’est qu’elle ne se brisera jamais, afin que, de tout temps, tu sois en mesure de combattre.

Au revoir L’Ardonien, nous ne nous reverrons probablement pas de si tôt.


L’Ardonien se redressa dans l’aube naissante. Lulyane arrivait et descendait de son illtarn. Les brumes de la nuit se dissipaient dans l’esprit de l’humain. Par acquis de conscience, il tira son épée. Son visage se refléta dans l’éclat argenté de sa lame, lame qu’il voyait pour la première fois de sa vie.

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Y’a pas à dire, le travail au grand air, y’a que ça de vrai ! Voilà une bonne semaine qu’on turbinait toute la journée et du coup, je me faisais des nuits de bébé, à dormir du sommeil du "zut".

En général, c’est le flap-flap du "zosiau" à flammes de la patronne qui me réveillait au petit matin. J’ouvrais les mirettes, je m’étirais en baillant et du coup, je gobais les moucherons. Et puis comme je suis une bonne pâte et plutôt "serviette", je préparais le café pour tout ce petit monde, le temps qu’ils sortent de leur sommeil.

Et pis après, je profitais de mon envie d’aller me vider la tripaille pour m’enfoncer un peu dans la forêt et je ramenais deux-trois lapins vivants pour le petit-déjeuner de la patronne.

"Esquille" et ses petits copains galéraient pas trop mais "l’Air-de-Rien", lui, des fois il se réveillait pas frais. L’autre matin, il s’est regardé dans son épée comme une donzelle dans un miroir. Il se cherchait un bouton ou quoi ? En tout cas, il avait pas la tête d’un gars qu’a bien dormi.

Bref, ce matin-là, on finissait notre casse-croûte avant de retourner se jeter dans le turbin quand j’ai aperçu un drôle de piaf qui nous survolait. Une grosse forme à plumes et à poil, qui se dirigeait tout droit vers la Tour. Juste avant de rebrousser et de se rapprocher de nous.

Quand il s’est posé pas loin, j’ai reconnu "l’oreille-en-pointe" que ma vampire avait nommé "con de l’étable". Il avait pas la mine du gars qui vient avec des bonnes nouvelles et on s’en est tous aperçu.

- Je filais à la Tour, je ne pensais pas vous trouver ici, Madame ! Et puis, je vous ai aperçus…

Sur un signe de la taulière, il s’est assis "par minou" et il a commencé à nous raconter l’armée qu’il avait vu. Et là, je dois dire que la bave me montait aux lèvres. 800 fantassins, 200 cavaliers d'élite, 20 balistes, 20 catapultes et 200 archers… Rien que ça ! Ça allait en faire du nonosse à piler, des crânes à broyer et des membres à disséminer…

Du coup, je vois pas pourquoi tout le monde s’est mis à tirer la tronche. On aurait dit que ça leur faisait pas plaisir… Même l’encapé, ça avait l’air de lui causer du "sourcil"… Pourtant, c’est pas le dernier pour la rigolade.

En tout cas, ma bande de cons, quand je leur ai annoncé qu’ils allaient pouvoir lancer des cailloux sur plein de p’tites têtes, ils ont pas hésité à dire qu’ils étaient contents. Enfin… Ils ont sautillé en poussant des cris parce que c’est à peu près tout ce qu’ils sont capables de faire.

Du coup, ça m’a rappelé qu’ils étaient pas là pour se tourner les "mousses", et je les ai convaincu avec deux-trois taloches d’aller ramasser de la caillasse, la plus grosse possible, pour se faire des stocks de "porjectiles".

Pendant ce temps-là, l’ambiance s’était pas améliorée autour du feu de camp et on commençait à tirer des plans sur la "pommette". Moi, quand on parle étripage et assommage, je rapplique fissa. J’apporte peut-être pas des idées, mais je tiens à savoir où je dois me placer pour être le mieux servi.

- Leurs forces seront plus nombreuses que nous le pensions, dit Lulyane. Et avec leurs machines de guerre, je ne suis pas certaine que notre système de défense tienne très longtemps. L’Ardonien, Exhyl, des suggestions ?

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L'Ardonien prit la nouvelle comme elle arriva et commença à analyser la situation en finissant son café.
Une fois cela fait, il entreprit de remonter le moral des troupes. Et il espérait que la bonne humeur des géants serait contagieuse.



Messieurs, madame, il ne faut pas baisser les bras. Le terrain jouera pour nous. Les fantassins mourront par dizaines au pied de nos murs et les cavaliers pas plus que leurs armes de siège ne serviront dans ce défilé.
Il y aura du monde oui, mais ils n'arriveront pas tous en même temps. Le moral est important, et ici, loin de chez eux, pour un combat qui ne les concerne pas, quand ils verront que pour beaucoup, ce combat ne signifie qu'une mort anonyme, vous verrez que leur combativité tombera. Mais de notre coté, il faut y croire, sinon, ça ne sert à rien. Quand vous combattez, faites le pour gagner, soyez en tellement sûr que vous ne vous posiez même pas la question sur l'issue. Dans votre esprit, imaginez 800 cadavres dans ce défilé.



Il leur laissa le temps d'assimiler ses paroles. Ils n'avaient jamais vécu de siège, probablement jamais de batailles dignes de ce nom. L'inconnu faisait souvent peur, surtout vu les forces en présence. L'Ardonien savait qu'il allait devoir se montrer exemplaire, ne pas faillir, ne pas douter.



A présent, il faut aussi être actif. Je vous l'ai dit, le moral est important, primordial. Et, si les ennemis arrivent ici déjà déprimés, maudissant les épreuves qu'ils traversent, tout fait en notre faveur les frappera d'autant plus durement. Il suffira peut être même de seulement deux jours de combat pour qu'ils s'en aillent.
Ils ne viennent pas ici pour une idéologie, seulement pour accomplir la vengeance d'un chef qu'ils n'aiment pas. On peut vite refuser de mourir pour cela.
Et je pense que de petites victoires au contraire augmenteront le moral et la confiance de nos troupes.

Lulyane, j'aimerais mener des missions derrière les lignes ennemies, avec si possible vos hommes en roulement. Si nous coupons leurs lignes de ravitaillement, ils seront contraint de se rationner et ne pourront pas prévoir ici un long siège.
Un soldat déprimé et sous alimenté est plus facile à tuer, surtout si les défenseurs savent qu'ils peuvent vaincre.

Et pendant ce temps, ici, vous continuerez les travaux.

Et aussi, j'aimerais vous voir pour ce que l'on peut faire en piège pour cet endroit, que l'on combine votre savoir et vos ressources à mon expérience de ce genre de surprise.



Ceci dit, L'Ardonien remit une tournée de café et attendit les réactions et idées des autres membres de la troupe.


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Shog avait été convoqué par l’Ardonien et s’y était rendu avec appréhension. Et, comme il le craignit, l’humain ne s’intéressa à sa découverte que moyennement. Il allait devoir capturer un de ces monstres. Le gobelin ne savait pas comment il allait pouvoir piéger un chacal volant. Mais, comme on lui avait demandé d’y réfléchir, il allait faire ainsi.

Les deux jours suivants, il continua ses missions de reconnaissance. A présent, il se concentrait davantage sur les cieux que sur la terre. Evidemment, il revit la silhouette, à présent reconnaissable, du chacal volant bien haut dans les airs. Tout le temps, il cherchait une idée pour l’attirer au sol.

Ces deux journées furent épuisantes et éprouvantes pour le gobelin. La frayeur d’être repéré par l’animal volant le forçait à ramper et à se mouvoir collé au sol. Ses mains, ses pieds, ses coudes et ses genoux étaient écorchés, ensanglantés. Il ne se plaignait pas de la douleur, cela le forçait à rester alerte. Mais, cela l’affaiblissait et il ne s’en rendait pas compte. Pas encore, du moins.

Le premier matin de la deuxième semaine, Shog n’était pas très frais. Il avait encore passé la majeure partie de la nuit à réfléchir à un plan pour attraper ce fichu bestiau. Il avait échafaudé de nombreuses hypothèses, mais aucune ne semblait viable.

Ce ne fut que lorsque l’elfe chevauchant son griffon apparut qu’une solution s’imposa à lui. Enfin, lorsqu’il décrit ce qu’il vit. C’est la mention des archers qui déclencha le déclic. Oui, il pouvait utiliser un archer pour atteindre l’espion.

Shog avait été tellement focalisé sur le fait de l’attirer qu’il n’avait pas pensé plus tôt à chercher un moyen de l’atteindre. Il se serait épargné bien des tortures mentales s’il avait pris le problème du bon bout.

A présent qu’il avait son plan, il lui fallait les exécutants. Trois tireurs devraient suffire. Mais, il n’osait pas les demander, même si l’humain lui avait dit qu’il n’avait qu’à prendre les personnes nécessaires. Il allait donc demander à Exhyl de faire sa demande à sa place.

Le minotaure grâce au travail physique qu’il avait fourni au cours de cette dernière semaine avait l’impression de rajeunir. Il n’était pas si vieux que cela, mais travailler ainsi lui rappelait son noviciat. Il n’avait jamais eu de tels ouvrages à bâtir, mais il avait réalisé son quota de labeur quotidien. Cela principalement pour l’aider à gérer et juguler son comportement violent et son prompt emportement aux provocations.

Et là, juste avant de retourner travailler, et avoir l’impression de rajeunir même si son corps lui disait le contraire, un messager arriva. Un oiseau de mauvais augure, annonçant les troupes qu’ils allaient devoir affronter. Ils allaient devoir se battre en forte infériorité numérique.

Feldret se fichait totalement de ce fait nouveau. Ce qui lui importait était simplement de faire du bon, de l’excellent travail. Et, c’est ce qu’il effectuait jour après jour. Il se contentait de suivre les consignes qu’on lui fournissait lorsqu’il en avait besoin. Cela le changeait de sa forge, qui lui manquait même si l’éloignement était supportable, mais il ne détestait pas ce qu’il faisait.

Exhyl écouta les explications de l’Ardonien suite aux nouvelles préoccupantes de l’éclaireur. Concernant le moral de l’armée adverse, il était plus que dubitatif par les propos de l’humain. Il ne voyait pas en quoi le fait d’être loin de chez eux les ferait moins bien se battre et tout. Cependant, il avait quelques remarques à faire.


« J’crois qu’pourtant leurs armes de sièges, ils vont les utiliser. Ils auront p’têt pas beaucoup d’place pour les mettre, mais ils vont les utiliser contre nos fortifications. C’est c’qui d’vrais être l’plus efficace pour passer, et ils auront pas b’soin d’mourir en masse pour passer. Donc, si tu vas faire des attaques surprises contre not’ennemi, il faudrait aussi qu’tu vois si tu peux pas détruire leurs armes aussi. Mais, j’sais pas si c’est une bonne idée d’aller attaquer l’ennemi de ta façon, parc’que leur ravitaill’ment doit être défendu, et une perte chez nous s’ra plus dure à supporter qu’chez eux. Mais bon, p’têt qu’c’est mieux de p’têt perdre des hommes maintenant alors qu’ils auront affaibli l’ennemi qu’plus tard pendant l’siège. En fait, j’sais pas trop, j’pense qu’c’est mieux qu’ce soit toi et Lulyane qui décidez. T’es l’meilleur stratège de nous et Lulyane est la chef d’l’armée qu’est ici. Et, pour les travaux, tu peux comptez sur nous, tu nous dis avant c’qu’on doit faire et où, et on s’en occupe pendant qu'tu s'ras pas là. »

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Lulyane avait passé beaucoup de temps avec l’Ardonien pendant les quelques jours qui suivirent. Ils avaient parcouru le défilé pour y dresser quelques pièges qui les aideraient à retarder leurs ennemis.

L’œil expérimenté du mercenaire avait su distinguer les fragilités dans la roche et ensemble, ils avaient sapé quelques blocs de rocailles. Le moment venu, Lulyane lancerait un sort d’éboulement sur les endroits choisis et leur travail de préparation en augmenterait les effets.

En économisant beaucoup de mana, la vampire pourrait se contenter de quelques enchantements primaires pour faire s’effondrer une grande partie de la masse rocheuse. A moindre coût, ils pourraient ainsi espérer compliquer l’avance de leurs adversaires, voire en ensevelir quelques-uns sous les pierres. Et Lulyane préserverait une grande partie de son énergie pour utiliser ensuite quelques sorts plus offensifs qui ne seraient sans doute pas superflus.

Les fortifications étaient maintenant achevées et les bâtisseurs redéployèrent leurs efforts sur la base arrière, ce fortin qui abriterait les réfugiés et dont Grognar et l’Ardonien avaient établis les contours.

Quant la population serait là, elle se chargerait de terminer l’ouvrage mais tout le travail qui pourrait être effectué avant serait un gain de temps.

Les jours avaient passé, l’imminence de la bataille serrait le ventre de tous les défenseurs. La peur, l’angoisse, l’attente oppressante leur tordait les entrailles. Aucun d’eux peut-être ne survivrait. Il ne restait que Grognar et ses congénères pour trépigner d’impatience à l’idée d’en découdre.

Formidable optimisme des géants ou formidable inconscience, plus les jours avançaient et plus ils étaient surexcités.

Mélandriel, à dos de griffon, ne cessait de faire des allers et retours entre la colonne de réfugiés et les maigres troupes de la Comtesse pour informer les uns de l’avancée de la caravane et les autres de la progression des travaux.

A l’écart du groupe, elle avait fait part à l’Ardonien de ses doutes et de son refus de sa proposition :

- Couper leurs lignes de ravitaillement ? L’idée ne serait pas mauvaise si nous pouvions nous permettre des pertes… Mais hélas, je ne suis en mesure de me passer d’aucun d’entre vous. Et de vous encore moins que des autres, l’Ardonien. Vous êtes le plus expérimenté, le plus à même de gonfler le moral des troupes, de causer à l’ennemi des dégâts importants. Je ne peux pas prendre le risque de vous perdre. Et si vous ne reveniez pas de votre mission ? Pour nous, ce serait la défaite assurée.

Elle n’était pas une guerrière, ne l’avait jamais été et elle plaçait toute sa confiance, tout son espoir sur cet humain, l’un des rares qu’elle ne haïssait pas, l’un des seuls qu’elle n’avait pas envie d’égorger.

Elle en avait fait, à la fois contrainte et à la fois volontairement, le général de sa piètre armée. Il lui était trop précieux pour qu’elle envisage de se passer de ses talents. Il était le pivot de sa défense et elle refusa catégoriquement de le laisser prendre le risque d’une mission-suicide.

- Vous resterez à nos cotés ! C’est ici que nous attendrons Magnus, fermement ancrés dans cette passe ! Et si nous devons mourir, ce sera tous ensemble et côte à côte !

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Le regard de L’Ardonien s’enflamma d’une lueur sauvage. Nulle colère à l’intérieur, au contraire, les mots de Lulyane lui firent un immense plaisir et lui donnèrent une motivation plus importante que n’importe quel discours qu’elle aurait pu faire.

Il appréciait réellement les moments passés en compagnie de la jeune vampire qu’il apprenait à connaitre. Ils en avaient tiré, pensait-il, un respect mutuel et une certaine confiance. Les pièges avaient été mis en place promptement, mais L’Ardonien était beaucoup plus optimiste que la sorcière quand à l’efficacité de l’éboulement. Après plusieurs jours de siège, empêtrés dans les restes des fortifications tombées et des cadavres pourrissant, fatigués, l’éboulement ferait un carnage. Avec un peu de chance, et il savait que c’était leur meilleur espoir de survie, l’armée se rebellerait contre son chef et tous rentreraient chez eux plutôt que de déblayer le terrain dans cette passe ouverte aux vents glacés pour continuer l’invasion.


Vos mots me touchent Lulyane, et je comprends vos motivations. Soit, je resterai ici. Nous avons bien œuvré, et je pense que nous pouvons diminuer le labeur de nos troupes. La première ligne de défense et notre stratégie sont en place. Mais, parce que vous et moi sommes ce que nous sommes, nous allons à présent devoir nous atteler à une tâche plus délicate. S’il vous plait, réunissez l’armée, dans sa totalité, je dois leur parler. Et vous devrez être à mes cotés à ce moment là. Je sais que vous comptez sur moi pour les dynamiser, mais ne sous-estimez pas votre importance. Vous comme moi allons devoir être exemplaires. Nous ne pourrons nous relâcher que dans des endroits comme celui-ci, loin de tout regard et de toute oreille.

Ils allaient partir quand le guerrier se résolu à une dernière confidence.

Je suis comme maudit vous savez, condamné à combattre encore et encore. C’est récent, mais je suis heureux de pouvoir vous en parler, peut être parce que vous me comprendrez. Grâce à vous et votre cause, je me dis que c’est peut être bien une bénédiction, qu’il y a des choses pour lesquelles on peut se battre.

***

L’armée se tenait dans la plaine, et cela ne représentait pas tant de monde que ça. Lulyane et L’Ardonien leur faisaient face, debout sur une estrade improvisée. La Vampire se tenait légèrement en retrait sur sa gauche, mais ce n’était pas dans une position d’infériorité. Elle donnait plutôt l’impression de soutenir ce que le guerrier allait dire, de montrer à son peuple qu’elle ne fuirait pas ses responsabilités.

Guerriers !
Quelle que soit votre race, votre âge, votre expérience, vous êtes ici pour une même cause. Je sais que beaucoup d’entre vous craignent ce qui va arriver. Vous avez comme moi entendu les rapports de nos espions. D’ici peu, ce défilé grouillera de fils de putes prêt à tout pour vous étriper. Il y en aura tant que vous n’en verrez pas la fin, que vous ne pourrez même pas les compter. Et si jamais nous perdons le défilé, alors nous aurons en plus à combattre des cavaliers et des machines de siège.

Tout cela est vrai.

J’ai probablement vu plus de batailles que vous tous réunis, j’ai vu tant de morts qu’ils pourraient remplir ce défilé et déborder des deux cotés, j’ai tué à peu près tout ce qui peut se tuer, j’ai vu mon épée se briser parce que j’avais fendu trop de crânes dans une même journée, et je vais vous dire ce qu’il va se passer, pourquoi nous allons gagner et pourquoi, lorsque la peur vous serrera les tripes, vous tiendrez votre position.

Dans quelques jours, vous verrez arriver par ce chemin, non pas des soldats, mais des femmes, des vieillards et des enfants, vos enfants, votre peuple. Ils auront au fond des yeux de la peur, de la fatigue, et ils vous regarderont en recherchant une lueur d’espoir.
Et pour eux, vous bomberez le torse, et pour eux, vous tiendrez votre poste. Quand le matin du premier jour, vous regarderez dans le lointain l’ennemi charger, vous me verrez entre vous et eux. Vous me verrez tuer le premier ennemi qui osera mettre la main sur ce rempart et là, vous ferez de même. A un moment, vos bras vous feront mal et vous aurez envie de tout lâcher, vous vous direz pourquoi ? Pourquoi continuer ? Et là, vous repenserez aux regards des enfants, et pour eux, pour leur donner un avenir, vous fendrez un crâne de plus, et un autre. Vous repenserez à Lulyane ici présente qui a su réunir un peuple, a su convaincre des hommes comme moi de venir risquer leur peau ici. Vous vous souviendrez l’avoir vu tous les matins bâtir ces murailles et vous voudrez que cette promesse d’un royaume juste sous la direction d’un dirigeant aimant ses gens devienne réalité.

Et en face, quand ils verront qu’ils vont à l’abattoir, qu’eux aussi se chercheront une raison de continuer, eux aussi penseront à leur foyer, le foyer qu’ils ont laissé derrière eux et qu’ils ne reverront jamais. Ils nous verront immenses et indéboulonnables et ils connaitront la peur et la soif de rentrer chez eux.

Voilà pourquoi nous allons vaincre, pourquoi quelqu’un comme moi, qui n’appartiens pas à votre peuple, ai choisi de combattre en première ligne.
Alléger vos journées et passez du temps avec vos amis, avec votre famille, puisez en eux la force qui vous rendra invincibles pour que le moment venu vous montriez à ceux d’en face que cette terre est une terre de liberté.


Une acclamation ponctua son discours, mais plus que ça, il vit une nouvelle résolution dans le regard des combattants. Ils avaient compris qu’il y avait plus que leurs vies qui étaient en jeu, et du coup, ils n’auraient plus peur, et surtout, aucun ne montrerait ses moments de faiblesses, si contagieux dans une armée. Lulyane se rapprocha.

Les premiers jours seront faciles vous savez, faciles et décisifs. Nous aurons clairement l’avantage grâce à nos fortifications. Ça sera ensuite, quand nous commencerons à fatiguer que nous aurons nos premiers morts. Il faudra espérer que nous aurons suffisamment affaibli l’ennemi, dans leur cœur notamment. Je persiste à penser que leur chef n’est pas la cible, si ses hommes ne veulent plus combattre, ils partiront, même si nous sommes à deux doigts de la défaite.

Lulyane, j’ai encore deux choses à vous demander, j’y ai pensé pendant ce discours. Quand les réfugiés arriveront, je pense qu’il serait bon de déboucher les fûts de bière que conserve Grognar et d’organiser un banquet.

Ensuite, nous sommes peu nombreux, mais ça veut dire que nous pouvons peut être tous les équiper comme des princes. Feldret est forgeron. Si, grâce à la magie, vous pouviez lui trouver un matériau léger et résistant, nul doute qu’il arriverait à considérablement renforcer notre petite troupe Je peux vous aider à chercher si vous voulez, je peux peut être déceler la promesse d’une arme ou d’une armure dans des choses inattendues.
Il sourit.


Voilà, j’ai beaucoup parlé, à vous à présent. J’espère que ce petit numéro vous a plu, c’était une première. Merci pour votre présence, j’y ai puisé force et inspiration.

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Shog allait enfin demander à son chef l’aide qu’il voulait. Mais, ce dernier était occupé. Pas longtemps, donc le gobelin put faire sa demande rapidement. Exhyl grogna, comme s’il n’avait que ça à faire.

Ce qui était le cas, car l’Ardonien et Lulyane s’étaient éloignés et on ne lui avait rien demandé d’autre. Il partit donc chercher les elfes qui devraient accompagner le gobelin. Il n’eut pas à aller loin. Deux guerriers marchaient dans sa direction, se rendant vers le lieu des travaux. Il les arrêta et leur annonça qu’il avait besoin de leur aide.

Il fallut du temps au minotaure pour les convaincre d’aller assister Shog. Les elfes ne voulaient ni obéir à un minotaure ni à un gobelin. Mais, la mention de l’humain les contraint à l’obéissance. Exhyl se rendit compte que l’Ardonien avait beaucoup d’autorité.

Une annonce se répandit dans la vallée. Un rassemblement était demandé. Là, une fois tout le monde présent, l’humain se lança dans un discours. Cela impressionna le minotaure. Exhyl jalousa le talent d’orateur de l’humain. Cela ne l’intéressait pas vraiment, il n’avait pas besoin de paroles pour garder le moral, seuls les actes le pouvaient.

A la fin du discours, les elfes vinrent plus motivés rejoindre Shog. Le gobelin était un peu embêté qu’il manque une personne, mais cela ne remettait pas en question son plan. Il discuta un peu avec eux des idées qu’il avait eues d’une voix hésitante. Malheureusement, toutes celles qu’il proposait n’incluant pas la mort de l’animal étaient refusées. Pour la simple raison qu’elles étaient irréalisables. Bref, il ne restait que la solution mortelle, mais qui avec de la chance pourraient fonctionner comme il l’entendait.

Les trois chasseurs partirent donc vers le lieu que le gobelin fréquentait ces derniers jours. Le petit progressait mi-rampant, mi marchant à quatre pattes, exhortant les deux grands sveltes à l’imiter. Les deux elfes avançaient difficilement sur ce chemin escarpé, maudissant leur chance qui les avait amenés là.

Finalement, au bout de deux heures, ils atteignirent leur objectif. La crevasse dans laquelle le gobelin s’était refugié la première fois qu’il avait aperçu le chacal volant. Là encore, il sentit sa présence, bien qu’il ne le vit pas. L’œil perçant des oreilles pointues repérèrent la bête volante. Oui, il s’agissait bien d’un chacal volant. Le petit être avait dit vrai.

Les deux archers prirent leur arc, testèrent la corde, sortirent une flèche, l’encochèrent et bandèrent leur arme. Le premier visa soigneusement, tenant compte de la hauteur, du vent et du mouvement de la cible. Puis, il relâcha la pression. Le projectile fusa dans les airs, filant droit vers l’espion. La flèche traversa l’aile droite du monstre qui poussa un cri de douleur. Il chercha à fuir, handicapé par sa blessure. Le deuxième archer tira et toucha la bête à l’autre aile.

Shog vit le blessé tomber maladroitement vers le sol, battant des ailes vainement pour freiner la chute. L’impact contre la pierre fut brutal, lui brisant une aile et les pattes. Le gobelin courut vers le point de chute et lorsqu’il vit que le monstre était encore en vie, il poussa un petit cri de joie. Il avait réussi. Pour la première fois, on lui avait confié une tâche et il l’avait accomplie.

Ils purent donc tous rentrer. Et, les elfes durent porter l’éclopé. Le retour fut plus rapide que l’aller malgré le poids supplémentaire. La mi-journée était dépassée de peu à leur arrivée. Le gobelin, la vallée enfin atteinte, se mit en quête de l’humain pour lui faire part de sa découverte et capture. Il le trouva vite et l’apostropha.


« Monsieur l’Ardonien ! Je l’ai attrapé. J’ai le chacal volant que vous avez demandé. Il est là. Si vous voulez lui poser des questions. » dit Shog sans couiner, l’exaltation l’emportant sur la humilité.

Le gobelin était fier de lui. Il espérait que cela plairait à l’humain. Il aimait lorsque celui-ci le complimentait. Il souhaitait que la capture les aiderait dans le combat qui les attendait.

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L’air de rien, il m’a un peu agacé, "l’Air-de-Rien"… Un type que j’ai, comme qui dirait, sorti du ruisseau… Et, lui, dès qu’il voit un petit cul qui frétille, il court derrière. Il oublie les copains… Aller baguenauder avec la patronne toute la journée, j’ai pas trouvé ça très "camaradesque". Déjà, j’ai du mal à m’habituer à du monde. Alors, quand je me suis bien habitué à un copain, j’aime bien qu’il reste pas trop loin. Et pas qu’il aille "bras dessus- dessous de bras" faire un pique-nique avec quelqu’un d’autre.

Parce que, moi, pendant ce temps-là, je me cogne le sale boulot. Pas trop que porter des arbres et creuser des trous, ça me dérange, ça a plutôt tendance à me détendre… Avec le ramassis de boulets que je traîne, j’ai des petits agacements à faire passer. Quand il y en a un qui comprend trop pas, plutôt que de lui coller des baffes, je coupe un tronc…

Mais bon, pendant qu’ils vont admirer les pâquerettes, je suis obligé de supporter la présence de ma bande de nazes et des bêtes à cornes. Et niveau "conservation", ça vole pas très loin. Je dois avouer que, question turbin, les deux bœufs, ils sont pas manchots ! Mais le petit truc vert m’a l’air d’un foutu cossard… Quand il parle, on dirait qu’il pleure. Et pis, il a trouvé la planque, il part toute la journée pour voir si les cailloux sont à la bonne place.

Un matin, la patronne et l’encapé ont regroupé tout le monde dans la plaine. Toute leur armée, comme ils disent. Les "oreilles-pointues" se sont tous alignés comme à la parade. Ma meute de cons s’est agglutinée dans un coin et devant, il y avait nous : "les lites" ! Ma pomme, "Esquille", son copain cornu et le geignard vert.

"L’Air-de-Rien" a fait un long discours bien précis, et complet, et chouette, et motivant, et drôlement bien tourné... Et long, surtout… Je dois reconnaître que j’ai un peu décroché au milieu, environ vers la deuxième phrase, mais on dirait qu’il a bien parlé. Tous les "effes" se sont mis à lever les bras, en poussant des cris dès qu’il avait fermé la bouche. Et pis mes crétins aussi se sont mis à gigoter en braillant. Mais eux, c’est juste parce qu’ils trouvaient ça rigolo.

Ensuite, c’est la patronne qui s’est avancée et voilà qu’elle y est allée aussi de son petit couplet… Et que "
on n’est que 66" (la vache, elle compte vite), et que "je serai à vos côtés", et que "nous vaincrons ou périrons ensemble", et que patati, et que patatras…

Si on me demandait mon avis, je dirais : Un peu longuet la cérémonie ! Si tout est prêt, je vois pas ce qu’on attend pour éparpiller du fantassin.

Au lieu de ça, tout le monde a repris ses occupations, les "effes" se sont réenvolés sur leurs "griffus" et nous, ben on a coupé du bois et creuser des trous… Sauf que cette fois, les deux "tourteaux" sont restés pour nous filer un coup de main.

Un peu plus tard, "Schnock" qui était parti avec deux archers, est revenu avec un prisonnier : un chacal volant blessé… Il était tout content de l’avoir ramené vivant pour pouvoir le faire parler. Je savais même pas que ça parlait les "chacaux".

Tout ce que ma patronne en a tiré comme conclusion, c’est que ce genre de bestiole ne se promenait sûrement pas toute seule. Et qu’on allait certainement en prendre sur le coin de la tronche. Elle avait l’air contrariée parce que ça cadrait pas avec ses "provisions".

- Vous faites pas de bile, patronne ! On va pas se gâcher le plaisir pour deux-trois clébards volants… Quelques coups de lattes et ils filent à la niche.

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L’optimisme de Grognar était décidément indécrottable. Le brave géant, courageux ou fou, ne semblait vraiment pas prendre la mesure du danger. Toute leur défense était basée sur retenir l’adversaire. Or, les chacals volants se joueraient facilement des fortifications.

Pour ne pas se retrouver attaqués sur deux fronts, il allait falloir lancer sur eux toute leurs forces aériennes. Et donc défendre les murailles sans l’aide des archers. Une complication dont ils n’avaient vraiment pas besoin.

Et puis vint un matin, celui du seizième jour, où les réfugiés s’amassèrent enfin dans la passe. Leur flot discontinu, alternatif, l’embouteillage que provoqua leur regroupement dans l’étroit passage prouva que le goulet d’étranglement serait efficace.

Enfin, ils touchaient au but ! Elle était là ! Celle qui devait les recueillir, les protéger, repousser la menace qui collait à leurs pas. Et avec elle, quelques solides guerriers : des minotaures à la stature impressionnante, des géants dont les hautes silhouettes offraient une ombre protectrice, et un humain au regard froid, distant mais si profondément sûr de sa valeur de combattant.

On réquisitionna immédiatement les hommes valides, en les armant des maigres épées ou arcs qu’on avait pu glaner dans les réserves de la Tour, de rustiques lances qu’on avait fabriquées en hâte. L’armée s’enrichit d’une trentaine d’hommes inexpérimentés, tremblants et épuisés par leur longue errance.

Les troupes de Magnus avaient à peine une journée de retard. Demain, à cette heure-là, tout serait joué !

Lulyane sentit la peur monter du creux de ses reins et l’envahir totalement. Elle ne croyait plus, il y a peu encore, qu’elle affronterait finalement Carolus… Et elle n’aurait jamais soupçonné comme elle aurait redouté cet instant, comme elle aurait été si peu sûre d’en sortir victorieuse, et surtout d’en sortir vivante. La haine immense, la rancœur tenace, la volonté impérieuse de se venger et de faire payer à son ancien amour l’ignominie qu’il avait commise ne surpassaient pas la terreur qui s’emparait d’elle. Même son profond désir de cracher sur son cadavre ne suffisait pas à lui enlever ce sentiment de panique qui faisait trembler tout son être.

Soudain, il y eut un fort grondement et le sol se mit à trembler. La Comtesse fut comme frappée par cette convulsion de la terre et s’écroula au sol, comme si elle venait d’encaisser un uppercut. L’Ardonien l’aida à se relever. Elle se sentait faible, vidée brusquement de toute énergie.

Puis, la mana inonda de nouveau sa chair, s’écoula en elle par les moindres pores de sa peau, se répandit vaisseaux par vaisseaux, cellule par cellule. Avec pourtant une sensation étrange… Comme un goût inconnu… Ce n’était pas seulement l’énergie magique qui l’habitait qu’elle ressentait mais il y en avait une autre. Elle percevait un flot occulte qui venait de loin. Quelqu’un approchait, chargé d’une mana négative, sombre et sinistre.

Cette mana, la Tour l’avait détectée et s’était mise à trembler. Elle en avait capté l’essence maléfique et avait grogné à la face du monde son mécontentement.

- Magnus s’est trouvé un allié ! Un démon ! Un démon est avec lui ! murmura Lulyane, d’une voix cassée par l’épouvante.

Devant les faces étonnées de ses compagnons, elle se justifia aussitôt.

- Comment je le sais ? La Tour ! C’est la Tour qui vient de me le dire… Et ce que je ne comprends pas, c’est comment Carolus a pu s’unir avec une âme infernale.

Et pour leur dernière nuit, pas un ne dormit. Ils avaient gagné leurs postes et restaient aux aguets, incapables de fermer l’œil car les messagers de la mort pouvaient surgir à chaque minute.

Fébriles, l’angoisse au ventre, ils attendaient dans le noir l’arrivée du tumulte. Lulyane était la seule qui put distinguer quelque chose dans cette obscurité totale. Elle se confia elle-même la mission de vigie, grimpa sur le chemin de ronde du premier rempart et passa les probables dernières heures de son existence à scruter le lointain, les entrailles nouées par l’effroi.

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L'Ardonien dormit d'un sommeil paisible et sans rêve. Il avait depuis bien longtemps appris que si une armée postait des sentinelles, c'était pour que ceux qui allaient combattre puissent dormir.
Ainsi, il y avait un démon en face. Il ne se souvenait pas en avoir déjà affronté, mais au final, il ne comptait réellement. En petit groupe, un démon était sans doute un adversaire formidable, mais il ne viendrait pas en première ligne avec des géants prêt à l'attendre au milieu d'une armée. Encore une fois, il faudrait tenir la muraille et attendre que l'ennemi s'en aille, laisser son esprit se distraire de cette tâche fondamentale était un risque qu'il ne souhaitait pas prendre.

Il se réveilla un peu avant l'aube et monta sur les murailles où Lulyane fixait l'horizon.
L'Ardonien vint à ses cotés et serra brièvement son épaule en guise de salut. Et côte à côte, ils restèrent immobiles à fixer le défilé.
Les premiers rayons de l'astre solaire dissipèrent peu à peu les restes de la nuit. Derrière lui, il entendait l'agitation croissante du camp. Les défenseurs s'étaient réveillés et fourbissaient leurs armes. Les plus aguerris avalaient un morceau au passage alors que les plus jeunes étaient habités par une peur grandissante que seule la vision de leurs chefs sur la première muraille faisait diminuer.

Quand les derniers vestiges de la nuit s'éclipsèrent, les équipes mêlant vétérans et novices, chacune comportant un géant, étaient prêtes. Une équipe suffirait à tenir la première muraille, une autre se tiendrait en retrait et arroserait de flèches ou de rochers les cieux ou l'intérieur du défilé en passant par dessus la ligne de combat pour aller blesser les assaillants qui attendraient une place pour accéder aux murailles. Nul doute que cette première journée serait un carnage pour les envahisseurs. Les autres équipes étaient de réserve, prêt à remplacer une équipe qui fatiguerait. L'Ardonien avait été clair la dessus, il ne voulait pas de jeunes héros morts mais des combattants en vie. Quand on fatiguait, lui ou un autre, l'équipe dans sa totalité se faisait remplacer par une nouvelle. Même si, L'Ardonien le savait, il lui faudrait sans doute combattre dans plusieurs équipes, afin que tous le voit. Il essaierait d'alterner avec Grognar, ce gros géant n'avait pas besoin d'aide pour tenir un muret et cela fortifierait les soldats l'accompagnant.

Et donc, à ce moment là, il vit l'armée ennemie en rangs serrés qui attendait l'ordre de charger, à plus de 300 pas de distance.



C'est à nous de jouer Lulyane. Sachez que c'est avec plaisir que je combattrai à vos cotés.


L'Ardonien, le guerrier maudit, sorti sa grande épée d'un mouvement large, défiant du regard l'armée adverse, semblant demander qui oserait venir le premier pour mourir au pied des murailles qu'il défendait.


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En rangs parfaits, serrés et alignés, prêts à lancer un assaut dévastateur, les soldats de Magnus attendaient, les yeux rivés sur une piètre muraille sur laquelle se tenait une misérable poignée de défenseurs.

L’hallali était pour bientôt ! On se réjouissait dans les rangs de la curée prochaine, l’impatience poussait dans le creux des reins des assaillants, la bave coulait sur leurs lèvres rougies par l’appétit du massacre annoncé.

Chacun d’eux mourait de s’élancer, certain de la victoire, et se demandait déjà sur quels trésors leur rapine pourrait mettre la main.

Pourtant, Magnus n’ordonnait pas la charge… Il restait immobile, comme tétanisé…

A l’intérieur de lui-même, le chevalier distinguait toute la scène, comme dans un rêve. Il savait ce qu’il ferait s’il en avait le pouvoir mais il était condamné à demeurer un spectateur silencieux et impuissant. Son corps n’était plus le sien, il ne pouvait contrôler aucun geste ni aucune parole. Il était emmuré derrière la baie de son regard, possédé jusqu’à la moindre parcelle par le démon, serviteur suprême, esclave ultime de l’infernal…

Mogoth, juché sur son molosse, se tenait à l’arrière de l’armée, légèrement en surplomb, ce qui lui permettait d’embrasser du regard l’ensemble du futur champ de bataille. Il n’était pas à sa première guerre, pas à son premier combat, et il analysa avec justesse et rapidité la situation.

Le défilé formait une nasse qui se finissait en s’écrasant contre la muraille de bois dressée à la hâte mais solidement. Lancer une charge frontale reviendrait à envoyer ses soldats un par un au-devant de la mort. Il n’aurait pas la naïveté d’offrir à ses adversaires l’attitude qu’ils attendaient de lui.

Ses cavaliers ne lui serviraient à rien, quant à ses fantassins, leur intervention pourrait attendre… L’ennemi souhaitait une confrontation directe, au contact. Il allait lui offrir exactement l’inverse.

Tandis que le démon ne bougeait pas, semblant ne pas prendre part à la bataille, Magnus s’anima et hurla ses ordres.

L’étroitesse de la passe ne permettrait d’installer qu’une seule catapulte. Elle serait bien suffisante pour clairsemer les ridicules rangs adverses. Il ordonna donc qu’on remonte un des engins de guerre.

En même temps, il fit reculer les fantassins et déploya sur plusieurs rangs tous ses archers. De l’arrière de la troupe s’envolèrent une nuée de chacals volants.

Sous sa capuche, Mogoth eut un large sourire. Il ne resterait plus grand-chose de leurs opposants après cette mise en bouche.

A cet instant, quiconque aurait observé le démon en même temps que le chevalier eût assisté à un curieux effet de miroir. Mais les deux êtres étaient trop éloignés et les esprits trop occupés ailleurs. Personne ne vit donc que Magnus leva la main exactement dans la même seconde et de la même manière que l’infernal… Personne ne vit qu’il l’abattit avec exactement la même vivacité et dans une parfaite synchronisation... Personne ne remarqua que le marionnettiste venait de donner ses ordres par l’intermédiaire de son pantin de chair.

Aussitôt, les cent-vingt chacals s’élancèrent dans les airs par-dessus la muraille, pour aller quelques centaines de pas plus loin décrire une grande boucle dans le ciel. Leur demi-tour exécuté, ils fondirent sur les défenses à revers.

Les deux cents archers bandèrent leurs arcs vers les nuages, et relâchèrent tous ensemble leur corde. Une myriade de flèches s’éleva très haut, avant de retomber en pluie meurtrière derrière les remparts.

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Le jour de la confrontation tant attendue avec crainte et appréhension arriva. Shog ne changea pas ses habitudes pour autant. Il avait rempli sa mission en délivrant l’espion volant à l’Ardonien, mais il ne comptait pas arrêter sa surveillance pour autant. Donc, avant le lever du jour, il était reparti surveiller les environs sachant très bien qu’il ne pourrait pas mieux aider ses compagnons.

Exhyl, lui, avait décidé d’accompagner l’humain en faisant partie de la première équipe de défenseurs. Sa grande hache affûtée était prête à verser le sang des attaquants. Lui aussi, même si apporter la mort ne lui faisait aucun plaisir. Cependant, il préférait voir mourir ses ennemis que ses amis.

L’autre minotaure, Feldret, se tenait en retrait. Il était à la deuxième muraille, non loin de Grognar, attendant silencieusement le bon moment pour intervenir. Lorsque la première ligne fatiguerait, ils iraient la remplacer. En patientant, il observait ce qui se passait.

Le gobelin fut le premier, car le plus près, à voir les chacals. Il ne put les compter, mais il y en avait beaucoup, trop même. Il les vit s’élancer dans les airs avec horreur. Il n’avait aucune faille où se cacher. Il tenta donc de se camoufler en s’aplatissant contre la roche. Puis, les monstres disparurent de son champ de vision lorsqu’ils se dirigèrent vers l’entrée fortifiée de la vallée. Il entendit ensuite le sifflement mortel de flèches filant vers ses amis.

Exhyl se demanda un instant ce qu’étaient les points qu’il voyait grossir dans le ciel avant de réaliser qu’il s’agissait des congénères de la bête ramenée par Shog. Ils dépassèrent les fortifications avant de revenir vers eux pour les prendre en traitre.

L’assaut volant avait été si soudain que seulement de rares projectiles étaient partis à la rencontre des assaillants ailés. Feldret vit Grognar lancer un petit rocher, pour le géant, vers les chacals. La pierre atteignit une bête qui chuta sans vie. Pour imiter le géant, plusieurs bandèrent leur arc et tirèrent sur les monstres. Bien que des flèches touchèrent leur cible, la plupart se perdirent avant de retomber. Certaines près des défenseurs. Le forgeron hurla aux archers d’arrêter le tir au risque de blesser davantage d’amis que d’ennemis.

Le chef minotaure évita de justesse une flèche amie qui se planta à côté de son sabot. Il était plus préoccupé par la volée de flèches ennemies que par les chacals. Il hurla à son tour.


« Tous cont’le mur ! L’vez vos boucliers ! »

Il obéit évidemment à son ordre et tout en se plaquant contre la muraille leva sa hache au-dessus de lui. Il ne vit pas la pluie meurtrière retomber. Il sentit juste deux tintements sur son arme et une flèche s’enfonçant dans son sabot. Il était obnubilé par l’autre menace venant du ciel. Les chacals avaient profité du tir adverse pour se rapprocher davantage des lignes de défense et les attaquer.

Une moitié des animaux volants affrontait déjà la deuxième ligne de défense comprenant les archers, Grognar et Feldret. Le minotaure avait hurlé l’autorisation de tirer lorsque les chacals étaient revenus. Il supposait qu’ils étaient trop loin pour que les projectiles perdus n’atteignent les gens se trouvant dans la vallée. Le forgeron s’appliquait à fracasser les crânes passant trop près de lui avec son marteau, et le géant faisait de même avec son gourdin. Mais, les volatiles étaient très agiles et ils touchaient plus qu’ils n’étaient touchés.

Loin de là, Shog pouvait voir, en espérant ne pas être vu, que quelque chose se passait à l’arrière de l’armée adverse. Il rampa aussi vite qu’il se le permettait, donc lentement. De son poste d’observation élevé, il vit que l’on assemblait des bouts de bois entre eux. Il devait s’agir de ce que l’éclaireur elfe avait appelé une catapulte ou une baliste. Le gobelin ne savait pas ce que c’était mais il savait que c’était dangereux, très dangereux. Il devait donc détruire cette chose. Seulement, il ne savait comment il pouvait s’y prendre pour démolir une telle chose. Surtout avec tous les soldats autour.

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Dès les premières flèches, l’Ardonien s’était mis à couvert. Ce genre de manœuvre n’était pas exceptionnel et présentait peu de dangers. Elle servait principalement à couvrir la charge des fantassins et cessait lorsque ceux-ci se trouvaient au contact. Le souci, présentement, c’est qu’elle permettait surtout de gêner la lutte contre les chacals volants qui envahissaient le ciel.

Là aussi, les chacals n’étaient pas aussi dangereux qu’ils semblaient l’être. Leur principal atout était leur grande force aérienne, mais, dans le cas présent, ils devaient descendre à portée pour pouvoir attaquer, et au sol, ils n’étaient pas de taille contre un géant et perdaient en agilité. Par contre, double constat : Les défenseurs ne pouvaient pas décoller et la situation, si elle était pour le moment bien maitrisée, pouvait rapidement dégénérer. Il fallait réagir, et vite, surtout que cette première escarmouche, si elle était remportée, donnerait aux troupes un sacré moral.

Lulyane était à ses cotés. Un novice, ou quelqu’un connaissant moins la Vampire, n’aurait sans doute pas remarqué les quelques détails qui trahissaient la peur qu’elle ressentait. Par contre, la détermination qui habitait son regard d’un noir intense était visible de tous. Elle n’aimait pas la tournure des évènements mais elle n’avait pas dit son dernier mot pour autant. La peur était sous contrôle, cadenassée par une volonté puissante.
Ils firent un point rapide sur la situation et ce qu’il faudrait faire. Ce dernier aspect était assez évident, il fallait virer les chacals volants d’au dessus de leurs têtes.

Alors, L’Ardonien raconta une histoire à Lulyane, l’un des contes ayant bercé son enfance, celui où Ged, futur archimage de Terremer, combattit de jeunes dragons à l’aide d’un sort très simple. Y’avait-il, dans le panel de la vampire, un équivalent ?

Elle réfléchit, et lui fit signe que oui, il y avait quelque chose de ressemblant. Elle se leva et commença à incanter, faisant appel à la puissance de la Tour Opaline. L’Humain se leva aussi et attrapa un bouclier, afin de détourner une flèche perdue ou une attaque envers la jeteuse de sorts.

Et enfin, elle lança peut être la plus grande toile ectoplasmique de mémoire d’homme. A chaque contact avec une créature, la toile se déchirait et se collait à ses plumes, le reste de la toile continuant son chemin. Une part importante du ciel fut concernée par le phénomène. Prise seule, ce sort aurait été bien inoffensif sur les assaillants, mais beaucoup chutèrent lourdement sur le sol, leurs ailes collées à leur corps. Aussitôt, se fut la curée, les défenseurs étaient trop contents d’avoir enfin leurs ennemis à portée de leurs lames, et tailler en pièces ces monstres, même s’ils ne pouvaient pas se défendre étaient pour eux comme une intense victoire.

L’Ardonien ne se laissa pas gagner par l’euphorie. Lulyane, qui s’était rassise et se reposait de son sort, lui fit signe que ça allait. L’humain supposa qu’elle avait ajouté une grande quantité de puissance magique afin de modeler les détails originaux de son incantation. Il attrapa deux elfes et leur demanda de veiller sur la vampire. Puis, il fit signe aux autres de le suivre, ne laissant que quelques individus achever les bêtes blessées, et il sauta sur un griffon.
S’en fut trop pour les chacals volants qui retraitèrent sous les vivats des défenseurs. Le guerrier n’en resta pas là. Il fit un signe rapide à Grognar en direction des archers ennemis, puis monta haut dans le ciel suivi des autres chevaucheurs de griffons.
Là, les Géants, sous l’impulsion de Grognar, balancèrent leurs caillasses en direction des tireurs ennemis. Si les pertes de la contre attaque furent quasi nulles, les tirs furent interrompus. Les défenseurs de la Tour Opaline piquèrent alors sur l’ennemi et laissèrent un sillon sanglant sur leur passage. Puis, L’Ardonien ordonna le repli, il savait que si le premier passage s’était bien déroulé grâce à la surprise, les suivants seraient plus délicats. Il était préférable de rester là-dessus, avec uniquement quelques blessés à déplorer.

Du coin de l’œil, il aperçu Shog qui lui désigna quelque chose au loin. Il ne comprit pas bien de quoi il s’agissait, mais, pour que le gobelin ait pris le risque d’être découvert, ça devait être important. Il faudrait impérativement lui envoyer du renfort, probablement cette nuit.

Méditant sur ce point, il laissa son griffon le ramener dans l’enceinte du camp. La journée ne faisait que commencer, ils auraient sans doute droit à une attaque plus classique à présent.


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